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Enfants surprotégés: les conséquences de la paranoïa parentale

Petit garcon enfant casque protection

La course au «zéro risque» nuirait au développement de l'enfant.

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«Il n’y avait pas de sécurité enfant sur les armoires et les bouteilles de médicaments. Nous pouvions faire du vélo sans casque. Nous buvions de l’eau à même le tuyau d’arrosage, pas d’une bouteille stérile. Nous mangions des petits gâteaux, du pain et du beurre. Nous buvions des sodas qui contenaient beaucoup de sucre. Mais nous n’étions pas en surpoids parce que nous étions toujours en train de jouer à l’extérieur...»

Dans un récent post partagé plus de 60000 fois sur Facebook et devenu un véritable buzz 3.0 de l’été, le musicien canadien Stev Marcotte dénonce le précautionnisme aigu que notre société impose désormais aux jeunes pousses. Avançant même que «tous les enfants nés dans les années 50, 60 , 70 et même 80 jusqu’à 1987, ne devraient pas avoir survécu». Coup de provoc assumé, certes, mais le message fait réfléchir.

De l'insouciance à la peur

Le gamin que vous étiez a peut-être en effet connu cette enfance insouciante. C’était avant que le risque et la peur enveniment notre quotidien. Un temps béni où faire les 400 coups voire plus sur le chemin de l’école ne rimait pas avec danger, mais contribuait à l’apprentissage de la vie.

Aujourd’hui, il suffit de s’asseoir sur le banc d’une aire de jeu et d’observer. Sol amortissant et toboggan pas trop haut remplacent tourniquets-catapultes et cages à grimper métalliques d’autrefois. Vissées sur la balançoire tape-cul, les règles de sécurité rappellent clairement les dangers potentiels de l’endroit et expliquent peut-être le comportement inquiet des parents. D’ailleurs, pas très reposant pour eux d’aller au square: aux aguets, ils restent postés au garde-à-vous, prêts à anticiper la moindre chute. Pendu à leurs lèvres en permanence, le mot ATTENTION coupe court à toute activité jugée dangereuse. «Attention ça glisse, ça penche, ça pique. Attention tu vas tomber, te faire mal!» La liste des avertissements et des interdits n’en finit plus de s’allonger.


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L’ère de l’hyperparent

La situation peut paraître paradoxale: le petit casse-cou d’hier, celui qui prenait plaisir à construire des cabanes dans les arbres, à rentrer boueux et les genoux écorchés, se serait métamorphosé en un parent poule mouillée. Traumatisé par le danger, cet hyperparent vise le risque zéro pour sa progéniture et espère y arriver par une surprotection permanente. Il porte même un nom: le parent-hélicoptère, car il «plane au-dessus de son enfant et vole à son secours au moindre problème», explique Daniel Stoecklin, professeur de sociologie à l’Université de Genève.

Papa-hélicoptère repenti, Jean se souvient de son comportement avec ses jumeaux. «Lorsqu’ils étaient petits, mon anxiété me poussait à les surveiller continuellement. Par la suite, je me suis surimpliqué dans toutes leurs activités, qu’elles soient scolaires ou non.» Même sans être sollicité, Jean conseillait ses fils en permanence dans leurs choix. A l’adolescence, leur incapacité à décider par et pour eux-mêmes finit par l’étonner. «J’ai compris mon erreur: mon comportement excessivement protecteur les empêchait de devenir des adultes autonomes et responsables.»

Une société «machine à dangers»

Phénomène récent, la surprotection parentale s’explique par différents facteurs. Attentats, accidents, enlèvements, pédophilie, catastrophes, la société dans laquelle nous vivons s’apparente plus à une fabrique à dangers qu’au décor bucolique et sécurisant de La petite maison dans la prairie. L’environnement extérieur, surtout en milieu urbain, paraît hostile pour les plus jeunes, pousse à la méfiance et à l’angoisse constante des parents. Pour le sociologue Sandro Cattacin, la surmédiatisation des drames explique aussi le niveau élevé de l’inquiétude parentale. «Hyperconnectés, nous sommes informés en continu de chaque fait divers. Dans cette spirale du sinistre, de nouveaux risques apparaissent sans cesse et nous rendent encore plus anxieux.» Un rapt d’enfant, même éloigné, inquiète et pousse parfois à vérifier où se trouve sa progéniture.

Pour se prémunir du danger, surestimer le risque devient la norme. Et c’est le bambin qui pâtit de l’inquiétude de ses parents et voit ses libertés se réduire. Ainsi, l’aspiration générale à la sécurité empêche de nombreux enfants de sortir de chez eux sans être accompagnés d’un grand. Restriction sans conséquence? Pas sûr.


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Les risques du «zéro risque»

«A l’âge adulte, ce ne sont pas ceux qui ont été surprotégés qui réussissent le mieux socialement et professionnellement», informe Julie Baumer, psychologue pour enfants et adolescents. Mis sous cloche, l’enfant peine à se sociabiliser et à se construire. Pour forger son caractère et gagner en confiance, une certaine autonomie doit lui permet de faire ses propres expériences et de prendre conscience du danger.

«Le plus grand risque pour un enfant est de ne pas être exposé au risque, estime carrément le sociologue David Le Breton, spécialiste de la question à l’Université de Strasbourg et auteur de Passions du risque (éd. Métailié). Pour affronter l’adversité de la vie, il a besoin de s’exposer au danger et de se frotter à la difficulté.»

Le priver de braver l’interdit produirait même l’effet inverse. «L’enfant se trouve pénalisé par ce comportement sécuritaire et finit toujours par essayer ce qui l’intrigue et l’attire. Plus on lui interdit de choses, plus il sera tenté d’expérimenter le danger. Et, par manque d’apprentissage, il prendra parfois des risques inconsidérés», estime Marc Haller, secrétaire général du Syndicat des enseignants romands, en faisant référence à des comportements violents ou dangereux. Pour l’ancien prof d’Ecublens, «plutôt que d’interdire, mieux vaut autoriser une prise de risque contrôlée et avertir l’enfant du danger».

Privé de sortie à la neige

Pire encore est la situation outre-Atlantique. Laura*, maman d’origine américaine vivant à Genève, décrit ce qui se passe aux Etats-Unis, avec l’inquiétude de voir la Suisse glisser vers la même paranoïa. «Dans certains Etats, laisser un enfant sans surveillance dans une poussette est tout bonnement interdit. Porter plainte est la maladie des Américains, surtout lorsqu’il s’agit du fruit de ses entrailles.» La judiciarisation croissante de notre société explique d’ailleurs en partie la surprotection des plus petits. «Quand un accident arrive, tout le monde s’acharne à chercher le coupable pour lui coller la responsabilité des faits, explique Marc Haller. Aussi, chacun veut se couvrir.»

L’école, qui pousse au comportement sécuritaire, est un bon exemple de ce glissement, parfois jusqu’à l’aberration. «Pour une sortie neige à côté de l’école, la direction scolaire d’un établissement vaudois exige d’être prévenue 15 jours à l’avance. Les enseignants des classes enfantines ont renoncé à ce type d’activités devenues impossibles à organiser.» Résultat: même par une belle journée d’hiver, les élèves restent à l’intérieur!


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L'écorchure salvatrice

Pourtant, certains profs osent encore. Enseignant au Jura, David* organise volontiers des semaines de trek dans les Alpes avec ses collégiens. «Ceux qui viennent sont volontaires et les parents prévenus des risques. Petits bobos et foulures font partie des dangers d’une telle sortie et il nous faut les gérer. Au retour, les élèves sont contents et ont l’impression d’avoir vécu un moment fort et riche en expériences.» Partisans du risque formateur et de l’écorchure salvatrice, certains parents s’opposent à la sécurisation de la vie de leur chérubin et les envoient dans des écoles à la pédagogie différente.

«Chercher le risque zéro est le contre-exemple de ce que nous prônons, explique Sabine Tinelli, psychopédagogue et présidente de l’association des écoles Montessori en Suisse. Nous considérons qu’une prise de risque calculée, sous la surveillance d’un adulte, est indispensable pour un enfant et répond à ses besoins. Pour savoir qu’une aiguille pique, il faut se piquer!»

Pierre* n’a pas eu d’autre choix que d’envoyer son fils de huit ans – qualifié de turbulent – dans une école différente. «Je le sentais malheureux et trop contraint dans le système scolaire classique. Dans l’établissement où il se trouve aujourd’hui, la pédagogie est active. Il a le droit de grimper aux arbres, de se baigner dans une rivière, de couper son papier avec des ciseaux et de planter un clou avec un marteau. Parfois, on me traite d’irresponsable: je m’en fiche, moi je vois mon fils heureux.» Car jusqu’à preuve du contraire, l’apprentissage du monde se fait par l’expérience. Et le risque zéro n’existe pas encore.

*Les prénoms ont été modifiés

De l’enfant utile à l’enfant loisir

L’évolution de l’éducation et de la représentation sociale de l’enfant explique, en partie, la surprotection parentale. «L’enfant utile et travailleur d’autrefois est devenu l’enfant précieux d’aujourd’hui. Economiquement superflu dans notre société, il y est par contre émotionnellement inestimable, explique Daniel Stoecklin, professeur de sociologie à l’Université de Genève. Reconnu comme personne à part entière, on le protège, on lui accorde des besoins, puis des droits. Mais de fait, on ne l’écoute pas beaucoup et il participe peu aux décisions le concernant.» En permanence, cet être si cher est éloigné du danger. Dans l’espoir d’en faire un adulte performant, on le couvre d’amour et de protection, on investit dans son éducation pensée comme un plan de carrière. «Dans ce sens, la surprotection de l’enfant résulte aussi de la vision entrepreneuriale qui prédomine dans notre société aujourd’hui.»

Parfois, l’enfant précieux devient même un enfant loisir. «Certains parents semblent en avoir essentiellement pour les moments de plaisir et se défaussent de la gestion de leur éducation en la confiant à d’autres autorités, ou à l’école», note Jean-Marc Haller, secrétaire général du Syndicat des enseignants romands. Dans leur schéma familial, l’enfant lisse, sage et propret ne s’expose à aucun danger pour ne poser aucun souci. Pas de risque lorsqu’il végète bien sagement devant un écran!


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Interview: «Surprotéger son enfant part d’une bonne intention.»

Psychologue pour enfants et adolescents, Julie Baumer aide les parents trop protecteurs à vaincre leur anxiété.

FEMINA En psychologie, que signifie surprotéger son enfant?
Julie Baumer Il y a deux formes de surprotection. La première est physique et consiste à s’assurer en permanence que l’enfant est en sécurité, ne se fait pas mal ou ne court aucun risque d’enlèvement. Psychologique, la seconde forme de surprotection relève de l’éducation et de l’attitude quotidienne du parent avec son enfant. Laisser trop peu d’autonomie et de responsabilité, faire les choses à sa place et sous-estimer de quoi l’enfant est capable: ces attitudes ne lui rendent pas service et sont une forme de surprotection. Autre facteur de surprotection, l’éducation est perçue comme une compétition, un investissement dans lequel il faut s’engager pleinement pour conduire son enfant à la réussite. Le laisser perdre son temps en activités jugées inutiles et prendre des risques paraît peu compatible avec cette éducation qui vise la performance. Certains parents couvent aussi leur enfant parce qu’ils ont le sentiment de ne pas avoir reçu assez d’amour et de protection. Pour leurs propres enfants, ils se dirigent vers l’autre extrême.

La mise sous cloche permanente des enfants a-t-elle des conséquences sur leur développement?
Surprotéger son enfant part généralement d’une bonne intention. Mais, en étant trop couvé, l’enfant développera difficilement son sens de l’autonomie et manquera de confiance. Lui laisser une certaine liberté en lui confiant des responsabilités adaptées à son âge, afin qu’il soit efficace et capable de faire des choses seul, fait partie de son apprentissage. Il y a beaucoup de possibilités pour encourager l’autonomie de son enfant, sans pour autant prendre des risques ou le mettre en danger. Il faut trouver un juste milieu. La confrontation à la frustration est également importante pour son développement et le prépare à la vraie vie. Répondre à tous les désirs de son enfant ne le rendra pas heureux, mais plutôt capricieux et anxieux. Il aura du mal à gérer ses émotions ou à respecter l’autorité de ses parents.

Pour vaincre leur anxiété, que conseillez-vous aux parents-hélicoptères?
Je les encourage à se questionner pour comprendre d’où vient leur crainte excessive. Je les aide aussi à différencier les moments où elle est justifiée de ceux où elle l’est moins. Les parents peuvent aussi réfléchir à des choses qui rendraient leur enfant plus autonome sans qu’ils n’aient eux-mêmes peur. Par exemple, dans le cas de la petite course à l’épicerie, plutôt que de laisser un enfant y aller seul, les parents trop anxieux peuvent se rassurer en le laissant y aller avec l’un de ses frères ou sœurs, ou avec un copain. Savoir que son enfant est entouré est rassurant, car il sera plus en sécurité dans un groupe.


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