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Immortalité numérique: mon âme sur clé USB

Femina 06 Dossier Immortalite Numerique 0

Extrait de la série TV «Black Mirror» diffusée sur Netflix.

© DR

Bientôt la mort n’existera plus. Notre corps pourra bien continuer de nourrir la terre, notre âme subsistera. Où? Téléchargée sur un disque dur… Est-ce le scénario du prochain Luc Besson? Peut-être. Mais c’est surtout l’objectif avoué des transhumanistes, ces chercheurs-rêveurs en chair et en os qui œuvrent, plus ou moins secrètement, à l’avènement d’une humanité augmentée, Et certains d’entre eux sont tout à fait localisables: ils travaillent chez Google ou sont financés par l’Union européenne, via le Human Brain Project qui planche depuis 2005 sur recréation d’un cerveau humain complet dans un ordinateur.

Fiction d’avenir? Pour Béatrice Jousset-Couturier, diplômée en bioéthique et auteur de «Transhumanisme» (Ed. Eyrolles), on y est déjà. «Le transhumanisme ne devient pas une réalité, c’est une réalité, déclare-t-elle. Selon la définition officialisée dans le Larousse 2017, c’est «un mouvement prônant l’utilisation des technologies pour améliorer l’être humain». En d’autres termes: moins souffrir, moins vieillir, moins mourir. La journaliste Christine Kerdellant, auteur de «Dans la Google du loup» (Ed. Plon). précise qu’il faut distinguer «l’homme réparé» d’aujourd’hui (portant un pacemaker, par exemple) de «l’homme augmenté» vers lequel tendent les transhumanistes. Et qui «est devenu une perspective plausible à l’horizon 2050 pour les transhumanistes qui ont déjà pignon sur rue», analyse-t-elle.

Stocker la conscience?

Pignon sur rue, ou sur vallée. Silicon Valley, en l’occurrence. «Google est assurément le chef de file des idéaux transhumanistes», rappelle le sociologue Nicolas Le Dévédec, auteur de «La société de l’amélioration» (Ed. Liber). «Ses fondateurs, Larry Page et Sergueï Brin, sont des transhumanistes convaincus. Ils multiplient les investissements dans le domaine des sciences de la vie», poursuit le chercheur. «Qu’il soit question du séquençage ADN avec la filiale 23andMe ou de la lutte contre le vieillissement et la mort entreprise par Calico, Google est un acteur central de ce mouvement.» Et c ’est à Ray Kurzweil, informaticien et futurologue spécialisé dans l’intelligence artificielle, et soutenu financièrement par Google, que l’on doit l’étonnante perspective de pouvoir un jour enregistrer notre âme sur une clé USB, comme on sauve un fichier musical sur notre smartphone. Son rêve? Recréer un cerveau artificiel d’ici à 2045, afin de pouvoir y stocker une conscience bien humaine.

Mais si les questions de faisabilité intéressent principalement chercheurs et investisseurs, c’est l’idéologie sous-jacente qui questionne tout un chacun. «Les transhumanistes ne voient pas de vraie rupture entre la nature et l’artificiel», expose Christine Kerdellant. Ainsi, en cas de corps humain défaillant, ils envisagent «des avatars réalistes dans lesquels, espèrent-ils, ils pourront transférer leur conscience. L’humain deviendrait ainsi le premier des robots: son esprit téléchargé dans un androïde, il disposerait d’un corps rénové et serait quasi immortel.» Attrayant, non?

Pas aux yeux de Mathieu Terence, auteur du virulent «Le transhumanisme est un intégrisme» (Ed. du Cerf) qui dénonce une imposture mêlant mythologie et technologie: «Que sont devenues nos vies pour que nous rêvions de les programmer?», questionne-t-il. «La performance est le fin mot des modifications envisagées de cet IGM, cet Individu génétiquement modifié. Pour cela, il faut considérer que le cerveau est un ordinateur, la sexualité un item facultatif, la vieillesse une maladie, la vie un cahier des charges à remplir», énonce-t-il.

Et si le projet de «robotiser le vivant au lieu d’humaniser» l’épouvante, c’est parce que «son effet réellement pernicieux consiste non pas dans le futur qu’il propose mais bien dans le présent qu’il sous-entend: Où sont donc cet homme et cette femme à ce point ratés et insuffisants qu’il faille les améliorer, les augmenter, les faire muter en créatures de synthèse?» Posée comme ça, la question, en effet, est dérangeante. Comme l’est le reste de son analyse: «L’intérêt du transhumanisme, c’est d’être un curseur révélateur du projet eugéniste qui repose, plus ou moins inconsciemment, dans l’économie mondialisée. Pour celle-ci, l’espèce humaine est une matière première.»

Une inquiétude largement partagée par Béatrice Jousset-Couturier qui s’insurge contre cette sorte de nouveau «système de sélection» à venir, non plus biologique mais économique. Christine Kerdellant abonde, signalant que «ce Graal sera réservé aux nantis et parachèvera la lutte des classes entre les riches, qui vivront éternellement jeunes, et les moins riches, qui mourront bêtement de vieillesse.» Pas étonnant que parmi les candidats à la cryogénisation (ce procédé visant à conserver des défunts dans l’azote liquide en vue de les ramener à la vie grâce aux technologies du futur) figurent des personnalités au compte en banque bien garni. Britney Spears, Paris Hilton et autres milliardaires russes en tête…


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Pour ou contre l’humain augmenté?

Outre cet impératif de performance qu’il relève lui aussi chez les transhumanistes, Nicolas Le Dévédec s’interroge sur «cette croyance que tout est possible, y compris réaliser les choses les plus absurdes, comme télécharger sa conscience dans un ordinateur pour vivre éternellement…» Et ce quand, à l’inverse, «dans le domaine social et politique, nos sociétés se caractérisent par la croyance que rien ou presque n’est possible… En tant que sociologue, cette étrange répartition des possibles et des impossibles m’inquiète.»

D’où l’urgence qu’il y a, pour Béatrice Jousset-Couturier, diplômée en bioéthique, à se pencher sérieusement sur le sujet. «L’idéologie transhumaniste a atteint tous les milieux: penseurs, scientifiques, monde des finances, de l’industrie… Mais pas celui des politiciens! Il est grand temps qu’ils s’y intéressent et intègrent le pouvoir croissant de ces technologies dans leur programme politique.» Même constat chez Christine Kerdellant: «Si certains philosophes montent au créneau, le débat n’est guère virulent. L’opinion ignore les transhumanistes, alors qu’ils progressent quotidiennement. Ils sont en train de gagner, sans livrer bataille.» Or, comme le rappelle la scientifique, «la technique en elle-même est neutre: c’est l’utilisation que nous en faisons qui l’oriente vers une bonne ou une mauvaise destination. Nous en sommes donc responsables. Notre avenir dépend de nous.»

De nous? Vraiment? On aimerait le croire mais… à notre petite échelle, que faire? Commencer par s’interroger sur la légitimité et la désirabilité de cet humain augmenté, suggère Nicolas Le Dévédec. «La question est de savoir: Devons-nous poursuivre sur cette voie d’une société de la performance, de son culte de la santé parfaite et de la longévité infinie – et alors, malheureusement, les idéaux transhumanistes ont un bel avenir devant eux – ou souhaitons-nous plutôt nous engager vers une forme de société plus juste, plus décente, plus conviviale?» «Quels que soient nos peurs, nos angoisses, nos réticences et nos refus, insiste Béatrice Jousset-Couturier, il est temps de comprendre et de s’interroger.» Et ce, avant que les intérêts économiques des uns et la fascination technologique des autres le fassent pour nous.

Quand l’esprit se rebiffe

Reste que le disque dur qui accueillera notre âme immortelle n’est peut-être pas pour demain. Si, via Ray Kurz, Google promet le téléchargement de notre conscience – mais c’est quoi, au fait, la conscience? – dans le nuage informatique, cet objectif n’est pas aussi assuré que certains le laissent entendre. Chercheur à l’Institut des systèmes intelligents et de robotique (ISIR), Nathanaël Jarrassé l’affirme: «On est très loin des promesses des courants idéologiques transhumanistes. Les recherches vont beaucoup moins vite que ce qu’ils avaient prévu.» Et d’ajouter: «Toutes les avancées récentes en neurosciences et sciences cognitives mettent en avant le fait que le corps et l’esprit sont intimement liés», ce qui prend à rebours l’hypothèse de départ des transhumanistes. Selon Nathanaël Jarrassé, nous sommes encore à «des années-lumière de comprendre ce qu’il en est du fonctionnement du cerveau humain dans sa totalité».

Il y aurait donc un rien de mégalomanie dans le rêve des transhumanistes? Pour le chercheur de l’ISIR: «Ils ont tendance à nier l’impossibilité scientifique. Or tout n’est pas qu’une question de temps, il peut aussi y avoir de vraies impossibilités

Vous en dites quoi, vous? Nous, on aurait tendance à faire… Ouf!

Améliorer l’être humain? Du meilleur au pire

L’œil bionique Véritable prouesse technologique, l’œil bionique permet de redonner la vue aux aveugles. Cet organe de substitution se compose de trois éléments: une caméra incrustée dans des lunettes, un ordinateur de poche qui transforme les informations de la caméra en un signal et une série de mini-électrodes, implantées dans l’œil pour transmettre le signal au cerveau. Aujourd’hui, trois start-up dans le monde proposent ce système de vision artificielle.

L’exosquelette Exosquelette signifie littéralement «squelette à l’extérieur». Cette armature technologique, ajustée au corps humain, vise à reproduire ses mouvements naturels. Le but? Rendre leur autonomie aux personnes handicapées, mais aussi réduire la pénibilité au travail ou encore décupler la force des soldats.

Manipulations génétiques En octobre 2016, un biologiste suédois a, pour la première fois, opéré une manipulation génétique sur un embryon humain en bonne santé. La nouvelle a rapidement créé la polémique. Si le chercheur promet de procéder à ces manipulations génétiques à des fins purement médicales, la crainte subsiste dans l’opinion publique de voir ces recherches détournées dans le but de créer des bébés sur mesure, soit de laisser libre cours à la tentation eugéniste.

Immortalité par auto-conservation Aujourd’hui, une firme propose aux personnes les plus riches de la planète de se constituer littéralement un compte épargne ADN grâce à un fragment d’épiderme. L’idée? Faire en quelque sorte une sauvegarde génétique de sa personne pour se réinitialiser (cellules ou organes), le jour où notre machinerie corporelle buggera. Avis aux amateurs.

Glossaire

Transhumanisme Ce courant de pensée a émergé dans les années 1980 et prône l’usage des sciences et des techniques afin d’améliorer la condition humaine, en particulier en éliminant le vieillissement et en augmentant les capacités intellectuelles, physiques et psychologiques de l’être humain.

Eugénisme Ensemble des recherches (biologiques, génétiques) qui ont pour but de déterminer les conditions les plus favorables à la procréation de sujets sains et, par là même, d’améliorer la race humaine.

La bionique La bionique est la science qui a pour objet l’amélioration de la technologie en prenant pour modèle des systèmes biologiques, présents tant dans le monde animal que végétal.

Cryogénisation La cryogénisation consiste à conserver une partie ou tout un être humain en état de mort clinique, dans l’azote liquide dans l’espoir de pouvoir un jour le ramener à la vie.

Cyborg Contraction de «cybernetic organism» (organisme cybernétique). Dans le vocabulaire de la science-fiction, il est la fusion de l’être organique et de la machine. Aujourd’hui, le cyborg serait selon certains d’ores et déjà une réalité. Une personne ayant un stimulateur cardiaque ou une hanche artificielle, par exemple, peut déjà correspondre à cette définition.

Les NBIC Les NBIC se réfèrent à la convergence entre différents domaines, soit les nanotechnologies, la biogénétique, l’intelligence artificielle et les sciences cognitives. L’expression NBIC est utilisée pour souligner l’interconnexion croissante entre l’infiniment petit (nano), la fabrication du vivant (bio), les machines pensantes (Intelligence) et l’étude du cerveau humain (cognitif).

La Singularité La Singularité est l’hypothèse selon laquelle les progrès dans le domaine de l’intelligence artificielle augmenteraient soudain si rapidement qu’ils en viendraient à produire une super-intelligence qui dépasserait l’intelligence humaine et s’en affranchirait alors totalement.

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