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Cougar? Non, pygmalionne
Toute la presse de la planète en a parlé. Et, on s’en doute, en reparlera encore: la nouvelle première dame française, Brigitte Macron, 64 ans, affiche un quart de siècle de plus que son président de mari. Un décalage générationnel qui choque, fait sourire ou laisse perplexes nombre de commentateurs. Le réflexe de ces derniers est d’ailleurs d’emprunter un bien fameux raccourci. «Emmanuel Macron? C’est le mari de Madame Cougar, voilà tout», a frontalement lancé Jean-Marie Le Pen en plein entre-deux-tours. Le but était évidemment de ridiculiser publiquement le rival de sa fille Marine.
Il n’en demeure pas moins que c’est finalement l’épouse du candidat centriste qui en a fait les frais, insultée grossièrement en raison de sa seule différence d’âge avec son mari. Parmi les célébrités féminines, Demi Moore, Madonna, Jennifer Aniston ou encore Claire Chazal ont également dû affronter ricanements et mufleries de la blogosphère quant à l’âge juvénile de leur tourtereau. Au mieux, elles ont été étiquetées cougars. Au pire de croqueuses d’hommes ou encore de «Mother I’d like to fuck» (mère que je baiserais bien). Des appellations pas vraiment valorisantes. Et surtout, caricaturales.
Le poids des stéréotypes
Car si les médias ont largement glosé sur le phénomène, déterminant les contours précis de ce genre de relations, notamment en pointant du doigt la peur du vieillissement des unes et l’appât du gain chez les autres. Clélia Renucci, professeur de lettres modernes et auteure de l’essai «Libres d’aimer, les cougars dans la littérature» (Ed. Albin Michel, 2015), entend fusiller les clichés. Elle pointe à ce propos l’écart flagrant entre «l’immense diversité des situations» et «les stéréotypes dont notre époque affuble ces femmes, qualifiées le plus souvent de «croqueuse d’hommes», réduisant leurs amants au statut de trophées sexuels».
D’où le terme de cougar, ce félidé chasseur et carnassier. Selon Clélia Renucci, il existe en fait «autant de cougars possibles qu’il y a de femmes amoureuses, celles-ci pouvant être initiatrices, collectionneuses, briseuses de ménage, insoumises, mères, féministes ou encore pygmalionnes.» Tiens, pygmalionnes? Autrement dit, la féminisation d’un terme longtemps vu comme la propriété exclusive de ces messieurs et que le Larousse définit comme une «personne amoureuse d’une autre et qui la conseille et la façonne pour la conduire au succès». L’homme entretenant une relation avec une femme plus jeune sera aisément considéré comme son formateur, tandis qu’à l’inverse l’amoureuse d’âge mûr aura plutôt tendance à être ridiculisée, à coup de représentations bien souvent erronées et parodiques.
Ça vous rappelle quelqu’un? Brigitte Macron, bien sûr. En effet, pour la journaliste Caroline Derrien, qui l’a approchée lors de l’écriture de son livre «Les Macron» (Ed. Fayard, 2017), la sexagénaire de l’Elysée ne rentre absolument pas dans le schéma classique de la cougar. «Tout ça, ce ne sont que des mots un peu simplistes et dans l’air du temps, mais qui ne disent rien sur leur histoire. Brigitte Macron n’a pas une vie de grande séductrice, encore moins de croqueuse d’hommes. D’ailleurs, Brigitte et Emmanuel, c’est déjà un vieux couple!»
Une formatrice
Pour Caroline Derrien, à choisir entre les termes cougar et pygmalionne, le second apparaît clairement plus approprié. «Emmanuel l’a affirmé lui-même après le premier tour: «Sans elle, je ne serais pas moi!» Il a ainsi clairement laissé entendre qu’elle l’a aidé à se former intellectuellement, psychologiquement, personnellement», avance la journaliste. Former, et non manipuler, nuance! «Brigitte l’accompagne, le soutient, mais personne n’influence Emmanuel Macron.» La journaliste réfute l’analyse qui a été faite des images vidéo où l’on voit madame Macron donner des conseils à son candidat de mari. «Si ces images peuvent donner le sentiment d’une ascension, c’est un leurre. Emmanuel Macron est un garçon très sûr de lui et pas du tout soumis.» Son analyse personnelle? «Brigitte Macron est imprégnée de sa vie professionnelle, elle a gardé de son métier d’enseignante une certaine manière d’être avec les autres, son souci d’autrui.» Si dimension pygmalionne il y a, elle ne concerne, selon la journaliste, que la construction de sa personne. «Elle ne l’a jamais poussé, mais plutôt soutenu dans son ambition», résume-t-elle.
Brigitte Macron n’est ainsi pas l’ambassadrice des cougars. Elle constitue cependant un miroir de la volonté actuelle de déprécier les femmes qui osent s’afficher aux côtés d’un homme plus jeune. De ne pas vouloir comprendre toutes les richesses de ce type de relation aussi.
Tendance forte
Au quotidien pourtant, de plus en plus de couples osent (et assument!) cet écart d’âge, à l’inverse des conventions usuelles. En France, selon l’Institut national de la statistique, il est clair que le pourcentage de couples vivant sous le même toit et où la femme est plus âgée est en augmentation. Ceux-ci représentaient 16% des couples formés dans les années 2000, contre 10% pour ceux formés en 1960. En Suisse, la proportion d’hommes plus jeunes au sein du couple avoisine les mêmes pourcentages: d’après l’Office fédéral de la statistique, 14% des femmes vivant avec leur compagnon sont plus mûres que ces derniers.
Pour la sociologue canadienne Milaine Alarie, qui s’est longuement intéressée au phénomène cougar, le pourcentage réel de ces amours peut toutefois être sensiblement supérieur à ces données, qui «ne témoignent finalement que des mariages et unions de fait, et non pas de toutes les formes de relations intimes possibles», souligne l’auteure de «Vieillissement, sexualité et le mythe de la femme cougar», à paraître aux Presses de l’Université de Laval. Et pas seulement pour un doux coup de folie, rappelle celle qui, dans son enquête, a recensé un grand nombre d’idées fausses entourant le terme de cougar. «Alors que ces histoires sont souvent représentées comme de simples aventures sans lendemain et/ou comme vouées à l’échec, plus de la moitié des relations intimes où la femme est au moins 5 ans plus âgée que son partenaire durent depuis au moins deux ans, et plus des 2/5 de ces femmes sont en fait mariées ou cohabitent avec leur partenaire plus jeune.» Brigitte Macron vient ici illustrer le propos de manière éclatante. Et prouver qu’une histoire d’amour avec une telle différence d’âge peut être celle de toute une vie: enrichissante, transcendante, renforçante. Pour elle comme pour lui.
Visibilité nouvelle
Plus encore, derrière le qualificatif récent de cougar (entré dans le Petit Robert en 2012), des siècles d’attirance réciproque entre femmes mûres et jeunes gens nous contemplent. Balzac l’écrivait il y a deux siècles, souligne Clélia Renucci: «Il n’y a que le dernier amour d’une femme qui satisfasse le premier amour d’un homme.» On se souvient également du récit de Rousseau dans «Les Confessions», guidé, initié dans tous les sens du terme par Madame de Warens. La sociologue Milaine Alarie en convient, «il y a toujours eu une proportion considérable d’unions conjugales composées d’une femme plus âgée que son partenaire». Selon elle, «ce qui est nouveau, c’est plutôt la visibilité de ces relations, l’intérêt médiatique que l’on accorde à ces histoires et à celles qui choisissent un ou des partenaires(s) plus jeune(s), ainsi que l’étiquette de cougar qui a été créée pour identifier ces femmes». En étudiant ces figures dans la littérature, Clélia Renucci a par ailleurs constaté «une moralisation progressive du phénomène au fil des époques».
Autre bonne nouvelle pour celles qui désespèrent en voyant arriver une toute imaginaire date de péremption: «Des études démontrent que la proportion de femmes ayant un partenaire plus jeune augmente avec l’âge. Les cinquantenaires inclinent ainsi plus vers la jeunesse que les trentenaires.» Un élément qu’il faut impérativement se remémorer les matins-déprime devant l’apparition de nouvelles rides!
C’est quoi un pygmalion?
Le pygmalion façonne sa compagne, ses goûts, sa culture, sa vision du monde. Investi d’une réelle position d’autorité, il est naturellement plus âgé que «sa créature».
Le concept est inspiré du personnage d’Ovide, Pygmalion, roi de Chypre et sculpteur de talent, qui conçut dans l’ivoire sa vision d’une femme idéale. Vénus, touchée par l’amour impossible que l’artiste vouait à sa création, donna vie à son rêve.
Le terme a connu un franc succès, tant dans l’art qu’en psychologie.
«Pygmalion et Galatée» (1890), par Jean-Léon Gérôme. La statue - ici en marbre - prend vie, alors que ses pieds sont encore engoncés dans la pierre.
©Wikimediacommons
Témoignages
Eric, 36 ans, enseignant, Neuchâtel
«J’ai rencontré Sonia lorsque j’avais 18 ans, elle en avait 43. Ce fut un coup de foudre. Nous partageons la même passion pour le théâtre et la littérature. C’était la première fois que je me sentais stimulé intellectuellement. Sonia est rapidement devenue une amie, mais elle était réticente à toute histoire d’amour. Elle était divorcée depuis plusieurs années et évidemment, pour elle, j’étais dix fois trop jeune pour entamer quoi que ce soit. J’ai patienté; pour moi, il était clair qu’elle était la femme de ma vie et je ne ressentais aucune attirance pour les filles de mon âge. Ma première année à l’université a été difficile et nous nous sommes encore rapprochés. Elle m’a encouragé à ne pas lâcher, à travailler davantage. Elle m’a appris comment fonctionnait le monde universitaire, elle était aussi passée par là. En 2012, nous avons concrétisé notre amour par un mariage. Les enfants? Cela ne me manque pas vraiment, nous partageons tant d’autres choses ensemble! Quant aux siens, ils ont eu un peu de peine à accepter notre relation au début, mais maintenant ils sont rassurés: ils ont compris que l’on s’aimait vraiment!»
Natacha, 39 ans, physiothérapeute, Genève
«Lorsque je me suis retrouvée célibataire après neuf ans de vie commune, je m’étais jurée de le rester toute ma vie. J’avais été tellement déçue. La trahison, l’infidélité répétée de mon conjoint, me semblait insurmontable. C’est dans un cours de fitness que j’ai rencontré Sébastien, 24 ans. J’en avais 37. Je sais, ça fait très cliché. J’étais claire avec moi-même, je ne souhaitais rien entamer, mais j’étais tout de même flattée de l’effet que je lui faisais. C’était tellement flagrant! Sa façon de me regarder ne laissait aucun doute! Ça me faisait du bien après toutes ces années d’effacement, d’oubli. Alors quand il m’a proposé, un jour, de prendre le temps d’un café, j’ai accepté. Et heureusement! Nous avions bien plus en commun que nous le pensions. Sébastien en avait marre de donner des cours de fitness. Il avait d’autres rêves mais il n’osait pas se lancer. Aujourd’hui, il a entamé une formation de naturopathe. Il me dit que je lui ai donné la sérénité nécessaire pour avancer. Je ne sais pas si j’ai eu autant d’influence que ça, mais aujourd’hui on est bien ensemble. Bien sûr, parfois j’ai de petites crises d’angoisse au sujet de mon âge et de nos années de différence, mais j’essaie de ne pas y penser plus que ça. Qui vivra verra!»
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