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Like, clic, follow… et si on se (re)parlait vraiment?

Femina 26 Dossier Conversation 01

Prenant sa source à New York, le mouvement Free Conversation a essaimé à travers le monde.

© Getty Images

Des Millennials qui fuient les coups de téléphone comme la peste; des amis partageant un verre dans un café les yeux rivés à l’écran de leur smartphone. Bonjour le tableau! La communication orale digne de ce nom serait-elle partie à vau-l’eau avec les réseaux sociaux? L’échange humain a en tous les cas pris de nouvelles formes, balançant entre un mode de communication purement factuel («T’es où?» «RDV à telle heure», etc.) et les commentaires les plus anodins. On se passe même parfois de tout vocable: un émoji ou une photo de son assiette suffisent désormais à simuler un lien avec des «amis» qui, souvent, ne connaissent pas grand-chose de plus de vous… On pourrait se mettre à déprimer sérieusement si un vent de résistance salutaire ne s’était levé pour réveiller ces échanges passablement apathiques. Des initiatives de toutes sortes voient en effet le jour pour ressusciter l’envie de converser réellement.

1. Aller vers les autres

A New York, sur la côte Ouest ou encore à Londres, le mouvement Free Convo (dérivé du fameux concept des Free Hugs ou Câlins gratuits) stimule des conversations ouvertes à tous. En installant un canapé et des tabourets dans des lieux publics, tels que Central Park ou à Shoreditch (Londres), l’association invite les passants à s’arrêter quelques minutes et à se mêler à la conversation sur un thème choisi. Et ça marche? «C’est un succès à chaque sortie», se réjouit Guillaume Villemot, auteur du manifeste «Osez les conversations!» (Ed. Eyrolles) et fondateur du Festival des conversations, lancé en 2013, en France. «Les New-Yorkais prennent le temps de s’arrêter et de partager un moment, d’apporter un point de vue sur les sujets traités. La conversation se veut naturelle, sans a priori et sans code.»

De notre côté de l’Atlantique, l’expérience a également été menée, à Paris en 2014, mais «avec beaucoup plus de difficultés», regrette le publicitaire. «Les Français (et les Suisses leur font écho, ndlr) n’osent pas converser, ils sont réticents à se laisser porter par une discussion. Nous sommes obligés d’organiser la Fête des voisins pour que les gens se parlent, c’est dire!» Dans les pays anglo-saxons, les gens ont la prise de parole plus aisée. Ce militant a même une explication: «C’est le système scolaire qui veut ça. Dans ces pays, on est beaucoup plus stimulés à échanger avec son professeur. Chez nous, jamais on aurait l’idée d’interpeller le maître. Vous écoutez celui qui sait et vous apprenez. On s’est laissé enfermer là-dedans», pose-t-il rationnellement.

Mais cet amoureux du dialogue ne désespère pas. «On a laissé se perdre cette capacité à aller vers les autres, à s’ouvrir», mais cela peut se réapprendre. C’est d’ailleurs dans cette optique qu’il a créé le Festival des conversations. «C’est parti d’une vraie peur. Un soir à table, un de mes enfants raconte qu’un copain de 15 ans s’endort en parlant avec Siri, l’assistant vocal de son smartphone. Je me suis dit que si la société d’aujourd’hui nous rendait seuls au point de discuter avec des machines, il fallait réagir.»

2. Mettre le plaisir au premier plan

Le psychologue lausannois Paul Jenny admet «qu’à l’heure de l’hyper-connectivité, la difficulté à converser devient une question de société importante». Mais pourquoi est-ce devenu si compliqué d’entrer réellement en contact avec ses pairs? Le spécialiste pointe un certain «manque d’entraînement à simplement communiquer sans attente particulière autre que le plaisir d’être en contact. Dans nos échanges, la disponibilité à l’autre et la curiosité sont peut-être ce qui fait défaut», ajoute-t-il. Guillaume Villemot, fondateur du Festival des conversations, met également le doigt sur cette exigence: «Bavarder c’est très facile. On peut y arriver tout en faisant autre chose. Converser nécessite une plus grande implication.»

Mais comment recréer l’envie d’aller vers les autres? En redonnant la curiosité de la conversation, assure-t-il: «On peut montrer aux gens que c’est très facile, que cela ne nécessite aucun bagage sinon le vôtre, ce que vous êtes. Il faut simplement être prêt à franchir le premier pas.» D’où l’importance aussi de ces initiatives, pour stimuler et soutenir nos élans encore balbutiants. Dans le même esprit que les Free Convo, ces conversations de rue ouvertes à tous, le fabricant de mobilier urbain Sineu Graff propose des tables collectives auxquelles plusieurs mairies françaises semblent déjà s’intéresser. Dans un tout autre domaine, le service de covoiturage BlablaCar a fait de ces échanges son premier argument publicitaire, les prestataires étant également notés selon leur aptitude au dialogue!

3. Réapprendre à discuter

Ceux dont la langue est embarrassée s’en réjouiront: la conversation, ça s’apprend. Ainsi, le cours «Comment avoir de meilleures conversations», donné à la School of Life de Paris depuis 2014, fait un carton plein. Fanny Auger, la directrice de l’établissement, y distille personnellement ses conseils pour renouer avec un vrai sens du dialogue. «La conversation, c’est ce qui nous rend humains», assène-t-elle tout de go. «C’est ce qui nous distingue des animaux, qui communiquent mais n’échangent pas vraiment. Cependant, parce qu’on est tous doué de la parole, on se dit que converser, c’est la même chose.

On se trompe. On le voit aujourd’hui, on n’a plus vraiment le mode d’emploi», poursuit-elle. Son auditoire l’a cependant étonnée: «Je m’attendais à accueillir plutôt des personnes timides, anxieuses ou introverties. Mais en fait, les gens qui viennent, sont comme vous et moi. Ils ont simplement envie de redonner du sens à leurs conversations.» Celle qui est aussi l’auteur du manifeste «Trêve de bavardage» (Ed. Kéro) ne mâche d’ailleurs pas ses mots: «Ils me disent qu’ils ont l’impression d’avoir fait le tour, et, quand ils sont avec leurs amis, de se répéter comme des robots: chacun fait son petit numéro de claquettes, mais au final, ils n’en retirent pas grande satisfaction.» Cette revalorisation de la conversation ne surprend pas le psychologue Paul Jenny. «Tout être humain a besoin de développer des relations significatives, d’être stimulé par des apports nouveaux, d’entrer dans une communication plus émotionnelle, voire affective.»

4. Enrichir et s’enrichir

Pour Fanny Auger, auteur de «Trêve de bavardage» (Ed. Kéro), il est un fait indiscutable: toutes les conversations ne se valent pas (et ne sont donc pas bonnes à poursuivre). Mais, surtout, chacun est responsable à 50% au moins de la richesse de ses conversations. Une discussion qui en vaut la peine, ça ressemble à quoi? «Ce sont celles qui nous permettent de se frotter aux autres, de réfléchir, de grandir, de se construire», lâche-t-elle sans hésitation. Guillaume Villemot, du Festival des conversations, croit d’ailleurs à sa valeur sociale, voire politique: «La conversation est un moyen unique et essentiel du vivre ensemble. C’est en conversant que nous apprenons à vaincre notre peur de l’autre.»

Le psychologue Paul Jenny le rejoint: «C’est ce qui nous permet d’éviter les pièges des préjugés et de nous maintenir en éveil.» L’écrivain Alexandre Jardin, qui signe la préface d’«Osez les conversations», (Ed. Eyrolles) s’amuse d’ailleurs à nous mettre ironiquement en garde: les belles causeries nous feraient courir le risque «de changer d’opinion», «d’envisager un sujet sous un tout autre angle», «d’être infiniment séduit – le début des emmerdes lourdes (sic)», mais aussi «de découvrir l’importance de certaines choses que l’on négligeait» ou encore d’être bouleversé par la vérité de l’autre». Quel programme, en effet!

5. Partir à l’aventure

«Il y a toujours une part de risque dans une conversation, on ne se sait jamais trop ce qui va se passer, mais c’est précisément ce qui nous réjouit», assure Fanny Auger, directrice de la School of Life de Paris. Selon elle, une conversation est justement là pour nous faire voyager. Ce qui nous freinerait véritablement, «ce n’est pas tant la peur de cet inconnu qui s’offre à nous qu’une forme de facilité. On préfère se contenter de son petit cocon, rester dans ce qui nous a réussi jusque-là, au lieu d’aller à la conquête de nouvelles aventures.»

Elle est d’ailleurs sans équivoque: si on veut faire évoluer ses conversations, il est vivement conseillé de se mouiller un peu: «Il ne faut pas hésiter à prendre des risques, à se dévoiler, sinon la discussion risque de rester plate et les échanges convenus. Il faut donner le «la»: quand on est dans l’authenticité, la personne en face ne peut pas vraiment rester dans les faux-semblants.» Le temps manque, dites-vous? Peut-être est-il temps de fermer quelques-unes de nos fenêtres de communication pour s’offrir l’horizon, et refaire le monde en discussions passionnées.

Témoignages

Emilie, 37 ans, chargée de communication, Genève C’est l’histoire du cordonnier mal chaussé, n’est-ce pas? Une chargée de communication qui prend des cours de conversation, c’est le comble! D’ailleurs, lorsque j’en parle à mes amis, leur première réaction est de me demander en quelle langue! C’est dire si, pour la majorité des gens, l’idée même de prendre un cours de conversation est incongrue. J’ai moi-même été surprise lorsque j’ai entendu parler de l’existence de tels cours par une amie parisienne.

J’ai vite ensuite été charmée par le concept. Je ne suis pas de nature timide, mais mes conversations tournent inévitablement toujours autour des mêmes items. Le boulot, mes amours et la vie de mes copines. Pourtant, je m’intéresse à plein de choses. Je suis passionnée par la sociologie et l’anthropologie, mais mes discussions ne reflètent en rien mon identité. Plutôt frustrant! Bon, je ne vais pas vous dire qu’aujourd’hui toutes mes conversations sont des plus profondes, mais j’ai appris quelques astuces pour oser aborder d’autres thèmes et me laisser surprendre. Et ça, c’est top!

Caroline, 23 ans, étudiante, Nyon Lorsqu’on nous a conseillés, en classe, de s’inscrire à des cours de savoir-vivre, j’ai un peu tiré la tronche. Franchement, les petites courbettes à la Nadine de Rothschild, très peu pour moi. Encouragée, ou disons poussée par mes parents et mes camarades, j’ai tenté l’affaire. Et j’ai super croché aux séances autour de la conversation. Moi qui suis une grande timide, voire carrément sauvage, ça m’a donné plein d’astuces pour me sentir un peu moins stupide lorsque je suis «en société».

Je ne l’aurais jamais cru, ni même imaginé, mais ce cours m’a donné une certaine assurance même lors de soirées entre potes. J’ai compris que je n’étais pas la seule qui espérait qu’on vienne lui parler, et j’ai appris à vaincre certaines peurs. J’ose plus aller vers les autres et je prends aujourd’hui plaisir à discuter avec des personnes nouvelles. Toutes les discussions ne sont pas forcément renversantes depuis, mais il y a de sacrés progrès!


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