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Ces ados 3.0 qui se font une place au soleil
Son pseudo laisse facilement imaginer un garçonnet fragile. Pourtant, du haut de ses 17 printemps de génie, Petit Biscuit, alias Mehdi Benjelloun, jeune pape de la musique electro hexagonale, a époustouflé son public aux Arches du Paléo, le 18 juillet 2017. Bac scientifique récemment décroché avec la plus haute mention, fascination de tous ceux qui croisent sa route ou sa platine; le prodige français est un peu l’objet mixant non identifié du moment; et l’exemple d’une génération qui rebat les cartes d’une période de vie qu’on a longtemps dite ingrate: l’adolescence.
On les croyait mal dans leur peau, complexés par leurs visages boutonneux et leur manque d’expérience; on les retrouve propulsés sur le devant de la scène (dans le show-biz, le sport, l’économie, la politique ou l’humanitaire), prêts à conquérir le monde sous les yeux ébahis (parfois un brin rageurs aussi) de leurs aînés. La fameuse crise? Les teenagers 3.0 semblent n’en avoir que faire tant ils se révèlent accaparés par leurs projets et leurs ambitions personnelles. Depuis quelques années, le très sérieux «Time Magazine» en est même venu à publier son classement annuel des «adolescents les plus influents de la planète». C’est dire si ces jeunes pousses s’appliquent à mettre la planète à leurs pieds.
Une aisance singulière
Mais que s’est-il passé pour que la vapeur se renverse soudainement et que le monde des adultes en vienne à les aduler ou, du moins, à les citer en exemple? Cette nouvelle génération serait-elle réellement plus ambitieuse, plus mature, plus volontaire, voire plus douée que celles qui l’ont précédée? La psychologue clinicienne Béatrice Copper-Royer, auteure de cinq ouvrages sur les jeunes générations, le soutient en partie: «Les adolescents d’aujourd’hui sont incontestablement plus débrouillards pour certaines choses. Les réseaux sociaux et internet ont notamment complètement décomplexé leur rapport à la communication.» Pour le sociologue David Le Breton, auteur de «La sociologie du risque» (Ed. PUF, à paraître en août 2017), la facilité avec laquelle les jeunes utilisent les nouveaux moyens de communication joue en faveur de ces éclosions précoces: «Dans ce nouveau monde, ils évoluent comme des poissons dans l’eau et savent comment se faire connaître avec efficacité.»
A 18 ans, l’activiste chinois Joshua Wong devient une figure de proue de la Révolution des parapluies. Il a notamment créé l’application FireChat, dont se sont servis les manifestants durant cette période de contestation historique.
©Wikimedia
Le succès impressionnant des youtubeurs le démontre. Celui de James Charles est d’ailleurs édifiant. Le jeune Américain, qui ne vit que pour et par le maquillage, a escaladé quatre à quatre les marches de la reconnaissance sur le web. A 17 ans, il est désormais ambassadeur de la célèbre marque de cosmétiques CoverGirl.
Cette aisance technologique ne suffit cependant pas à expliquer à elle seule l’émergence de ces leaders pressés sur le devant de la scène publique. Pour Grégoire Zimmermann, professeur de psychologie de l’adolescence à l’Université de Lausanne (UNIL), l’explication serait plutôt à chercher du côté de l’éducation donnée à cette génération: «Depuis quelques décennies, l’enfant est considéré comme une personne à part entière, les impératifs éducatifs ont changé. A présent, nous cultivons l’autonomie de l’enfant, c’est-à-dire le fait qu’il puisse définir ses intérêts, ses valeurs, librement, et se sentir à l’origine de ses comportements. Nous l’enjoignons à devenir lui-même. Il est donc en quelque sorte normal ou attendu qu’il émerge précocement.» Sans cette nouvelle donne, en effet, les parents de la Néerlandaise Lara Dekker ne l’auraient jamais laissée boucler un tour du monde en solitaire en bateau à seulement 16 ans!
De son côté, Béatrice Copper-Royer identifie un réel changement d’attitude juvénile vis-à-vis du monde environnant: «Ces ados démontrent une assurance relativement forte. Le fait d’être vu, liké, commenté a d’ailleurs considérablement renforcé leur estime d’eux-mêmes», expose-t-elle. Mais aussi: «Ces jeunes ne sont plus tellement intimidés par les adultes, qu’ils considèrent souvent sur le même niveau qu’eux.» Une situation créée, selon elle, par la récente chute libre du degré d’autorité qui aurait considérablement réduit les différences générationnelles au sein des familles.
Une admiration débordante
Autorité en retrait, peut-être, mais aussi une légitimité parfois réduite en morceau: face à ces adultes bornés qui se livrent des guerres sanglantes et abjectes, des ados décident de reprendre les choses en main. Telle la Pakistanaise Malala Yousafzai, martyre des exactions talibanes, dont le message puissant lui a valu le premier Prix Nobel décerné à une quasi-enfant. Ou encore Yusra Mardini, cette nageuse de 18 ans intégrée à la première équipe de réfugiés aux JO de Rio l’année dernière. Syrienne, elle a pu enfin faire parler de son pays au-delà des combats tragiques, ineptes, engagés par ses aînés.
Malala Yousafzai, jeune Pakistanaise de 19 ans, a reçu le Prix Nobel de la paix 2014 pour son combat en faveur de l’éducation des filles en pays musulmans. Elle est la plus jeune personne de tous les temps à avoir remporté cette distinction.
©William Volcov/Brazil Photo Press/LatinContent/Getty Images
Du côté des adultes, la perception a également changé. «Les parents sont bluffés par cette espèce de débrouillardise. Ils sont vite éblouis par leur progéniture, avance la psychologue clinicienne. Ils investissent beaucoup leurs enfants, d’autant plus qu’ils en ont peu. C’est peut-être le lien affectif dont on attend le plus dans la vie, et qui renforce le plus. Il y a une grosse attente envers les enfants, qui n’est pas sans être compliquée par moments.»
Le sociologue David Le Breton y voit encore un autre élément, qui découle directement du «jeunisme de nos sociétés. Les parents tendent à vouloir rester eux-mêmes dans une éternelle jeunesse. Ils s’identifient donc à leurs enfants avec émerveillement.» Et d’ajouter: «L’adolescence est aujourd’hui une classe d’âge qui compte, qui a le vent en poupe.» Il n’y a qu’à regarder l’adulescence grandissante des produits de consommation, ou encore la masse de films hollywoodiens où des adolescents sauvent le monde de la catastrophe pour s’en convaincre. Sans oublier le nombre d’émissions qui leur sont consacrées ou dont ils sont les inspirateurs, de la télé-réalité à maintes séries ou chaînes de télévision.
Faire encore plus confiance
Pour le professeur de psychologie adolescente Grégoire Zimmermann, enseignant à l’UNIL, les choses ne sont toutefois pas aussi roses. A son avis, «les adolescents ne sont pas plus écoutés mais ont plus de moyens de se faire remarquer que par le passé. Nous ne pouvons juste plus faire semblant de ne pas les entendre.» Pourtant, selon lui, et au-delà des exemples médiatisés à outrance, l’adolescence reste toujours piégée dans ses connotations négatives et autres stéréotypes: l’«âge bête», la crise ou le «storm and stress», pour reprendre les termes de Stanley Hall, le père de la psychologie de l’adolescence. Pour le professeur lausannois, dans l’ensemble, les adultes continueraient même paradoxalement à ne toujours pas prendre suffisamment au sérieux la jeunesse. «Je ne suis pas sûr que nous encouragions cette émergence. J’ai plutôt l’impression que globalement nous la freinons. Il faut savoir leur en donner les moyens, leur faire confiance, et les adolescents sont effectivement capables de très grandes choses.»
Erik Finman est un entrepreneur américain qui ne pense pas seulement à lui. Après avoir gagné, à 15 ans, 100 000 dollars en investissant dans le bitcoin, il décide de les placer dans la création de botangle.com, un service de tutorat en ligne.
©Instagram
Ces exemples de success story adolescentes apparaissent dès lors d’autant plus comme de véritables manifestes. Elles portent sur le devant de la scène la revendication de nombre de jeunes à vouloir être pris davantage en considération. Ce qui semble marcher plutôt bien. Au-delà des phénomènes purement médiatiques qui attirent l’attention par le succès planétaire d’un film (comme Chloë Grace Moretz notamment), ou par un charisme précoce sur les écrans (pensez à Maddie Ziegler, la géniale muse des clips de Sia), nombre de ces adolescents alpha influent carrément sur la sphère économique. Ben Pasternak, entrepreneur américain de 17 ans, pèse ainsi des millions de dollars grâce à une appli combinant les concepts d’eBay et de Tinder. Quant à Logan Guleff, compatriote de 14 ans, cuisinier virtuose et star des télés US, il est déjà une sorte de mini Gordon Ramsay, conjuguant fourneaux et signatures de juteux contrats.
Roi des fourneaux à seulement 15 ans, Flynn McGarry figure, en 2014 et 2015, sur la liste des ados les plus influents de la planète, publiée par le magazine «Time», pour la qualité de sa cuisine… moléculaire!
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Ambitieux, stratèges, talentueux et bourrés d’une énergie à revendre, les météores de la génération Z imposent donc leurs règles dans tous les milieux. Et, on en est persuadé, leur impact commence tout juste à nous faire trembler.
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Olivia Hallisey, jeune étudiante américaine, n’a que 17 ans lorsqu’elle élabore un moyen simplissime de tester le virus Ebola. Cette prouesse lui vaut le premier prix de la Google Science Fair en 2015.
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En s’affirmant fille à 5 ans, Jazz Jennings – née garçon – est devenue, dix ans plus tard, l’égérie de la cause transgenre. Son témoignage, popularisé par une docu-série, a rapidement récolté plus d’un million de vues.
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