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Décryptage: je t'aime donc je t'espionne sur le Web

Femina 51 Dossier Espionner Portable
© iStockphoto.com

Je sais, ce n’est pas très correct! Mais je ne peux pas m’empêcher de jeter un œil à la boîte mail de mon mari», avoue Isabelle, gênée. Elle ne lui reproche rien et il ne lui donne aucune raison de s’inquiéter, mais «c’est plus fort que moi: je suis comme une enfant devant un gâteau qu’elle n’a pas le droit de toucher… Je finis par désobéir et le dévorer!» Son péché? Avoir interconnecté et synchronisé tous les périphériques électroniques de la maison, sans les protéger par des mots de passe. «Avec le partage des connexions, lorsqu’un message arrive chez l’un des utilisateurs du réseau, tout le monde est au courant, explique Stéphane Koch, spécialiste des technologies de l’information à Genève. Sans protection, l’activité électronique des autres est ainsi à portée de clic. C’est extrêmement incitant.» Une petite manip de derrière les buissons pour jouer l’agent de la CIA à l’échelle de son couple. Et Isabelle est loin d’être un cas isolé.

En 2015, une enquête du cabinet Harris Interactive, réalisée auprès de 2200 Français, stipulait qu’un quart de ce panel surveillait le téléphone de son conjoint. Chez les moins de 35 ans, le résultat atteint même 40% et frôle le tiers côté femmes. Ce phénomène impressionnant de l’espionnage conjugal viendrait de l’omniprésence, dans nos vies, d’objets connectés – tous ces smartphones, tablettes et ordinateurs qui nous donnent accès à l’existence digitale. «Notre rapport à ces outils est très intime. Le téléphone est devenu la tour de contrôle et le reflet de notre quotidien, remarque le sociologue Olivier Glassey, spécialiste de l’usage du numérique et des nouveaux médias à l’Université de Lausanne (UNIL). Objet de toutes les tentations, cet appareil attise la curiosité de qui veut mieux nous connaître, parfois à notre insu.» Et, là, le téléphone perd de son smart pour devenir boîte de Pandore.

Le net se charge du reste

Une boîte de Pandore facile à pirater. Si, autrefois, les espions professionnels à la James Bond devaient se fournir en gadgets improbables chez des scientifiques un peu déjantés, les mini-barbouzes du quotidien actuel n’ont plus besoin de collectionner les doctorats. Vous avez des compétences informatiques basiques? Le net se charge du reste! Il propose en effet un florilège d’applis de surveillance et autres taupes de mobile. «Installer un logiciel espion se fait en quelques minutes si l’appareil est déverrouillé, renseigne Stéphane Koch. Le smartphone est un ordinateur comme les autres. Cryptés ou pas, les modèles privés sont vulnérables.» Le hacker peut aussi dévier l’usage de logiciels intégrés au téléphone. «L’activation des fonctions prévues pour retrouver un appareil en cas de perte ou de vol peut parfaitement servir à la géolocalisation de son propriétaire. Naïfs, les utilisateurs connaissent mal l’éventail des possibilités offertes par ces petits appareils.»

Souvent présentés comme des outils de surveillance parentale, ces mouchards se font complices de la paranoïa d’un conjoint méfiant ou d’un amant éconduit. Insidieusement, sans éveiller le soupçon, les logiciels espions donnent accès à tout le contenu d’un smartphone – y compris à celui d’applications dites sécurisées – et permettent d’écouter en direct les conversations téléphoniques ou l’environnement sonore de l’engin. «Il faut aussi se méfier des cadeaux empoisonnés, conseille Mohammed Soukab, gérant de boutiques de téléphonie à Genève. Un de mes clients m’a demandé de vérifier si le téléphone offert par son épouse contenait un mouchard: effectivement, il était piraté. A l’inverse, il arrive qu’on nous demande d’en déverrouiller sans avoir les codes. Compliqué, coûteux, mais possible.»

Des béquilles à nos doutes

Sur les forums, on ne compte plus les questions d’amoureux moins scrupuleux que suspicieux qui cherchent à recueillir des techniques pour se glisser en sous-marin dans la vie 2.0 de leur moitié. Réglages subtils de paramètres, exploitation de la moindre trace numérique laissée par chéri(e), voire applis spécialisées censées aspirer des données: l’armada technologique à disposition des néo-espions a explosé en quelques années. Et si l’offre pullule, c’est bien que la demande est forte. D’où nous vient cette irrépressible envie de fliquer nos amours?

Selon Christian Reichel, conseiller conjugal, «nos vies ultraconnectées exposent les couples, les mettent en danger et génèrent un sentiment d’insécurité grandissant.» Sans compter les possibilités, décuplées par le web, de rencontres et d’histoires parallèles qui exposent davantage à des vécus traumatiques. Si la peur d’être abandonné ou trompé est ancrée dans le panel classique des anxiétés conjugales, les outils numériques nourrissent ces émotions nocives et les intensifient. Pour échapper à ces angoisses, le besoin de contrôler l’existence d’autrui devient chronique. Pour Olivier Glassey, «le contrôle total de l’autre est le véritable enjeu de cette surveillance. Par la possibilité de cette traçabilité constante, on imagine presque pouvoir atteindre ce fantasme!»

Ainsi, les nouvelles technologies se substituent à la confiance, ce sentiment si fragile et si nécessaire au couple. «En facilitant la surveillance des proches, nos outils numériques deviennent des béquilles à nos doutes. Ils pallient nos troubles de la confiance», explique le sociologue. A croire qu’espionner l’autre n’est que la partie émergée d’un iceberg psychique et moral plus vaste où jalousie, manque de confiance en soi et peur de l’abandon tentent de se dissimuler sous la ligne de flottaison. D’où une sujétion de plus en plus grande à la tentation, que la vaste palette des possibilités d’espionnage digital banalise. Et démocratise.

Cela va ainsi du simple regard jeté sur un écran à la fouille détaillée des messages, journal d’appels, galerie photos ou comptes bancaires. Cela peut se signaler par un comportement un peu collant – «quelqu’un qui vous appelle continuellement cherche aussi à savoir où vous êtes et ce que vous faites», commente Olivier Glassey. Il arrive que l’ennui soit le mobile de l’espion – «il se nourrit de la vie des autres pour faire palpiter la sienne», relève Christian Reichel, conseiller conjugal et familial chez Antenne couples à Chavannes-près-Renens. Ou que le cyberespionnage passe en mode agent double: «Pour m’assurer de la fidélité de mon compagnon, je me suis fait passer pour une autre en créant un faux profil, puis je l’ai demandé en ami sur Facebook», confesse Aurélie. Le poisson n’a jamais mordu et elle s’en est voulu d’avoir essayé.

Pour les moins créatifs en la matière, nul besoin d’être 007. En version plus soft et moins intrusive, certaines messageries instantanées, telles que WhatsApp ou Messenger, font de la cybersurveillance un prolongement innocent du service offert. Du fait de l’horodatage, de la mention «en ligne» ou de l’heure de la dernière connexion qui apparaissent en marge du nom du contact. On sait ainsi si Jules est connecté, si Arthur a lu notre dernier message – pourquoi diable nous ignore-t-il ou ne répond-il pas à la minute?! D’apparence anodine d’abord, parce que vite reléguée au rang d’habitude réflexe diluée dans le quotidien, il arrive que la surveillance de l’autre glisse vers le maladif et prenne des proportions incontrôlables. Pour Anne Jeger, psychologue à Lausanne, elle peut même finir par semer la zizanie dans un couple. «Ces applications permettent le contrôle de l’autre en direct. Utilisées à mauvais escient, elles mettent la confiance à rude épreuve, exacerbent la jalousie et la méfiance.» Lorsqu’on s’aperçoit que son conjoint s’est connecté à 4 h du matin tandis qu’on dormait à ses côtés, par exemple. Ou lorsque, innocent et les yeux dessillés, celui-ci récompense notre intrusion d’un «courage fuyons!» salutaire.


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Je t’aime moi non plus

Parfois, ladite intrusion va très loin. Judith se rappelle le chantage quotidien de son mari qui, chaque soir, lui demandait de lui montrer son portable. «Il surveillait tous mes échanges et les réinterprétait comme bon lui semblait.» Pour Jasmine Gage, lifecoach à Genève, «un cas aussi extrême est pathologique et relève d’une manipulation empreinte de perversion.» Autre cas de figure: «La surveillance (qui) s’envenime au moment d’une séparation. Sans être des preuves à charge, les révélations émanant d’outils électroniques sont mentionnées dans la moitié des cas de divorce», indique l’avocat sédunois Sébastien Fanti. Si on confesse rarement avoir espionné, on se sert des anecdotes collectées pour échafauder sa défense. Voire pour persécuter l’autre. «Certains de mes clients ont vu leurs photos intimes diffusées sur les réseaux sociaux. Ce type d’atteinte à la vie privée relève du pénal et est passible de poursuites.»

Pour certains, à l’opposé, jouer la carte de la transparence numérique aide à construire une relation. Des applis comme Couple tracker ont même été développées dans ce sens: elles s’installent sur le natel du conjoint... avec son accord, cette fois.

Open data ou cryptage des données, l’essentiel, rappelle la psychologue Anne Jeger, «est de trouver le bon équilibre et le bon «contrat» de fonctionnement pour chaque couple, sans imposer ses volontés». Au fond, si les bonnes manières balisent notre vie sociale, les règles du savoir-être numérique sont encore à écrire. Par tout un chacun, pour l’instant. Lequel «chacun» emploie chaque jour cette précieuse liberté à entourer son grand amour de soins choisis à sa propre image. Quelle qu’elle soit.

Comment se protéger?

L’établissement d’une confiance mutuelle est bien évidemment l’arme la plus efficace contre l’espionnite dans le couple. Mais la perfection n’étant pas de ce monde, voici une petite sélection d’outils destinés à protéger votre vie (électronique, en tout cas).

Des applis Signal chiffre de bout en bout les conversations téléphoniques et les SMS sans garder de copie sur un serveur. Ce logiciel libre a même été utilisé par Edward Snowden. (iOS et Android).
Hoccer protège votre identité, vos contacts et permet de transmettre des données en toute sécurité. (iOS et Android)
SOMA propose les mêmes services que WhatsApp tout en proposant un chiffrement de bout en bout. (iOS et Android)

Des antivirus Avast, McAffee, Norton proposent aussi des versions pour les smartphones.

Des téléphones Le Blackphone 2, lancé par la société genevoise Silent Circle, est un smartphone sécurisé en vente sur le net. Dès 599 fr.
Le Blackberry PGP consiste à ajouter un logiciel de cryptage à ce téléphone orienté business. Disponible sur le web dès 1000 fr. env.

8 raison de ne pas fouiller dans son smartphone…

1. Vous n’aimeriez pas qu’il vous espionne, lui! «Vade retro» la surveillance étouffante et place au dialogue en cas de doute.

2. Trop peur de perdre sa confiance. Prise le nez dans son téléphone, vous irez droit au clash et susciterez la méfiance qui étiole les couples.

3. Vous respectez son jardin secret jusqu’en sa parcelle numérique. N’est-ce pas précisément le mystère qui participe à l’attraction amoureuse, nourrit votre désir et votre imaginaire?

4. Lâchez prise et n’essayez pas de tout savoir. La correspondance détaillée avec belle-maman qui vous critique, franchement, vous vous en passez.

5. Attention, quand on cherche quelque chose, on finit par le trouver! Surtout lorsqu’on est d’un tempérament jaloux et qu’on voit dans chaque indice une preuve de trahison.

6. La vie se conjugue au présent. Alors n’exhumez pas le passé ni le come-back virtuel de ses ex.

7. Méfiez-vous de votre imagination débordante. Inutile de réinterpréter, version parano, chaque photo ou message qui vous paraît ambigu.

8. Surveiller l’autre peut vite devenir une obsession et conduire à la jalousie maladive. Fuyez ce triste sentiment aussi usant que chronophage.


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