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Le harcèlement a saboté ma confiance en moi

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Se taire, c’est donner raison à ses agresseurs et s’enfermer dans sa peur.

© Olivier Lovey

Nouvelle venue et tête de Turc

Jusqu’à mon arrivée dans un nouveau collège à l’âge de 12 ans, j’étais une jeune fille à la personnalité bien affirmée, entourée par de nombreux amis. Pratiquant un sport individuel à haut niveau, j’ai pris la décision de quitter mon environnement familier pour aller dans un établissement scolaire qui me permette de suivre une filière sport-études.

Si mon intégration en classe s’est bien passée, il en a été tout autrement au réfectoire durant la pause de midi. Le premier jour, en tant que «petite nouvelle», j’ai fait profil bas face aux groupes déjà formés. Les filles étant en minorité, j’ai voulu rejoindre une table où se trouvaient deux autres sportives un peu plus âgées. Au lieu de bien m’accueillir, l’une d’elles a fait une plaisanterie sur mon nez. Intimidée, je n’ai pas osé répliquer. Mal m’en a pris: à partir de ce moment, je n’ai plus pu manger sans entendre des moqueries au sujet de mon appendice, certes bien présent, mais qui ne m’avait jamais posé de souci jusque-là. Personne n’a osé s’opposer à cette fille qui avait manifestement décidé de me prendre comme tête de Turc. Mon calvaire commençait dès la sortie de classe, sur le chemin qui menait du collège à la cantine. Ma harceleuse criait bien fort le sobriquet dont elle m’avait affublée pour que tout le monde l’entende. J’avançais tête baissée, au milieu des ricanements. Je me sentais honteuse, ainsi humiliée en public.

Les premiers jours, j’avais espéré pouvoir trouver du soutien auprès d’une enseignante qui nous accompagnait au réfectoire. Je m’asseyais à ses côtés, ce qui n’empêchait pas cette fille et ses comparses de m’insulter et de me dénigrer. Etrangement, alors que cette prof savait se faire respecter pendant les cours, elle ne disait rien et les laissait faire leur loi, ce qui renforçait leur sentiment d’impunité. A force d’être rabaissée en permanence sans que personne n’intervienne, j’en suis arrivée à penser que c’était réellement moi le problème.

Un lourd secret

Ce harcèlement a duré toute l’année scolaire. Je redoutais d’aller à l’école le matin et j’étais prise d’angoisse à l’approche de midi. J’allais forcément me trouver face à cette bande qui ne cessait de me mettre plus bas que terre. Ces quolibets m’ont fait perdre toute confiance en moi. Alors qu’avant j’étais ouverte et souriante, je me suis repliée sur moi-même. Toujours sur le qui-vive, j’avais l’impression que tous ceux que je croisais se moquaient de moi. J’attendais de retrouver mon lit le soir pour m’écrouler en larmes. Très proche de mes parents, je ne voulais pas les décevoir en leur racontant ce que je vivais. S’ils savaient que j’étais le souffre-douleur de certains de mes camarades, ils n’auraient pas manqué de réagir. Et cela aurait encore aggravé la situation car je me doutais que cela me vaudrait des représailles.

Il n’empêche, ce lourd secret n’était pas facile à porter. Heureusement que j’avais mon sport – où j’obtenais de très bons résultats – qui me permettait de m’évader et de sentir que je valais quand même quelque chose. Mais ces courts répits ne duraient pas. Dès le lendemain, je replongeais dans ce cauchemar. A force de dévalorisations constantes, j’étais persuadée d’être moins bien que les autres. Et d’être moche. Ils avaient raison: dès que j’aurais 18 ans, je ferais refaire cet affreux nez!

A la rentrée suivante, l’investigatrice de cette croisade à mon encontre n’était plus là, mais le mal était fait. Durant les pauses de midi, je me tenais en retrait des autres. Le silence valait mieux que les moqueries. De toute façon, qui aurait eu envie de parler avec moi puisque je n’étais pas intéressante? Persuadée d’être nulle, je restais à distance. Mon estime de moi était au plus bas. Complexée, je ne me trouvais pas jolie. J’observais les premiers flirts entre adolescents avec l’impression qu’aucun garçon ne voudrait jamais de moi.

Prendre la défense des plus faibles

A 15 ans, en arrivant dans un nouvel établissement scolaire – toujours en filière sport-études – j’ai décidé de m’imposer tout de suite et montrer mon caractère. Il était hors de question que je me laisse marcher sur les pieds! J’ai eu la chance de tomber dans une très bonne classe et de me faire rapidement des amis. De plus, étant une jeune fille élancée, contrairement à beaucoup de mes camarades pratiquant un sport à haut niveau, j’ai reçu des compliments sur ma silhouette. Ce qui a participé à la reconstruction de ma confiance en moi. Une étape qui a tout de même pris des années. Car le harcèlement, quel qu’il soit, est source de souffrances morales et laisse des traces indélébiles. La violence de certains mots a une portée qu’il ne faut pas négliger. Ce qui peut sembler une ritournelle «juste pour rire» peut anéantir la vie d’une personne. Je suis bien placée pour le savoir.

Ce n’est que récemment que j’ai parlé à ma famille de cette expérience. Mes parents m’ont encouragée à témoigner afin que d’autres ne subissent pas le même sort. A l’adolescence, on est très vulnérable. On ne sort pas indemne d’un tel acharnement. Avec du recul, j’ai l’impression qu’on m’a volé de belles années d’insouciance et je regrette de ne pas en avoir parlé à mon entourage. Se taire, c’est donner raison à ses agresseurs et s’enfermer dans sa peur.

Par la suite, j’ai eu l’occasion de «jouer les justicières». En effet, dans ma classe, il y avait une jeune fille souffrant d’un léger handicap et considérée comme bizarre. Elle a commencé à être l’objet de moqueries de la part de garçons. Mon sang n’a fait qu’un tour. J’ai pris sa défense en disant que c’était trop facile de s’acharner sur elle. Comme j’étais respectée, on m’a écoutée.

A l’avenir, je souhaite travailler si possible dans la police, dans la brigade des mineurs, afin de pouvoir prendre la défense des plus faibles. Car je compte bien transformer cette période noire de ma vie en atout. Sensibilisée à la problématique du harcèlement, je veux lutter contre ce fléau de plus en plus présent, notamment sur les réseaux sociaux.

Plus d'infos sur «Parler peut sauver».

* Nom connu de la rédaction


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