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De Barbarella à Game of Thrones, quand la fiction se dope à l'héroïne
Les héros ne sont plus ce qu’ils étaient. Ou plus tout à fait. Car, n’en déplaise aux Musclor hypertestostéronés, le concept «Je sauve le monde» ne se conjugue plus uniquement au masculin. Et de plus en plus de personnages féminins porteurs (de culotte) trouvent aujourd’hui une place de choix dans des films, romans, séries TV ou BD. La preuve par «Valérian et la Cité des mille planètes», en salles le 26 juillet 2017, la saison 7 de «Game of Thrones», qui commence le 17 juillet 2017 sur RTS Un, ou «Wonder Woman», sorti il y a quelques semaines. Mais aussi par les trilogies «Hunger Games» et «Divergente», qui ont connu des succès faramineux dans leurs versions écrite et filmique.
Se réjouir? Oui mais…
Ces signes sont encourageants en termes d’égalité des sexes. Peut-on pour autant en conclure qu’ils reflètent une réalité sociétale et que ces battantes sont des idéaux dont on peut s’inspirer? Evidemment, rien n’est si simple. A commencer par la fonction qu’on attribue généralement aux femmes dans les fictions, comme le souligne Gianni Haver. Professeur de sociologie de l’image et d’histoire sociale des médias à l’UNIL et codirecteur avec Loïse Bilat de l’ouvrage collectif «Le héros était une femme» (Ed. Antipodes, 2011), il explique que depuis la nuit des temps, ce qu’on nomme «héroïne» n’est qu’une faire-valoir, «placée au mieux dans la case 'récompense sexuelle du héros', au pire dans celle de la «sympathique maladroite qui crée ou aggrave les problèmes que le protagoniste mâle doit surmonter».» Un schéma qui se résume en dix mots: Monsieur agit et trouve des solutions, Madame réagit et complique les situations.
«Bon, les choses ont un peu évolué et on ne peut plus traiter les filles de la même manière que dans le passé», tempère Gianni Haver, qui précise: «Dans les années 1980-90, on a vu émerger Lara Croft ou Beatrix Kiddo («Kill Bill») puis, dans la foulée, une nouvelle figure que nous distinguons de l’héroïne classique en l’appelant «héros féminin».» Comme son pendant mâle, il tient le premier rôle, accomplit des actes extraordinaires en utilisant la violence et apporte des solutions au lieu de jouer les éléments perturbateurs. Un quasi équivalent, donc. Mais pourquoi seulement quasi?
La tyrannie de l’image
Bêtement parce que cette nouvelle donne n’efface pas certains diktats ancestraux. Ainsi, avec le héros féminin, les questions relationnelles sont bien plus souvent thématisées que pour les récits portés par des hommes. En gros, les femmes sont rarement des cow-girls solitaires qui se moquent de tout et de tout le monde, elles restent des mères, des sœurs, des amoureuses. Par ailleurs, tout comme sa collègue Valérie Cossy, professeure associée en section d’anglais à l’UNIL et spécialiste des études genre, Gianni Haver constate que la tyrannie de l’image et le culte du corps parfait ont encore de beaux jours devant eux puisque pratiquement toutes ces super-nanas sont dotées d’une plastique superlative. A quelques exceptions près, dont Fifi Brindacier, qui échappe à cette logique grâce à son jeune âge, ou Hermione Granger («Harry Potter») qui ne s’impose pas d’emblée comme une créature de rêve, la plupart des personnages féminins «ont des capacités physiques et athlétiques peut-être incroyables, mais elles montrent surtout une anatomie de pin-up ou de mannequin», souligne Gianni Haver, en pointant Beatrix Kiddo ou Lara Croft, héros féminins «parfaits» puisqu’en plus de réaliser des exploits, elles sont belles, attirantes. Et jeunes. Une caractéristique importante, selon le sociologue, qui rappelle que lorsque Harrison Ford a tourné le premier «Indiana Jones», il avait 39 ans et tout le monde a trouvé ça très bien, alors qu’Angelina Jolie, qui a porté «Lara Croft» aux sommets du box-office en 2001 et 2003, a été jugée trop âgée pour reprendre le rôle dans la prochaine adaptation du jeu vidéo, prévue pour 2018, alors qu’elle aura tout juste 43 ans! Comme le résument nos experts, une femme a donc le droit de s’illustrer dans l’action, à condition qu’elle reste suffisamment sexy pour offrir du plaisir visuel à un spectateur qu’il ne faudrait pas déstabiliser!
Selon Valérie Cossy et son collègue, cette dichotomie reflète bien l’évolution globale des rapports genrés dans la société: si Madame est une (belle) battante, cela ne doit pas l’empêcher de remplir son rôle traditionnel et, pour le coup, d’être celle qui s’occupe le plus souvent des enfants, du ménage, etc. Question modèle, on peut faire mieux. «Le message envoyé par la plupart de ces fictions est: «Soumettez-vous aux normes!», constate Valérie Cossy. Or, celles-ci sont «problématiques en termes de féminisme et d’égalité, surtout qu’on évolue dans une société basée sur la réussite individuelle à tout prix. Il est important de réfléchir à tout cela afin de pouvoir se construire dans une certaine indépendance vis-à-vis de ces canons. Même si ce n’est pas facile!» Un doux euphémisme sachant que la «sexyphication» s’explique notamment par des questions d’argent. «Pour trouver un public et rentrer dans leurs fonds, les œuvres de culture populaire doivent plaire, précise Valérie Cossy. Pour ce faire, il faut trouver une manière de ne pas transgresser frontalement la norme et de ne pas faire explicitement des films ou des livres critiques.»
Encore des combats à mener
Du coup, au nom de la quête du succès, auteurs et réalisateurs ont tendance à opter pour le masculin universel, histoire de ratisser large. Concrètement, relève Valérie Cossy, si la saga de J. K. Rowling avait été intitulée «Hermione Granger» plutôt que «Harry Potter» – en partant du principe qu’Hermione est aussi importante que Harry dans le déroulé de l’intrigue – elle aurait été cataloguée «littérature de filles». Et aurait donc moins touché les garçons.
Bref. S’il y a bien une attention plus grande à la figure féminine, Trix, Hermione, Laureline, Katniss et leurs sœurs héroïques et rebelles ont encore bien des combats à mener avant de venir à bout de la dictature de l’image. Courage, les filles!
Valérian et la Cité des mille planètes Incarnée par la mutine Cara Delevingne dans le film de Luc Besson, Laureline est un personnage dessiné par Mézières et pensé par Christin. Très sensible aux mouvements féministes de la fin des années 1960, ce dernier en a fait une jeune femme intelligente, drôle et largement plus futée que son compagnon, Valérian. Laureline version cinéma sera-t-elle prioritairement sexy ou mise en abyme et subversive? Réponses dès le 26 juillet 2017.
Barbarella Basé sur la BD éponyme de Forest, ce film de 1968, avec Jane Fonda, présente une héroïne révolutionnaire pour l’époque: «Son super-pouvoir, c’est le sexe. Aujourd’hui, on a tendance à l’interpréter comme un rabaissement de la femme au rang d’objet, mais dans ces années-là, c’était aussi une conquête de pouvoir gérer sa corporalité et sa sexualité, d’avoir les amants qu’on voulait et de ne pas se plier à la logique d’une femme mi-mère mi-bonne», rappelle Gianni Haver.
Divergente Prototype du «héros féminin», Tris Prior (jouée par Shailene Woodley) a été imaginée par l’auteure américaine Veronica Roth. Répondant récemment à une question sur son personnage phare, celle-ci expliquait qu’il lui paraissait important «d’avoir des personnages féminins complexes, imparfaits, qui ne rentrent pas dans les définitions étriquées et masculinisées de la force.»
Lucy En 2014, dirigée par Luc Besson, Scarlett Johansson incarne Lucy, une belle blonde franchement sotte au début du film qui, petit à petit, prend une dimension inattendue. C’est que désormais, comme leurs alter ego masculins, les héroïnes se doivent d’avoir des faiblesses à surmonter afin de pouvoir accomplir leur quête.
Wonder Woman Née au début des années 1940, WW (ici, Gal Gadot dans le film sorti en juin 2017), première superhéroïne dessinée, a été créée dans le but de promouvoir «un modèle de féminité forte, libre et courageuse pour lutter contre l’idée que les femmes sont inférieures aux hommes». Mais la belle rentre rapidement dans la norme. Après un sursaut féministe, en 1975, avec la sortie de la série TV, le personnage retombe dans une certaine indifférence et y reste jusqu’à la sortie de ce film, qui la présente dans une dimension mythologique.
Harry Potter Que serait le fameux Harry Potter sans la brillante Hermione? Pour Valérie Cossy, la jeune sorcière est un personnage qui peut servir de modèle, car elle existe, agit et s’impose dans le récit indépendamment de sa capacité de séduction.
Resident Evil: chapitre final Dans la peau d’Alice depuis le premier épisode de cette saga, qui s’est terminée avec cet ultime opus en janvier dernier, Milla Jovovich joue une espèce de Lara Croft trash mâtinée de Rambo, qui survit à tout en tentant de sauver le monde. Peut-on ici parler de «héros féminin»? Une chose est sûre, le sang et les coups ne lui font pas peur!
Game of Thrones Tel un héros légendaire, Daenerys Targaryen n’a cessé de monter en puissance depuis le début de la série. Et ce n’est pas dû qu’à la croissance de ses dragons! La jeune femme refuse de subir le destin et se bat pour obtenir ce qu’elle veut. Confrontée aux obstacles, elle fait preuve d’une détermination et d’un courage héroïques. On se réjouit de voir quel (mauvais?) tour les scénaristes lui ont réservé dans la nouvelle saison, sur la RTS dès le 17 juillet 2017…
Hunger Games Les aventures de Katniss Everdeen (Jennifer Lawrence) ont été adaptées au cinéma entre 2012 et 2015. Pour Valérie Cossy, cette épopée a bénéficié d’une «volonté de réécrire le scénario d’un personnage féminin typique.» A ses yeux, «Hunger Games» est «un bon exemple d’une nouvelle vision de la société et on peut lire qu’une vraie réflexion féministe est passée par-là!»
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