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Salaire inégal: des pistes pour mettre fin à cette injustice faite aux femmes

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«Souvent, les femmes n’insistent pas suffisamment pour négocier leur rémunération», confirme Franciska Krings.

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Réjouissons-nous! En cette veille de Journée internationale des droits des femmes: la lutte contre le harcèlement et les agressions sexuelles, grâce à la spectaculaire libération de parole des femmes en pleine ère post-Weinstein, progresse enfin. Mais pendant que quelques batailles se gagnent, une anomalie perdure qui devrait depuis longtemps avoir été résolue: l’inégalité des salaires. En moyenne mondiale, une femme travaillant à temps plein gagne 20% de moins qu’un homme.

S’il existe en fait trois modes de calcul pour appréhender cet écart, chacun témoigne de cette réalité violemment anachronique: en 2018, une employée a statistiquement de grandes chances de gagner moins pour le seul tort d’être née femme. Carcan des rôles traditionnels, discrimination sexiste en entreprise, structures sociétales et mentales qui influencent plus ou moins inconsciemment les choix de carrière… les forces à l’origine de cette injustice sont diverses, complexes. Mais réversibles.

Préoccupation commune

Car il est dans l’intérêt de tous de combattre ce statu quo. D’abord, cette disparité représente pour chaque femme un manque à gagner d’environ 400 000 francs sur une vie, a estimé une récente étude britannique. Mais il n’y a pas que pour elles que la situation est douloureuse: leurs conjoints paient parfois à leur tour ce déséquilibre, par exemple lors des divorces, avec des pensions qui peuvent s’avérer difficiles à honorer.

De même, l’économie en général pâtit de la situation. Comme l’a montré un rapport du think tank Fondation Concorde, fin 2017, les écarts salariaux coûtent aux Etats du Vieux-Continent des milliards de francs en rentrées fiscales jamais encaissées. Pour enfin changer les choses, voici trois solutions que l’on peut lancer facilement, en Suisse et ailleurs.

1. Diminuer l’impact de la parentalité sur le revenu

Si les inégalités salariales entre les sexes se creusent dès le début de carrière, c’est avec l’arrivée du premier enfant que l’écart devient canyon. Une jeune maman perd en moyenne 20% de sa rémunération à ce moment-là, selon une étude danoise parue en 2016. Le salaire du père, lui, continue sur sa lancée car cette tendance à opter pour une interruption de travail ou un temps partiel est quasi exclusivement féminine.

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Cette chute brutale de revenu s’expliquerait aussi par la persistance d’un schéma de pensée archaïque presque inconscient, observe la directrice du Bureau fédéral de l’égalité entre femmes et hommes, Sylvie Durrer.

«Beaucoup d’employeurs vont se dire que l’investissement de la nouvelle mère au travail sera moins intense. On lui proposera alors moins de missions importantes. Cela pénalise évidemment la progression.»

Pas le même traitement

Pour l’homme, le fait de devenir père est en revanche une sorte de tremplin. Ses perspectives de carrière s’améliorent, fait remarquer Nicky Le Feuvre: «Aux yeux de sa hiérarchie, un jeune papa devient responsable d’une famille, il a besoin d’une bonne situation pour assurer cette mission. C’est donc surtout à cet instant qu’il se voit proposer des formations, des promotions et d’autres avantages qui peuvent favoriser sa trajectoire professionnelle.»

Loin de n’être qu’un épisode limité dans le temps, la perte de revenus causée par la maternité est souvent durable. D’abord parce que le salaire horaire d’un temps plein est fréquemment supérieur à celui d’un taux réduit, surtout lorsque le critère de l’échelon hiérarchique entre en jeu. Ensuite, «parce qu’il est rare qu’on puisse à nouveau prétendre travailler à 100% après une longue période de temps partiel», regrette Franciska Krings, professeure en psychologie du comportement à HEC Lausanne. Du coup, à part se lamenter, on fait quoi?

La maternité est une valeur

On peut invoquer ces classiques de la parité, qui tardent toujours à s’imposer en Suisse, que sont les crèches en entreprises ou l’instauration d’un congé parental de longue durée avec un minimum incompressible devant être pris par chacun des partenaires. En Suède, où ce dispositif existe, l’écart salarial entre hommes et femmes est ainsi parmi les plus bas du globe, «en dépit de l’existence de secteurs professionnels très sexués», précise Nicky Le Feuvre. Cela évite d’accumuler les arrêts d’activité chez un seul parent (entendez la maman la plupart du temps).

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On peut aussi inventer de nouvelles règles. «Dans certains pays européens, la validation de l’acquis de l’expérience peut transformer une partie des activités familiales en source de compétences au niveau professionnel», informe la sociologue de l’UNIL. En clair, avoir été maman au foyer est reconnu et transcrit comme expérience en leadership, logistique ou autre savoir-faire dans le CV. Exotique et totalement improbable? «Un tel système s’applique déjà lors de la sélection du personnel de la Confédération» souligne Karine Lempen.

2. Contraindre les employeurs

Contrôles, audits, transparence des salaires… c’est certes soigner les symptômes des disparités salariales plus que s’attaquer à leurs racines profondes, mais cette étape semble incontournable. «Imposer des outils aux entreprises pour mettre en lumière les inégalités, c’est un premier pas pour faire reconnaître à tous qu’il y a un problème, affirme Nicky Le Feuvre, professeure en sociologie du genre à l’Université de Lausanne. Les gens sont généralement ébahis quand on leur montre la réalité.»

Depuis deux ans, plusieurs pays – dont la Suisse – ont pris conscience de cette nécessité et lancé des projets parallèles. Simonetta Sommaruga souhaite ainsi apporter une modification à la Loi sur l’égalité, qui proclame depuis 1995 le principe constitutionnel «à travail de valeur égale, salaire égal»; principe rédigé noir sur blanc, mais pas assez appliqué, selon la ministre de la Justice.

Mouvement international

Le but du remaniement? Imposer tous les quatre ans aux structures d’au moins 50 employés une analyse de leurs salaires, afin de déceler tout écart injustifié. Bien que cette révision ne prévoie aucune sanction en cas d’infraction et même si elle concernera à peine plus de la moitié des salariés du pays, le projet fait grimacer dans les milieux économiques. Ce type d’initiative risque pourtant de se généraliser.

Islande et Royaume-Uni ont cette année mis en œuvre des lois comparables, y incluant la menace d’amende en cas de non-respect. Présentant une disparité salariale qui atteint les 20%, l’Allemagne a quant à elle misé sur une loi visant la transparence en matière de rémunération. Elle autorise une femme à connaître le salaire de ses collègues masculins occupant le même poste, afin de débusquer les inégalités.

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L’idée est originale, mais au même titre que l’analyse comparée des salaires, elle demeure perçue «comme une intrusion dans le fonctionnement des entreprises», souligne le porte-parole de l’Union patronale suisse, Marco Taddei. Afin d’assurer le respect de la loi, Karine Lempen, professeure de droit du travail à l’Université de Genève, recommande pourtant d’«avancer sur les deux voies de la transparence et du contrôle».

3. Booster l’ego des femmes

Lorsque Kevin Spacey a été évincé de «Tout l’argent du monde», Michelle Williams et Mark Wahlberg ont dû retourner plusieurs scènes du film. Des heures sup pas payées de la même manière: 1,5 million de dollars pour l’acteur et… 1500 fois moins pour l’actrice. Ce qui a fait la différence? Contrairement à Madame, Monsieur, lui, aurait âprement négocié son retour.

Certes, des écarts aussi astronomiques ne se rencontrent que dans des cas très particuliers, mais la situation en soi serait un classique du monde du travail.

«Souvent, les femmes n’insistent pas suffisamment pour négocier leur rémunération, confirme Franciska Krings.

La crainte d’être jugées les fait plus facilement accepter la première offre de salaire.» Une peur qui ne sort pas de nulle part, rebondit Karine Lempen, «parce que les filles sont socialisées depuis la tendre enfance pour ne pas imposer leurs exigences autant que les garçons».

Trop de modestie

Et ce biais éducatif a des conséquences dès l’entrée sur le marché du travail. Comme l’évoque une étude de la Carnegie Mellon University, 57% des étudiants diplômés ont demandé un salaire plus élevé que celui qu’on leur proposait à leur premier job, quand seulement 7% de leurs camarades féminines l’ont fait. D’autant plus étonnant que les filles sont désormais plus nombreuses à sortir diplômées des hautes écoles, et souvent avec de meilleures notes. Au vu de tels pedigrees académiques, l’existence d’inégalités salariales n’est-elle pas une aberration? Si, mais il y a un hic.

Même bardées de titres universitaires prestigieux, les femmes tendent à s’orienter vers des domaines professionnels moins rémunérateurs que ces messieurs. Divergence bien mise en lumière par une autre enquête américaine de 2016: parmi les dix branches les plus généreusement payées (dont l’ingénierie et l’informatique), huit sont à 80% masculines.

Conquérir les hauts revenus

Ces dames démontrent, elles, davantage d’affinités pour les parcours en marketing ou ressources humaines, souvent très exigeants et pointus, mais moins bien rémunérés. Tout en osant affirmer leur valeur au travail,

«Les femmes devraient davantage planifier une stratégie de carrière à long terme», avance Sylvie Durrer et, comme les hommes, agir de manière à maximiser leurs profits en intégrant la question du revenu lors du choix de leur formation.

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La solution ne va malheureusement pas sans une dose de paradoxe: en bifurquant en masse vers les secteurs bénis côté fiche de paie, les femmes seront évidemment mieux rémunérées dans l’absolu, mais feront toujours face à des écarts de salaire indécents. Surtout en escaladant la hiérarchie. C’est en effet dans les domaines très masculinisés qu’on enregistre les plus criantes inégalités de rétribution entre les sexes. Comptez par exemple plus de 30% de différence dans l’industrie chimique. Il y a encore du boulot.


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3 modes de calcul de l’écart salarial

32.5%

Soit l’écart de revenu moyen entre les hommes et les femmes en Suisse, au regard de la rémunération brute annuelle. Un chiffre qui englobe toutes les configurations génératrices d’inégalités: taux d’activité, années d’expérience, secteur d’activité, préjugés… Ce pourcentage, particulièrement élevé dans notre pays, s’explique en grande partie par la fréquence du temps partiel chez les femmes. Le journal britannique «The Economist» qualifie d’ailleurs le marché du travail helvétique de plus discriminatoire d’Europe.

Bien que ce calcul ne se focalise pas sur les écarts générés par une discrimination sexiste des employeurs, il a l’avantage de faire prendre conscience du poids financier de la répartition des rôles selon les genres, «qui a pour effet une hausse des inégalités de salaire», comme l’explique la sociologue Nicky Le Feuvre.

18.1%

Il s’agit de la différence moyenne de revenu mensuel entre hommes et femmes, si tout le monde travaillait à 100%. On continue par ailleurs à ne pas inclure dans ce calcul les variables autres que le genre: domaine d’activité, ancienneté, position professionnelle, etc. ne sont pas considérés. Ce salaire dit moyen standardisé est le chiffre fréquemment présenté dans les médias et les rapports d’ONG, comme ceux du Forum économique mondial ou de l’Organisation internationale du travail.

Ce n’est toutefois pas le plus éloquent, puisqu’il garde dans le flou deux discriminations majeures: les arrêts et ralentissements d’activité, essentiellement féminins, dus à la parentalité d’une part, et à l’attitude parfois sexiste des employeurs face aux salariées d’autre part.

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7.4%

Ce taux est celui des inégalités dites inexpliquées. En effet, une fois les 19,5% reconsidérés avec des variables telles que le secteur, l’âge, le diplôme, le poste, la position, ces 7,4% d’écart demeurent, toutes choses étant égales par ailleurs. Que signifient-ils réellement? Produit d’un sexisme d’un autre âge, consistant à tout simplement sous-payer les femmes? «Cette inégalité est clairement de la responsabilité des entreprises», soutient Sylvie Durrer.

Du côté de l’Union patronale suisse toutefois, on nuance:

«Nous contestons cette méthode de calcul, car elle ne prend en compte que l’ancienneté et ne considère pas l’expérience concrète, explique son porte-parole, Marco Taddei. De plus, il faudrait plutôt comparer les salaires au sein d’une même société, et non les confondre toutes.»

Les chiffres de l’Office fédéral de la statistique répondent à cette critique par un constat: même sans expérience ni qualification, un écart existe déjà dans le salaire de base. Il est étrangement 5% moins élevé lorsqu’il est versé à une femme. Ouille!(Source: Bureau Bass, OFS 2017)

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