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Mon combat auprès des Indiens victimes d’abus sexuels

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Une fois, maman depuis peu, j’ai même allaité un nouveau-né parce que sa mère refusait de le faire.

© Mathilda Olmi

Je ne rêvais pas d’être dans l’humanitaire

Je voulais juste faire quelque chose qui ait «plus de sens». A l’époque, je travaillais comme secrétaire dans une grosse entreprise. Et puis j’en ai eu marre. Tant qu’à gagner ma vie, autant que ce soit en aidant les autres.

Pour décrocher un job au CICR, je devais avoir un an d’expérience dans un pays en voie de développement. J’ai choisi l’Inde pour plusieurs raisons: la vie bon marché, la population parlant couramment l’anglais (ma langue maternelle), la possibilité pour les femmes d’y voyager sans risque et les nombreuses opportunités de bénévolat. Les trois premiers mois, j’ai enseigné l’anglais à des enfants dans le sud du pays. Puis je suis partie à Bombay dans un foyer pour enfants des rues tenu par des frères catholiques. Ma mission était «d’être là» avec les enfants, leur prêter mon genou pour qu’ils puissent poser leur tête, les écouter…

Et voilà qu’un jour, des garçons me confient que certains petits étaient abusés par les plus grands. A 26 ans, c’était la première fois que j’entendais parler d’abus sexuels sur mineurs! Le ciel m’est tombé sur la tête. J’en ai parlé aux frères. Ils étaient conscients des problèmes mais ne faisaient rien, sûrement pour de subtiles raisons de pouvoir… Et j’ai été priée de partir. Avec Marina, une autre Suissesse bénévole, et un moine bouddhiste, nous voulions fonder une école, mais pour avoir dénoncé les abus, nous n’étions plus les bienvenus dans la région. Le moine a reçu des menaces. Marina et moi avons eu peur et sommes rentrées en Suisse.

Du cœur dans nos actions

Devoir partir comme ça, accepter de ne rien pouvoir faire pour ces enfants… je l’ai vécu comme une terrible injustice! Alors, avec Marina, en 2000, nous avons créé l’association Dil Se, ce qui signifie «du cœur», en hindi. L’objectif était de repartir, bien sûr. Mais avant, nous avons fait une recherche de fonds, des ventes dans les marchés aux puces… Mes proches me trouvaient courageuse. Moi, je ne voyais pas les choses du même œil, évidemment: je devais aider les enfants!

Tandis que Marina gérait l’association depuis Lausanne et venait me rejoindre plusieurs mois par an, je suis retournée dans le sud de l’Inde. A Cochin, nous avons trouvé une maison pour accueillir des enfants dont les parents étaient alcooliques, pauvres ou décédés. Des petits livrés à eux-mêmes qui n’avaient d’autre perspective que d’errer dans la rue.

Je me souviens d’un garçonnet, Vicky, arrivé au foyer vers l’âge de 6 ans: un vrai petit sauvage qui voulait toujours s’enfuir. Il avait quitté la région de Surat en train. Nous ne savions presque rien de lui. Un jour, en visionnant le film «8 mm», j’ai eu un déclic. Dans ce thriller, le détective demande à la mère d’une fillette disparue si elle préférerait savoir son enfant morte ou vivre toute sa vie dans l’ignorance. La mère choisit la première option. J’ai réalisé: sans nouvelles de lui, les parents de Vicky devaient être fous! Et je suis partie à leur recherche. Le bambin ne nous avait donné qu’une poignée d’indices: un papa grand, brun, moustachu et qui faisait du vélo, une maman qui portait du sable noir sur la tête, des murs jaunes au bord de chemins de fer… Si peu pour une région qui compte quelque 4 millions d’habitants! Sur place, j’ai été reçue par le chef de la police régionale. Il a ressorti les dossiers d’enfants disparus… Les parents de Vicky avaient signalé sa disparition, à l’époque. Cinq heures plus tard, ils étaient là. Le petit avait fugué après une dispute avec ses parents, six ans auparavant. Ils l’avaient cherché dans les grandes villes voisines. Mais comment l’imaginer à Cochin, à vingt-sept heures de train de là? Quand j’ai vu la maman, je me suis mise à pleurer: elle avait le même visage que son enfant. Au foyer, nous avons organisé les retrouvailles et, deux ans plus tard, Vicky a décidé de retourner vivre auprès des siens.

Un sujet tabou

J’attendais mon deuxième enfant lorsque Dil Se a été appelé au secours par une de nos anciennes protégées de la maison de Cochin. Mariée de force, Girija était enceinte… Je me la rappelais, fillette insouciante qui courait partout et flottait tel un papillon dans les airs. Quel choc de nous retrouver toutes deux enceintes: moi avec mes 39 ans et dans mon ventre l’enfant de l’amour, Girija qui n’avait que 13  ans et qui portait le fruit d’un viol! Comme elle ne pouvait pas réintégrer le foyer qui, pour des raisons légales, était désormais réservé aux garçons, nous avons trouvé une solution temporaire. Et c’est là que l’évidence s’est imposée: nous devions ouvrir un foyer pour adolescentes enceintes!

Depuis 2012, c’est chose faite et nous avons accueilli vingt-huit jeunes filles abusées. Par leur père, leur beau-père, un voisin, un ami de la famille… Les violences sexuelles sont un sujet tabou. En Inde, tout n’éclate au grand jour que lorsque la malheureuse est enceinte et qu’il est trop tard pour avorter. Dil Se collabore donc avec les sages-femmes d’un centre d’accouchement naturel. Nos protégées bénéficient d’excellents soins, elles sont suivies notamment par une psychiatre et une assistante sociale. Les unes gardent leur bébé, d’autres le font adopter, certaines refusent de le voir: chaque histoire est différente. Une fois, maman depuis peu, j’ai même allaité un nouveau-né parce que sa mère refusait de le faire... Au début, j’avais le cœur brisé de voir ces bébés s’en aller. Avec le temps, j’ai dû apprendre à me détacher.

Les chiffres ne mentent pas

Une autre mission de l’association, c’est la prévention contre les abus sexuels sur mineurs dans les écoles, les hôpitaux et les commissariats. Une fois que les adultes auront pris conscience du problème et que les enfants abusés sauront qu’ils peuvent être aidés, nous aurons avancé. En Inde, selon les statistiques, un enfant sur cinq est victime d’agression sexuelle. Mais la problématique est universelle et, comme me l’apprennent mes échanges avec les associations d’autres pays, les chiffres sont comparables. Aucun pays ni groupe social n’est épargné, hélas… Alors, évidemment, je ne m’imagine pas laisser ces petits pour revenir m’établir en Suisse. Ma vie est en Inde. Avec mon mari, mes enfants et l’association. Car même si je dois affronter des situations douloureuses, chaque jour est fait de petites joies.


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