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Audrey Vigoureux, la boss de la musique classique se dévoile
Elle amarre son vélo, rue des Grottes, s’attable en terrasse, échange des saluts avec de nombreux passants. Pour que cette Aixoise soit si bien acclimatée depuis sa rude arrivée, à 18 ans, («solitude, pierre grise et temps horrible!») et crée à Genève le festival Les Athénéennes, il a fallu beaucoup de bonnes fées. Audrey Vigoureux égrène volontiers ses dettes de reconnaissance.
Gratitude justifiée: en 2004, la pianiste était doublement adoubée. A la Haute Ecole de Genève d’abord, diplôme de soliste avec distinction et trois prix à la clé. Au Conservatoire National Supérieur de Paris aussi, cette fois avec un prix mention très bien et le premier prix de musique de chambre. Mais d’où viennent ce talent et cette énergie concentrée? Elle n’en sait rien, raconte une enfance où le piano est entré par effraction. Certes, ses parents écoutaient beaucoup de musique, du classique aux Beatles chers à sa mère. Mais un frère aîné ayant dépensé en bonbons les sous des cours de piano et abandonné le beau et vieil instrument du grand-père, ils n’insistent pas avec la petite.
Elle y touche de sa propre initiative, vers cinq ou six ans, invente mélodies et paroles, s’enregistre. Jeux d’enfant, passés inaperçus. Jusqu’à ce que Françoise Fosse, professeure au Conservatoire d’Aix, propose un troc. Pendant ses cours, elle confie son fils à la mère d’Audrey, et en venant le rechercher, elle entend la gamine jouer: elle lui enseignera le piano. Audrey a alors sept ans et demi, des débuts tardifs pour une carrière… à laquelle personne ne songe avant que, lui ayant décerné à 15 ans le prix final d’Aix, ses enseignants la poussent vers le Conservatoire national de Nice. Par testament, sa professeur Monique Oberdoerffer lui lègue son piano à queue.
Nouvelle rencontre déterminante à Nice: Odile Poisson, «une prof géniale», qui conduit Audrey jusqu’à l’examen. Mais où préparer le diplôme de soliste? Dans le jury siège Jacques Rouvier, «un des plus grands pédagogues au monde, maître de pianistes comme Hélène Grimaud, Arcadi Volodos, David Fray, David Kadouch». Il conseille à Audrey le Conservatoire de Genève, car celui de Paris admet dix candidats sur deux cent cinquante.
Les confidences de Martha
Ses parents se résignent à ce qu’elle renonce aux études de droit, entreprises en raison de leur insistance inquiète. Elle-même a renoncé à son autre passion, la danse. Elle s’installe à Genève en 1999, apprend en 2001 qu’elle est reçue à Paris dans la classe de Jacques Rouvier, refuse de choisir et mène de front les deux cursus. «J’ai passé beaucoup de temps dans le TGV», note-t-elle avec un sourire, «J’étais assez endurante.»
La liste de ses dettes s’allonge. Audrey bénéficie à Genève de l’enseignement de Sébastien Risler. Son décès, ce mois d’août 2017, la bouleverse: «Il a été si important et influent dans mon développement!» Auparavant, toujours grâce à Rouvier qui l’envoie à seize ans en stage à la Verbier Academy, elle retrouve chaque année un job d’été dans les bureaux du festival, et la voici tourneuse de pages! Martha Argerich et bien d’autres lui parlent, font quelques confidences, demandent son avis sur la balance du son. Elle fait son miel des nombreux récitals qu’elle suit de ce poste à haut risque.
Tchoutchouka et tapas
Car elle aime le risque. Un effet de son éducation? «Peut-être – en réaction à sa rigueur. Mes parents étaient très ouverts, mais stricts. Peu fortunés, ils ont fait de grands sacrifices pour leurs trois enfants.» La mention des décès soudains de son père et d’un frère fait passer une ombre sur le visage souriant d’Audrey Vigoureux. Son patronyme breton ne fait pas oublier que ses deux parents étaient des pieds-noirs élevés au Maroc et en Algérie. Une grand-mère juive représente son seul lien avec l’Afrique du Nord. De la tradition ne reste que la tchoutchouka: la famille est catholique. Mais c’est dans la musique, «une forme de méditation», que la pianiste vit la spiritualité. Un exemple? «Les dernières sonates de Beethoven.»
©Lucy Vigoureux
Elle lit le philosophe Vladimir Jankélévitch, «qui a justement écrit sur la mort… un pavé lumineux!» De la poésie aussi, «depuis l’école et les fables de La Fontaine, que j’adorais réciter». Aujourd’hui, les Russes la passionnent, Pouchkine, Akhmatova, Tsvetaeva. «Et Nietzsche, qui écrivait à 14 ans des poèmes exceptionnels.»
Et le risque? Se lancer, à 26 ans, dans la création d’un festival inédit. «Je n’aime pas les cloisonnements et les conventions étouffantes.» Avec son compagnon, le compositeur Valentin Peiry, et leur grand ami le pianiste de jazz Marc Perrenoud, elle mêle classique et jazz lors des vernissages d’une copine galeriste. Succès! Très vite, de véritables concerts, puis un festival. Cette année, «une centaine d’artistes, vingt concerts et ciné-concerts, deux expos, quatre soirées dansantes, une master class.» N’oublions pas la cuisine! Les trois musiciens fondateurs sont fines gueules. Dès le premier vernissage musical, Audrey s’était mise au fourneau d’abord, au clavier ensuite, et elle continue. «Chaque année, musique, tapas, vins et fête font partie du plaisir total des Athénéennes.» Un festival à l’image de la sensuelle-spirituelle qui l’a imaginé.
Ce qui la dope «La rencontre avec d’autres musiciens, partager la scène avec eux: hyper-stimulant et inspirant.»
Son don inattendu «La cuisine. J’aime manger, mais aussi faire plaisir par l’assemblage des saveurs et des textures.»
Sur sa shamelist «Je suis honteusement accro à Ruzzle, un jeu de lettres et de rapidité sur mon iPhone.»
Son dernier fou rire «Totalement inavouable!»
Son buzz «La découverte d’eau dans les profondeurs de la Lune, l’astre sec, phare de la mélancolie! L’intérêt pour l’astrophysique, une manière d’éprouver une grande humilité face à l’univers, à l’inconnu, au cadeau qui nous est offert d’être en vie.»
©Ulrika Kestere-stock.adobe.com
Sa news Femme «Le décès de Jeanne Moreau, que j’aimais particulièrement. Une très belle image de la femme libre et engagée.»
Son actu «Quasi una fantasia» (Evidence Classics 2016), deux CD en 2018, dont un duo avec son ami David Fray. La 8e édition des Athénéennes, qui se tiendra du 1er au 9 juin 2018. Et un duo piano et électronique, avec le musicien POL.
©Paolo Rroversi
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