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Voyages: l'appel de l'année sabbatique
Un planisphère affiché sur un mur des toilettes, avec des petits clous colorés pour indiquer les lieux visités. Et il y en a beaucoup, des clous… Cette déco évocatrice que vous découvrez chez un ami laisse entrevoir ô combien votre hôte voyage à travers le monde. On a alors toutes les chances de ressortir avec un goût de frustration en pensant à notre vie de pantouflard. Un effet secondaire bien normal.
Car écumer océans et continents d’un seul trait, c’est dans l’air du temps. Au milieu du développement touristique général – 25 millions de touristes il y a 50 ans, contre 1 milliard aujourd’hui – le voyage au long cours se démocratise, paré de vertus cathartiques, spirituelles, thérapeutiques même! Break pendant les études, pause plus ou moins longue entre deux jobs, envie de changer de vie à l’occasion d’une année sympathique, voyager loin et longtemps, si possible en entreprenant les choses les plus folles, devient désormais un quasi passage obligé, un rite incontournable pour ne pas paraître has been. Dans les rayons des librairies, les récits de périples colonisent les présentoirs jusqu’à former un genre littéraire à part. Conférences, documentaires, festivals, blogs… partout on conte les aventures de ces baroudeurs des Temps modernes partis sillonner la planète. Est-ce donc devenu à ce point banal de faire le tour du monde? «Non, je ne pense pas», affirme Pierre Josse, quarante ans de rédaction en chef au «Guide du Routard» et 190 pays (sur 197 existants) au compteur. «Si beaucoup de gens rêvent de partir, tout plaquer pour se faire la malle demande encore une bonne dose de courage.» Et souvent, ce culot vient à manquer au moment de se décider…
Pourtant, voyager au long cours n’a rien de neuf. Pour le sociologue Jean-Didier Urbain, enseignant à la Sorbonne et spécialiste des questions de voyage, on a toujours bourlingué loin et longtemps. «Au XIXe siècle, les jeunes aristocrates anglais faisaient leur grand tour d’Europe; aujourd’hui, les étudiants partent en année Erasmus, ou prennent un congé sabbatique.» Dans leur sillage, ils entraînent les couples de trentenaires en mal d’aventure, les quarantenaires en transition et les retraités dynamiques pour qui vivre dans un camping-car à l’année et sillonner le globe ne relève plus de la folie.
Mon périple mis en scène
Et pour trouver cette pointe d’audace qui les fera partir, ils peuvent compter sur le témoignage de ceux qui ont osé: webcams, blogs, réseaux sociaux et autres plates-formes online relaient ces miracles. Par ce truchement, la machine à rêver s’enclenche. L’expérience d’autrui motive. Internet fait tomber le périple dans le domaine public en mettant en scène une armada de voyageurs qui partagent leurs expériences. Résultat: «On peut tout voir, tout demander et tout savoir, avant même de se déplacer», déplore Didier Jehanno, fondateur de l’association Les aventuriers du bout du monde, qui accompagne quelque 4000 breakeurs chaque année. «Le risque lié au voyage semble limité et c’est rassurant de savoir ce qu’on va trouver à l’autre bout du monde. Même si la surprise de la découverte prend une sérieuse claque!»
Incitation, révélation… voire inspiration. A moto, à vélo, en se limitant aux capitales ou en les évitant, pour préparer un séjour, on peut aisément piocher dans les centaines de blogs dédiés au voyage. «Le danger alors, c’est de copier l’itinéraire d’un autre et d’oublier de se demander ce qu’on aime et ce que l’on souhaite», met en garde Thierry Balthasar, parti sur les routes du monde avec sa famille pendant plusieurs années. Car, même si chaque périple reste unique pour celui qui se lance, tout ou presque a été fait, visité, documenté.
Objet de toutes les formes de récit, sur papier ou 2.0, le voyage au long cours s’est aussi démocratisé avec l’arrivée du low cost. Billets d’avion multistops à un prix très abordable, agences spécialisées qui proposent un «package tour du monde» (en moins de trois mois si vous êtes vraiment pressés), le business du tourisme s’est adapté à la demande.
Des traditions presque inconscientes naissent même en la matière. Billet open en poche, un départ d’Europe se fait d’ordinaire en direction de l’est, comprend un stop en Inde ou en Russie, un long séjour en Asie du Sud-Est, un éventuel saut de puce en Australie ou en Nouvelle-Zélande et un passage presque obligé en Amérique du Sud. Exit l’Afrique ou «les pays en stan» considérés comme trop dangereux ou dénués d’intérêt! «Le plus souvent, l’expression «faire un tour du monde» correspond à cela, explique Didier Jehanno. Pour un temps chronométré, on s’arrête dans un pays avant d’enchaîner un suivant.»
Avoir le bon passeport
Au fond, à la mesure de notre société, on consomme du pays comme des fringues ou des gadgets électroniques. Une attitude qui dérange un peu Pierre Josse: «Je suis toujours surpris lorsqu’un voyageur se comporte en hédoniste et fait le tour des plages et des lieux branchés d’un pays sans même s’intéresser à son histoire ou à sa situation politique.» A l’image des jet-setteurs qui sillonnent la planète pour aller d’une fête à l’autre, certains «tourdumondistes» ont leurs spots de prédilection et s’y retrouvent en pensant: «C’est vraiment un extraordinaire hasard de recroiser Geneviève à Bangkok alors qu’on l’a déjà vue à New Delhi il y a trois semaines.» Au retour, les mêmes se pavanent en affirmant: «J’ai fait l’Indonésie.» Comme si trois semaines à se dorer la pilule sur une plage de Bali suffisaient à valider la connaissance d’un Etat-archipel qui compte quelque 13 000 îles!
Cependant, le voyage au long cours reste une expérience inoubliable et forte, peu importe comment il s’entreprend, ou s’il ressemble un tantinet à celui de ses voisins de blog. Si certains doivent vivre ce moment au pas de course et sans sortir des sentiers battus, cela n’enlève rien au charme de partir longtemps. «Il faut faire la différence entre se déplacer et voyager, estime le sociologue Jean-Didier Urbain. On peut faire des milliers de kilomètres sans voyager ou sortir simplement de chez soi et voyager. Tout dépend de son état d’esprit et de son rapport au monde. Le voyage est un état d’esprit, une découverte réversible entre celui qui voyage et celui qui reçoit. Le virtuel ne remplacera jamais cela.»
Déclenchée par une envie de rupture ou alimentée par une curiosité insatiable, la démocratisation du break lointain se fraie une place dans une société qui accepte de plus en plus ces changements de cap. «Certaines entreprises font preuve de flexibilité, autorisent les congés sabbatiques en laissant partir et revenir leurs employés», constate Jean-Didier Urbain. Mais cette évolution des sociétés dépend aussi de leur prospérité. Il ne faut pas se leurrer: voyager reste l’apanage des pays riches. Et mieux vaut avoir le bon passeport pour circuler librement et bénéficier de la clémence des conventions internationales.
Le piège de l’errance
Et puis, voyager s’apprend et conduit parfois à des ratés. «Il nous est arrivé de croiser des personnes dégoûtées par le voyage. Souvent, leurs attentes étaient trop grandes et elles ne supportaient pas le changement permanent. Il s’agit d’une invitation au changement et ça ne fonctionne que si tu l’acceptes», estime Thierry Balthasar. Une solution permet de ne pas se laisser étourdir par le vertige des possibilités: se trouver un objectif ou une ligne directrice. Découvrir le monde en se focalisant sur un thème ou faire une pause introspective pour mieux apprendre à se connaître donne un sens au voyage. Ce constat est celui de Caroline Moireaux. Partie en 2011, cette Jurassienne de 37 ans ne se voyait pas voyager sans la perspective de boucler un tour du monde à pied. «Mais ce n’est pas un challenge, ni un défi… juste un fil d’Ariane pour cadrer ce moment particulier de ma vie. Contrairement à beaucoup de voyageurs croisés en chemin, je ne veux pas tomber dans l’errance et ne plus savoir rentrer.» Le plus passionnant est donc peut-être de découvrir celui ou celle qu’on est devenu(e) de retour de son odyssée.
«Le voyage est notre style de vie»
Voyager et avoir quatre enfants, ces rêves unissent Véronique et Thierry Balthasar quand ils tombent amoureux. «Nos enfants sont arrivés, Véro s’est occupée d’eux et moi j’ai fait boulot-dodo pendant des années», se souvient Thierry. Un mois de voyage en famille au Maroc agit comme une piqûre de rappel. «Tout roulait dans notre vie, mais nous avions oublié de voyager!» De retour à Grandvaux (VD), la famille change complètement son quotidien. «Pour garder l’esprit nomade, nous avons campé dans notre jardin pendant des mois. Notre maison nous servait juste de salle de bains!» L’envie de partir loin et longtemps chemine. «En 2007, après des mois de réflexion, nous avons déscolarisé les enfants et vendus nos biens avant d’acheter Casita.» Ce camping-carrosse de 10 m2 devient leur maison. Entre Afrique, Asie et les Amériques, quatre ans de roadtrip baladent les Balthasar sur les routes du monde. «Découvrir d’autres manières de vivre, si possible les plus éloignées de la nôtre, était notre leitmotiv.»
Rester libres et mobiles Lorsqu’ils rentrent en Suisse en 2012, impossible de replonger dans la routine. «Continuer à vivre ensemble dans Casita, rester libres et mobiles, nécessitait de réinventer notre quotidien et notre manière de travailler.» Itinérante dans les environs de Lausanne, la famille déniche les meilleurs spots de camping sauvage et se déplace ou gré de ses envies. «Je garde un bon souvenir de cette période: le matin, j’allais travailler sans savoir où je retrouverai ma famille le soir!» Pour faire bouillir la marmite, outre les 30% annualisés de Thierry dans sa société vaudoise de formation, la famille met à profit son expérience. Livres, conférences pour «oser ses rêves», les Balthasar ont leur petite notoriété dans le milieu des voyageurs et font pétiller les yeux de ceux qui hésitent à partir. «On nous demande beaucoup de conseils et d’informations. J’ai le sentiment qu’il y a de plus en plus de gens qui veulent voyager.»
Nomadisme en famille Aujourd’hui, le clan a trouvé son équilibre en passant l’été dans les campings du Léman et l’hiver ailleurs. En Andalousie, un terrain avec une petite maison sert aussi de camp de base. «Comme ça, chacun de nous est libre de voyager ou de rester! Nos deux aînés sont amoureux, ont leur matu et leur permis de conduire. Ils ne nous suivent plus forcément.» Une question revient souvent… «On nous demande ce que nous allons faire après. Nous n’en savons rien: nous vivons dans le présent! Le voyage est notre style de vie. Ça peut paraître surprenant; pour nous, c’est épanouissant.»
Un blog: Six en route.
Un livre: «Oser partir. Du rêve au retour, réussir son voyage».
Un bureau ouvert sur le monde
Dans le jargon des voyageurs, on les appelle les «digital nomads». D’une plage des Caraïbes ou d’un refuge de la Sierra Nevada, une bonne connexion wifi et un laptop leur suffisent pour travailler. Programmeur informatique, assistant virtuel, correcteur, prof de langue online, ces métiers s’exercent aussi à distance et sans contrainte géographique. Et cette tribu de travailleurs-voyageurs partage les mêmes attentes: celles de ne pas perdre sa liberté coincée dans un bureau!
©Florian Cella/24Heures
Après avoir lu un article sur le sujet, la Fribourgeoise Sarah Zendrini plaque son job et glisse dans le clan des nomades en 2015. Devenue rédactrice web, la jeune femme cherche des mandats avant son départ. «Très vite, j’ai senti que ça pouvait fonctionner et je me suis lancée. Je voulais faire une pause dans ma vie, m’ouvrir à plus de créativité, monter un spectacle et écrire un livre.» Sarah concrétise ses envies entre le Cambodge, l’Indonésie, le Brésil et le Portugal, des pays où elle pose son bureau itinérant dans des endroits paradisiaques. «Avec juste ma valise et mon ordi, je me suis sentie très libre.» Seule contrainte lorsqu’elle arrive dans un lieu: trouver une connexion internet suffisante pour pouvoir travailler. «Parfois, c’est compliqué. Je serais bien restée sur les îles de Gili quelques mois, mais le réseau y était trop faible.»
Furtifs et intenses, dix mois d’itinérance affinent la personnalité de la jeune femme. «Je me suis aperçue de la difficulté de concilier travail et voyage. Au final, je sais maintenant que ce n’est pas mon truc. J’ai besoin de me poser à un endroit et de m’y ancrer.» Trouver un boulot à temps partiel annualisé et partir quelques mois, son futur, Sarah le voit plutôt ainsi.
Un blog: Sarah Zendrini.
Un livre: «Changer de vie. 7 histoires pour vous inspirer».
Donner un sens à son voyage
L’objectif d’un voyage au long cours peut être humanitaire, spirituel, relever du challenge ou du défi sportif. Pour Matthieu Tordeur et Nicolas Auber, la lecture du livre du Prix Nobel de la paix 2006, Muhammad Yunus, a été un déclic. Le «banquier des pauvres» y décrit son concept de microcrédit. Cela deviendra le thème de leur tour du monde en Renault 4L. Les deux Normands, nés le même jour et amis depuis l’école enfantine, rêvaient de partir sur les routes. «L’envie de faire un break dans nos études nous a décidés, témoigne Matthieu, 25 ans. En amont de notre périple, pour financer 150 micro-projets à travers le monde, nous avons collecté 25 000 euros (env. 27 500 fr.) de fonds auprès de sponsors. Cet argent nous a permis d’accorder des prêts de quelques dizaines à quelques centaines d’euros à des personnes n’ayant pas le capital de départ pour lancer une activité génératrice de revenus.»
©Microcrédit en 4 L
En s’associant à deux ONG actives dans le microcrédit afin de sélectionner les emprunteurs, les étudiants ont visité une cinquantaine d’entrepreneurs soutenus. De l’Inde au Brésil, en embarquant sur un cargo pour le Sénégal, ils se sont trimballés dans leur vieille 4L. «Sans ce fil conducteur du microcrédit, notre projet n’aurait sans doute pas retenu l’attention des sponsors. Et sur le terrain, nous n’aurions jamais rencontré autant de monde et d’organisations d’aide au développement», déclarent en cœur les deux jeunes hommes partis tout l’été visiter le Ladakh à moto.
Un site: Microcrédit en 4 L.
Quelques idées reçues
Inutile d’être riche. Selon le niveau de confort recherché, une année de voyage coûte entre 10 000 et 25 000 francs. Partie à pied pour dix ans, la Jurassienne Caroline Moireaux vit avec un budget inférieur à 5 fr./jour.
Inutile d’être sportif. A moins d’envisager l’ascension de tous les sommets de la cordillère des Andes. Par contre, mieux vaut être un peu organisé pour réussir à faire tenir toute sa vie dans un sac à dos.
Inutile d’être accompagné. En effet, si vous ne sortez pas trop des sentiers battus par les «tourdumondistes», vous serez rarement seul.
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