Femina Logo

famille

Cohabiter avec son enfant devenu adulte, mode d’emploi

Cohabiter avec son enfant devenu adulte mode demploi 2

Comme dans le film «Tanguy» (une suite est d'ailleurs en préparation), de très nombreux jeunes adultes continuent à vivre chez leurs parents pour des raisons économiques... mais aussi parce qu'ils s'y sentent bien!

© NAC FILMS/ERIC DE LA HOSSERAYE

La vaisselle en rade dans l’évier, le linge sale en bouchon au fond de la salle de bains, les courses pas faites, le frigo dévalisé, les factures en souffrance, l’aspirateur désespérément inactif, les chaussures et affaires de sport oubliées des jours durant devant la porte d’entrée ou les rouleaux de papier toilette laissés vides sur le dévidoir. Ça, c’est le quotidien de Katia – sémillante Neuchâteloise qui cohabite avec son fils Basile, 20 ans. Loin d’être marginale, cette situation qui fait immanquablement penser au film Tanguy – dont la suite est pévue pour bientôt – touche des milliers de familles en Suisse: selon un sondage effectué au printemps 2017*, que ce soit pour des questions pratiques et financières ou simplement parce qu’ils s’y sentent bien, un quart des 20-29 ans vivent en effet encore chez papa-maman (voir encadré). Comme les autres, Katia ne sait plus trop comment gérer les rapports avec cet adulte qui s’évertue à se comporter comme un ado, tout en revendiquant qu’il a passé l’âge de se faire «enguirlander» ou «menacer de punition». Les tensions et frictions ponctuent donc la vie en commun.

Les points de friction

Parmi les doléances régulièrement exprimées par les parents interrogés à l’encontre de leurs colocataires: une nonchalance manifeste quant à leurs études, qui s’éternisent; un je- m’en-foutisme général, doublé d’une propension à paresser de longues heures devant une série TV ou un jeu vidéo; une incapacité à gérer un budget et une tendance aux dépenses inutiles; un défilé d’amoureux-ses. Sans oublier LE point le plus fréquemment conflictuel: les tâches ménagères, au sens large, auxquelles la plupart des enfants semblent définitivement réfractaires. Voire allergiques.

Ainsi Isabelle, une joyeuse infirmière vaudoise dont le fils de 26 ans, atteint de vaissellophobie aiguë et chronique, ne lave «strictement jamais une assiette ou un verre, pas plus qu’il ne lance ni ne vide le lave-vaisselle». Ou Christina, de Nyon, qui rit (jaune) en racontant que sa cadette de 23 ans «râle comme un putois si le repas n’est pas prêt à 19 h 30 tapantes (alors que je finis le boulot à 18 h 45!) ou si le repassage traîne…»

Une forme d’esclavage volontaire que supporte également Alexandra. Totalement dévouée à ses trois petits, aujourd’hui 31, 26 et 21 ans, cette douce graphiste lausannoise va même jusqu’à courir, après le travail, pour faire les courses de son cadet… alors que celui-ci est en vacances!

Sacha, commerçante neuchâteloise et mère de deux filles de 22 et 25 ans, résume l’affaire par un lapidaire: «Je suis la bonniche!» Certes. En attendant, toutes ces mères – et leurs conjoints aussi, d’ailleurs – acceptent de continuer à se la jouer maman ou papa poule. Et que leur couvée soit censément capable de se débrouiller n’y change rien: ils ont beau pester, enrager, protester ou, parfois, rire avec un rien de désespoir de leurs déboires domestiques, ils restent quoi qu’il arrive au service de leur progéniture, en acceptant ce qu’ils n’accepteraient de personne d’autre. Et pourquoi donc? «La culpabilité de penser qu’on ne réalise pas suffisamment bien son rôle de parent joue souvent un rôle important», relève le pédopsychiatre lausannois Michel Bader.

Pour la doctoresse Katherina Auberjonois, responsable de la Consultation psychothérapeutique pour familles et couples des HUG, il est aussi question d’attaches familiales: «Ces liens ont une portée affective particulière, non comparable à d’autres liens dans la vie, comme l’amitié par exemple. La famille constitue la base de notre identité, elle est le lieu de nos apprentissages relationnels, nous sommes inscrits dans un roman familial sur plusieurs générations. Cela donne une appartenance forte, qui ne s’envole pas au premier conflit.» Autrement dit, comme l’exprime Katia:

«Eh bien oui… il peut faire n’importe quoi, il reste mon bébé!»

Alors quoi… faut-il continuer à subir – quitte à piquer des crises de rage (inutiles!) quand on trouve que la chair de notre chair pousse le bouchon trop loin? Non, évidemment… mais concrètement, que faire? Comment rétablir une forme d’équilibre qui serait agréable pour l’entier de la tribu?

Parents, grandissez!

Pour le sociologue Michel Fize, spécialiste des relations interfamiliales et auteur de Radicalisation de la jeunesse‌, la montée des extrêmes (Ed. Eyrolles, 2016), il est évident qu’un «enfant ne peut pas être adulte uniquement quand ça l’arrange». Mais pour qu’un changement s’opère, c’est d’abord aux pères et mères de «grandir», insiste-t-il.

«Parent de minot n’est pas le même boulot que parent d’ado et, a fortiori, que parent d’adulte!» martèle le sociologue.

«Avant toute chose, nous devons réaliser et admettre que NOUS mettons nos enfants dans ce bain de facilité. Nous les infantilisons en faisant tout à leur place et en supportant leurs éventuelles irresponsabilités.»

La Dre Auberjonois, note, elle, qu’avec la fragilisation des liens conjugaux, de nombreux parents ont surinvesti le lien avec leurs poussins. Pour le coup, certains d’entre eux ne quittent pas le nid par loyauté, parce qu’ils pensent que leur départ pourrait générer de la souffrance: «Ils peuvent se sentir obligés de rester à la maison. On parle alors de parentification (ndlr:l’enfant prend le rôle de parent de son parent.)». Or, pour la thérapeute, «les mères et les pères devraient se montrer responsables de gérer eux-mêmes la suite de leur vie affective. Les enfants ne sont pas leurs partenaires alternatifs!» Katherina Auberjonois reprend: «L’une des tâches parentales est aussi d’amener les petits à s’envoler. On dirait que pas mal de gens préfèrent l’oublier!»

Un avis que partage le pédopsychiatre lausannois Michel Bader: «On doit mener une réflexion sur les motivations conscientes et inconscientes des satisfactions et des bénéfices secondaires que nous avons comme parents à maintenir une dépendance financière, logistique et affective. Il faut se remettre en question et, en s’efforçant de ne pas (le) culpabiliser, éviter de s’enfermer dans des conflits répétitifs et contre-productifs, trouver un équilibre entre les besoins réels d’aide à un jeune adulte et les limites structurantes qui peuvent lui être imposées afin de privilégier les processus d’autonomie!»

Autonomie qui peut d’ailleurs être favorisée par un séjour à l’étranger, fût-il de courte durée, comme le suggère la Dresse Auberjonois: «Là, ils ont goûté à une vie indépendante et, souvent, le retour à la maison marque une période de transition durant laquelle la famille donne un coup de pouce affectif et financier avant un nouveau départ. Dans ce cas, il est encore plus indiqué de bien échanger autour des attentes de tous, surtout concernant le va-et-vient des amis ou des partenaires!»


A lire aussi:
«Je ne veux pas d’enfant. Et non, je ne suis pas égoïste.»
Logement: les nouvelles façons d'habiter
Les stratégies à adopter face à un enfant tyrannique


Coupez enfin le cordon!

Parfaitement d’accord avec cette vision des choses, Michel Fize ajoute: «Pour que les discussions soient constructives, il est primordial de se repositionner, de sortir de ce système de hiérarchisation et de pouvoir parental. Nous avons affaire à des personnes majeures et devons donc les traiter comme telles.» Dans cette perspective, il recommande par exemple de modifier la manière de s’adresser à sa progéniture: «Quand on a des choses à mettre au point, on ne devrait pas commencer ses phrases par un «tu», qui est vite pris comme un accablement ou une accusation, mais par un «je», grâce auquel on pratique l’empathie sentimentale. Ce qui donne, en gros: Je comprends que tu as envie de sortir, de ne pas passer l’aspirateur ou de ne pas ouvrir ton courrier, mais ça me pose un problème parce que…»‌

En résumé, explique Michel Fize, il s’agit donc de couper le cordon et de définir ensemble un modus vivendi.

Lequel est fondé sur le compromis, le partenariat et un dialogue qui prend en compte tous les aspects de cette nouvelle donne: le ménage, bien sûr, mais aussi l’intimité. Ou encore les aspects financiers: «Prenons le cas d’un jeune adulte qui ne paie pas ses factures. Ses parents doivent-ils assumer à sa place, alors qu’il en est juridiquement responsable? Non. En revanche, ils peuvent l’aider, mais dans une logique de prêt. De même, l’idée d’une petite contribution versée par le jeune peut aussi aider les deux parties à mieux s’envisager dans une relation égalitaire.» Un truc qui s’est en effet avéré utile pour Alexandra:

«L’été dernier, ma fille aînée (31 ans…) a commencé à me verser quelques sous. Depuis, elle a un peu changé d’attitude, comme si elle se sentait tout à coup plus impliquée. Ce n’est pas du 100%, mais c’est déjà beaucoup mieux.»

Organiser un «rite de passage»

Prise de conscience parentale, puis mise à plat et dialogue égalitaire seraient donc les clés d’une cohabitation sympa.

En théorie, c’est simple. Reste que le passage à l’application pratique peut s’avérer plus complexe, non? Bien conscient qu’il n’est pas réaliste de vouloir «changer ses valises de mauvaises habitudes du jour au lendemain», Michel Fize n’en reste pas moins optimiste. Il estime que la mutation peut s’enclencher par une espèce de rite de passage. «Vous organisez une réunion de famille où vous prenez solennellement l’engagement de traiter vos enfants pour ce qu’ils sont: des grandes personnes!» Une solution que la doctoresse Auberjonois estime opportune:

«Il est judicieux de marquer d’une manière ou d’une autre la transition de la vie d’enfant dans sa famille à une cohabitation entre adultes.» Comme un signe d’une nouvelle relation de mutualité, d’égal à égal.

Histoire de renforcer encore l’impact de cette étape, si la discussion ne suffit pas à régler les petits soucis du quotidien, l’idée d’un contrat de colocation applicable aux deux parties est aussi utile (voir encadré). Une option qui enchante de nombreux jeunes adultes qui, eux aussi, peuvent parfois trouver la cohabitation un chouïa compliquée. Dont Zoé, 22 ans, qui s’enthousiasme: «Ah oui, trop bien, la charte! Ça me permettrait de remettre à l’ordre ma bordélique de mère!» Et d’enfin passer l’aspirateur? U

*Source: sondage de comparis.ch, mai 2017

Pourquoi ne s’envolent-ils pas?

Les raisons qui poussent un jeune adulte à rester chez ses parents? «Il y a d’abord une réalité économique, note la Dresse Auberjonois. L’autonomie financière s’acquiert plus tardivement actuellement et le coût de la vie (le logement, par exemple) est souvent trop élevé pour qu’un jeune puisse s’assumer d’une manière totalement autonome, tout en faisant des études ou un apprentissage.» Une donnée corroborée par l’étude de comparis.ch, qui montre que 45% des personnes interrogées n’ont pas les ressources nécessaires pour quitter le nid familial. Etude qui révèle par la même occasion que près d’un enfant adulte sur deux ne participe ni au loyer ni même aux courses.

Par ailleurs, note la thérapeute, il faut aussi tenir compte d’un phénomène sociologique assez récent:

«Les liens ouvertement proches entre les générations. En gros, il n’y a plus besoin de partir de la maison pour s’autonomiser. L’entente est bonne, il y a un confort de vie et toujours une oreille prête à les écouter!»

Une charte pour l’exemple

Arrêter de se prendre le bec pour la vaisselle ou les chaussettes jamais rangées? Le moyen le plus constructif et efficace d’y parvenir est de passer un contrat clair avec le jeune adulte. Selon nos experts, une charte de cohabitation devrait régler les points suivants: les moments à passer ensemble, la participation aux tâches ménagères, la participation financière – fût-elle symbolique –, le respect des espaces intimes, le droit (ou pas) de recevoir des amis, la possibilité d’inviter quelqu’un pour la nuit. Et, bien sûr, les conséquences d’une infraction à ces points – conséquences qui peuvent aller jusqu’à remettre en question la cohabitation.

Ci-dessous, un exemple de contrat passé entre des parents et leurs deux enfants âgés respectivement de 19 et 22 ans, l’un en dernière année d’apprentissage et gagnant un salaire d’environ 1500 fr., l’autre à l’Université et sans revenus.

1. Les moments ensemble: Le dimanche matin, brunch à 11 h 30. L’horaire est non négociable, samedi soir de folie ou pas.

2. Les tâches ménagères: Les chambres à coucher doivent être entretenues avec, au minimum, un coup d’aspirateur, un dépoussiérage et un changement de literie une fois par semaine. Par ailleurs, chacun est responsable de laver, repasser ET ranger son linge personnel.

Pour les espaces communs: le salon n’est pas un dépotoir. Personne ne laisse sa vaisselle sale au fond de l’évier (a fortiori sur la table) et la cuisine est nettoyée après avoir été utilisée. De même, le lave-vaisselle est lancé quand il est plein et vidé quand il a fini de tourner. La salle de bains est nettoyée à fond une fois par semaine au moins selon un tournus dûment établi. Entre-temps, les lavabos, WC, douche et baignoire sont rincés après usage. NB: le rouleau de papier toilette est remplacé quand nécessaire, même s’il reste un seul misérable et inutile coupon.

Quand un produit manque (beurre, yaourts, pâtes, papier de toilette, dentifrice…), le noter sur une liste de courses communes. NB: les petites spécialités perso de type chocolat noir au gingembre, compléments alimentaires ou douche à l’huile de monoï sont à la charge de celui/celle qui les consomme.

3. La participation financière: Au vu de ses revenus, l’enfant en fin d’apprentissage verse 200 fr. par mois à ses parents. L’universitaire sans salaire compense par des tâches spécifiques supplémentaires: par exemple lavage des vitres du logement quatre fois par an et devoirs hebdomadaires (panossage des sols, courses pour la famille, tonte de la pelouse, visite de proches âgés à l’EMS…)

NB: Il ne s’agit pas d’esclavagisme mais de responsabilisation!

4. Respect des espaces privés: Les chambres à coucher sont des territoires personnels inviolables. Pas question, donc, de venir fouiller dans les tiroirs et armoires les uns des autres et, partant, de s’emprunter des habits ou des produits cosmétiques.

5. Le droit d’avoir des amis à la maison: Les invitations sont possibles un soir par semaine, après s’être mis d’accord à l’avance sur les dates et les horaires.

NB: c’est à la personne qui invite de se charger des courses, des préparatifs et, évidemment, des nettoyages.

6. La possibilité d’inviter quelqu’un pour la nuit: quand les parents sont présents, seules les relations stables sont acceptées. En cas d’aventures à répétition: quand le chat n’est pas là… les souris dansent!

7. Le non-respect de ces clauses est sanctionné comme suit:

- Pour une transgression, discussion formelle avec rappel des conditions susmentionnées

- Ensuite, une amende de 10 fr. pour chaque infraction, jusqu’à concurrence de 100 fr.

- Au bout de 100 fr., soit 11 infractions, une menace d’expulsion.

- Retour au régime de 10 fr. mais sans remise à zéro du compteur.

- Au bout de 200 fr., soit 21 infractions, une nouvelle menace d’expulsion.

- Au bout de 300 fr., soit 31 infractions, le départ est formellement demandé.


Vous avez aimé ce contenu? Abonnez-vous à notre newsletter pour recevoir tous nos nouveaux articles!

Notre Mission

Un concentré de coups de cœur, d'actualités féminines et d'idées inspirantes pour accompagner et informer les Romandes au quotidien.

Icon Newsletter

Newsletter

Vous êtes à un clic de recevoir nos sélections d'articles Femina

Merci de votre inscription

Ups, l'inscription n'a pas fonctionné