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Abusée enfant, j’ai mis des mots sur ma souffrance

Abusée enfant, j’ai mis des mots sur ma souffrance
© Magali Girardin

J’ai vécu avec mes deux parents durant cinq ans, avant que ma mère ne disparaisse du jour au lendemain. Mon père s’est occupé seul de mon frère et de moi. Lorsque j’ai atteint l’âge de 7 ans, ma mère a refait son apparition dans ma vie. Enfin, un second traumatisme s’est ajouté à cet abandon initial: un adulte proche de la famille a abusé de moi. Avec le temps, les abus sont devenus de plus en plus fréquents et violents, jusqu’à ce que cet homme me livre en pâture à des réseaux pédophiles. Sous son emprise, j’étais un simple objet.

Durant des années, je n’ai osé en parler à personne

J’ai utilisé ma rage et mon sentiment d’injustice pour avancer coûte que coûte. Après des études chaotiques et une tentative de suicide à l’adolescence, j’ai repris le collège du soir pour obtenir ma maturité. Je me suis accrochée et j’ai réussi. C’est quelque chose dont je suis assez fière: une certaine forme de revanche sur la vie. Après l’obtention du précieux diplôme, je me suis inscrite en Faculté de psychologie à l’université. A cette époque, je me sentais bien: je faisais du sport de haut niveau et j’avais le sentiment de maîtriser un peu mieux ma vie. Mais cette situation n’a malheureusement pas duré. Alors que je croyais les choses stabilisées, tout s’est brusquement effondré. Coup sur coup, des pans entiers de mon existence se sont démantelés: mon père est tombé gravement malade, j’ai appris que mon compagnon me trompait et ma situation financière est devenue catastrophique. Ces événements ont fait écho à mes traumatismes d’enfance et m’ont plongée dans une angoisse gigantesque. Je n’arrivais plus à trouver le sommeil, je revivais par flashs des épisodes atroces, des douleurs physiques sont apparues et j’ai pris quarante-cinq kilos. Enfin, j’ai tenté d’oublier mes problèmes en plongeant dans le cercle des jeux d’argent. Face à la débâcle, j’ai dû renoncer à poursuivre mes études. J’ai pris du temps pour moi et j’ai compris que je ne pouvais plus continuer à fuir mon passé: j’avais besoin d’aide.

Les médecins que j’ai rencontrés n’ont pas mis longtemps avant de poser leur diagnostic: syndrome de stress post-traumatique. Trouver de l’écoute, des personnes de confiance pour raconter mon vécu a été salvateur. J’ai compris qu’il ne servait à rien de refouler mon histoire. Mon corps avait eu raison de ma volonté, je ne pouvais plus le contraindre à rester muet. Il me fallait faire quelque chose, donner un sens aux actes abjects dont j’avais été victime.

Raconter pour me libérer

J’ai commencé à rencontrer des journalistes pour leur confier mon histoire. Les premiers articles insistaient sur le côté sensationnel sans atteindre le but que je visais, celui d’informer et de sensibiliser l’opinion publique. Avec le temps, l’attitude des médias et des gens contactés s’est transformée. J’ai eu droit à des textes plus profonds qui mettaient davantage en lumière le sens de mon combat et ma volonté d’informer le grand public. Grâce au soutien de mes thérapeutes et de mon actuel compagnon, j’ai réussi à rassembler mes souvenirs et à publier «Coupable d’être victime», à la fin de 2014. Si le fait d’écrire mon histoire m’a permis d’aller un peu mieux, il ne s’agissait cependant pas d’une finalité. A travers ce récit, j’espérais pouvoir faire évoluer les mentalités, aider les victimes d’actes pédophiles à se libérer de leurs souffrances plutôt que de les perpétuer dans leur vie d’adulte.

Les réactions de mon entourage ont été diverses. Certains de mes proches ont choisi le déni, mais la plupart se sont rapprochés de moi. J’ai reçu de nombreux messages de lecteurs et de lectrices touchés par mes mots, un nombre inimaginable de témoignages d’hommes et de femmes abusés me remerciant d’oser m’exprimer. Je fais tout mon possible pour encourager celles et ceux qui s’adressent à moi et je réponds à chaque fois. Leur offrir quelques mots, alors qu’ils sont dans un mode de survie, est une manière de reconnaître leur souffrance, de les respecter. Etant donné ce que j’ai moi-même vécu, cela me semble être la moindre des choses.

On ne s’en sort jamais complètement

Lorsqu’on salue ma démarche en évoquant mon courage, j’insiste sur le terme de «rage». Cette colère et ce sentiment d’injustice, une fois exprimés, m’ont permis de modifier l’image que j’avais de moi-même. Finalement, les personnes que j’ai rencontrées suite à la publication du livre me soutiennent davantage que celles avec lesquelles je partage des liens de sang. L’accueil qui m’a été réservé par le public a dépassé toutes mes espérances.

Malgré tout, les choses ne sont et ne seront sans doute jamais totalement réglées. S’il est possible de retrouver une certaine qualité de vie, on ne s’en sort jamais complètement. Je vais mieux aujourd’hui mais les moments de tristesse m’habitent toujours. Avec le temps et du soutien, j’ai appris à bien m’entourer, à cultiver l’humour, voire une certaine forme de joie. Mais mon combat ne fait que commencer. Je veux que le silence soit brisé, qu’on aide ces enfants devenus grands à s’exprimer, à se libérer de leur traumatisme. Trop souvent, les victimes sont confrontées au déni de leurs proches lorsqu’elles osent parler. Cette attitude est une violence de plus, une non-reconnaissance qui ajoute à la douleur le poids de la culpabilité. Et ce n’est pas un hasard si bon nombre de ces jeunes abusés plongent dans la dépendance ou l’addiction une fois adultes. Ils y resteront enfermés tant que les conditions pour guérir leur seront refusées.

Lorsque je m’en sentirai capable, j’aimerais fonder une association. Pour l’heure, je cherche encore mon équilibre. Soutenir les autres me tient particulièrement à cœur, mais je dois aussi me préserver. J’espère que mon témoignage contribuera à lever le voile sur ce fléau qu’est la pédophilie, à sensibiliser les gens et à libérer la parole des victimes.

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