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Nom: Kara Kent. Signe particulier: cousine de Superman, dotée de superpouvoirs. Cette jolie blonde a été propulsée en juillet sur le petit écran américain dans le rôle-titre d’une nouvelle série. Au terme du premier épisode, diffusé sur la chaîne CBS, les critiques de «Supergirl» étaient plutôt tièdes. Dommage, tant son irruption dans le paysage audiovisuel venait joliment confirmer que les femmes ont pris le pouvoir sur le petit écran. En tout cas aux Etats-Unis, aux productions plus abouties qu’ailleurs. Même si, nuancent les spécialistes que nous avons interrogées, il existe de grandes différences entre les chaînes – les chaînes câblées prennent plus de risques que les autres. Il est vrai aussi que «les séries plus anciennes qui montraient des femmes fortes sont peu connues en Europe, soit parce qu’elles n’ont pas été diffusées, ou alors très tardivement ou confidentiellement», indique Séverine Barthes, maîtresse de conférences à l’Université de Paris III et spécialisée dans les séries. Et l’experte de citer «My So-Called Life» (« Angela, 15 ans», qui révéla la Claire Danes de «Homeland»), «The Mary Tyler Moore Show», «Cagney & Lacey», ou encore les personnages féminins dans les duos de héros ou les «ensemble shows» (séries avec de nombreux acteurs principaux): Scully dans X-Files, Buffy la vampire

Cette précaution énoncée, voyons un peu. A la rentrée américaine, les «Girls» de Lena Dunham, un groupe de copines hipsters à Brooklyn, entameront leur troisième saison; la suite de «Jane the Virgin», l’histoire d’une Latina inséminée à son insu, marchera sur les plates-bandes de «Supergirl». Quant à «Unbreakable Kimmy Schmidt», sur une jeune femme retenue captive pendant des années, elle est nominée à l’Emmy (l’équivalent des Oscars pour la télévision) de la meilleure série comique. La série qui résume bien le phénomène: «Orange Is the New Black», coup de poker réussi du site de visionnement Netflix (lancé en septembre dernier en Suisse). Depuis 2013, cette plongée dans une prison de femmes du Connecticut fait sensation. Les hommes, directeurs, gardiens ou ex-maris, sont dépeints comme des machos sans cervelle, alors que les femmes, de la très WASP Piper aux différentes détenues qui l’entourent, sont autrement plus complexes. La dernière saison s’est moins concentrée sur Piper que sur le parcours de ses codétenues, reflet de la diversité de l’Amérique… et de sa population carcérale: des Noires, des Latinas, des grosses, des lesbiennes, et même une transgenre, incarnée par Laverne Cox.

Un bastion machiste

Le contraste avec le bastion machiste qu’est le grand écran est d’autant plus frappant. Au printemps, une étude du Center for the Study of Women in Television and Film de l’Université de San Diego a souligné qu’en 2014 les femmes ont compté pour 12% des protagonistes des films les plus populaires à Hollywood, un pourcentage en baisse par rapport aux années précédentes. Alors qu’à la télévision, confirme Laurence Herszberg, à la tête du festival parisien Séries Mania, «nous sommes passés des ados, ou de l’épouse-mère au foyer, à de vrais personnages féminins, entiers, complexes, en tout cas sur les chaînes câblées américaines ou dans des productions européennes de qualité comme «Borgen» par exemple». Comment expliquer cette évolution? «Femme au foyer, la femme spectatrice de télévision était naturellement représentée en tant que telle dans les séries d’antan, de «Ma sorcière bien-aimée» jusqu’à «Desperate Housewives».» Il se peut aussi, le public des séries ayant toujours été très féminin, qu’il y ait eu dans un premier temps une «surreprésentation masculine, pour ne pas trop s’aliéner ce public: il faut faire de l’audience pour que les publicitaires paient», avance Séverine Barthes. Pour la journaliste et universitaire Iris Brey, qui s’intéresse à la représentation de la sexualité féminine dans les séries, «l’arrivée de showrunneuses comme Shonda Rhimes («Grey’s Anatomy», «Scandal») a changé la donne. Mais il y a aussi des hommes qui développent des personnages féminins passionnants.»

«Borgen», justement, est incontestablement la meilleure production à mettre en scène une femme politique. Cette production danoise (2010-2013), qui conte l’ascension au pouvoir de Birgitte Nyborg, brille par son réalisme. La RTS a d’autant mieux fait de la diffuser que le pouvoir à la danoise ressemble diablement au fonctionnement de la démocratie helvétique. Birgitte Nyborg avait été précédée par des pionnières américaines, moins réalistes: «Commander in Chief» (2005-2006) imagine l’actrice Geena Davis («Thelma et Louise») en première présidente américaine de l’histoire. La série fait un flop mais depuis, Julia Louis-Dreyfus est une vice-présidente puis présidente hilarante – et nulle – dans la production comique «Veep».

A l’instar de Birgitte Nyborg, ces nouvelles héroïnes voient leur couple exploser - «The Good Wife», «Nurse Jackie»… – et ne sont pas toujours héroïques: l’une vend de l’herbe pour élever ses gosses («Weeds»), l’autre est accro aux médocs («Nurse Jackie»), sans parler des affreuses méchantes (Cersei dans «Game of Thrones», Claire Underwood dans «House of Cards»)… C’est que «plus un personnage a de failles, plus il est intéressant sur le plan dramatique», souligne Françoise Mayor, responsable de l’unité fiction produite à la RTS. «Ce sont les failles, le côté moins idéalisé de la femme au foyer, de la policière sans reproche ou de l’ange gardien qui rendent ces personnages plus forts et complexes, renchérit Laurence Herszberg. Les hommes subissent le même sort, avec une tendance aux antihéros sombres et borderline comme dans «Breaking Bad», «Dexter» ou «True Detective». L’égalité hommes-femmes dans les faiblesses est à revendiquer, c’est très clairement un grand progrès pour la représentation des femmes dans les séries.» Dans les faiblesses… et dans le côté pas forcément sexy. On pense ici à Sarah Lund, inspectrice de la remarquable production danoise «The Killing» (2007-2012). Constamment vêtue du même pull improbable, elle se contente en guise de coiffure d’une queue-de-cheval nouée à la hâte.

En Suisse aussi, les héroïnes doivent se dépêtrer face aux aléas de leur vie privée et professionnelle, comme dans les productions RTS «L’heure du secret» et «A livre ouvert» (écrit et réalisé par deux femmes, Stéphanie Chuat et Véronique Reymond). Evoquant Michèle, l’héroïne d’«A livre ouvert», Françoise Mayor indique que l’équipe «lui a rendu la vie la plus dure possible». «Comme dans la société, les femmes souffrent encore de stéréotypes. Nombre de séries reflètent une société toujours inégalitaire», souligne Nicole Alix, responsable de la programmation des fictions à la RTS. Un avis nuancé par la spécialiste Séverine Barthes, qui parle de «corde usée de la tension vie personnelle vie professionnelle ou celle des différences entre aspirations personnelles et obligations sociales («The Good Wife», «The Americans»…). On peut même lire cela comme une facilité ou comme un retour de balancier conservateur: Cagney et Lacey ou Mary Tyler Moore étaient, en un sens, des femmes plus libérées que celles que l’on voit souvent actuellement. Il est «facile» de construire un personnage féminin en utilisant la corde vie perso-vie pro.»

Et dans la vraie vie?

Quoi qu’il en soit, ces productions se veulent le reflet des aspirations et des combats contemporains. Mais vont-elles jusqu’à influencer la vraie vie? Difficile de trancher. L’année dernière, le magazine américain «Time» évoquait «le point de bascule transgenre» en mettant en une l’actrice transgenre Laverne Cox. «Barack Obama aurait-il été élu si la série «24 heures chrono» n’avait pas montré un président noir?» glisse Françoise Mayor. Avant de parler d’«intuition créative» pour «Borgen»; en 2011, peu après la première saison, le Danemark élit sa première femme premier ministre, Helle Thorning-Schmidt. «Je ne pense pas que nous avons influencé l’élection, avait alors protesté le créateur de la série, Adam Price. Ce serait trop gros de penser que les Danois se sont faits à l’idée d’avoir une femme en poste et qu’ils en ont élu une!» Et pourquoi pas? Au printemps, Hillary Clinton a révélé sa série préférée: «Borgen», bien sûr.


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