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J’enseigne aux enfants malades

Femina 22 Temoins Enseignante CHUV

Les décès sont douloureux. J’en ai vécu peu, heureusement.

© Jessica Amber

«L’école à l’hôpital? Qu’est-ce que c’est?» me demande-t-on souvent. Il s’agit en fait de donner des cours dans l’enceinte hospitalière pour les jeunes malades. Lorsque j’ai commencé au CHUV, je ne savais pas vraiment dans quoi je m’embarquais. Pourtant, avec déjà une trentaine d’années d’expérience, je connaissais mon métier. J’ai toujours enseigné les sciences et les maths à des élèves de 10 à 16 ans. A l’hôpital, l’école est ouverte aux patients en âge de scolarité, quelle que soit la durée de leur hospitalisation. Nous devons nous adapter à leurs besoins en termes d’apprentissage, car l’absence scolaire peut avoir de lourdes conséquences. Des études montrent que décrochages ou redoublements surviennent après trois semaines de déscolarisation déjà. Fort de ce constat, le Département vaudois de l’instruction publique et le CHUV ont mis en place en 2009 l’Ecole à l’Hôpital.

L’imprévu dicte le quotidien

Nous sommes actuellement cinq enseignantes, avec chacune ses matières – français, anglais, allemand, mathématiques, sciences – pour les primaires ou pour les secondaires. Nous gardons toutes un pied dans l’enseignement public, ce qui nous permet de rester à jour avec le programme et le matériel scolaires. C’est un excellent équilibre.

A l’hôpital, l’imprévu dicte notre quotidien. Des patients s’en vont, d’autres arrivent. Selon leur âge et leur cursus scolaire, les niveaux varient. En venant travailler le matin, je ne sais pas qui sera là ni ce que nous étudierons précisément. Si un élève a un test de maths le lendemain, je m’adapte pour qu’il soit prêt à temps. Je dois pouvoir rebondir, même sans préparation. Pour un enseignant qui a l’habitude d’avoir une classe de vingt élèves à qui il fait suivre un programme préétabli, cela peut être déstabilisant. Moi qui déteste la routine et qui adore les challenges, je suis servie.

Ici, le parcours scolaire de chaque adolescent est un projet en soi. Aucun risque que je m’ennuie! Il faut coller à la situation propre à l’élève, à sa maladie et à ce qu’elle implique. Certains patients étudient en groupe dans notre salle de cours, d’autres ne peuvent pas se lever et bénéficient de leçons dans leur chambre. Il arrive aussi que certains enfants soient isolés pour des questions sanitaires. Dernièrement, nous avons suivi plusieurs patients porteurs de la tuberculose. Nous devions porter un masque spécial pendant les cours avec ces malades. Pour moi qui ai des lunettes, ce n’est pas évident à cause de la buée qui se forme, mais je m’y suis habituée. Si l’enseignante est contagieuse, en cas de rhume notamment, elle doit également porter un masque. Et elle ne côtoiera pas les malades à haut risque, pour ne pas les mettre en péril.

Des élèves scotchés à la télé

Autant que possible, nous essayons de sortir les jeunes de leur chambre. Bien que l’on reste sur le même étage, l’idée est «d’aller à l’école». C’est important du point de vue social, pour pouvoir partager avec d’autres camarades et créer des connivences. Un enfant demeure un enfant, qu’il soit malade ou en bonne santé. Et moi, je suis son enseignante. Je tiens à rester dans cette réalité extérieure à l’hôpital. L’école représente pour le patient une «normalité». L’enseignement lui permet de sortir du cadre hospitalier pour se projeter dans l’après-maladie. L’Ecole à l’Hôpital joue ainsi un rôle crucial au niveau moral et de l’estime de soi du patient. Comme à l’école publique, les élèves assidus côtoient les moins scolaires. Certains sont demandeurs de cours, d’autres sont scotchés à leur télé. Il m’est arrivé d’être face à des jeunes qui prétendaient avoir perdu la télécommande alors qu’elle était cachée sous leur matelas. Pour mettre en confiance l’enfant, je commence par la matière qu’il préfère, ou je trouve un moyen ludique de l’intéresser. Par exemple, face à un jeune accro à sa tablette, je lui propose de travailler à partir d’une application mathématique sur celle-ci. Son intérêt se fait immédiatement sentir.

Voir au-delà de la maladie

Pour chaque patient, nous échangeons avec ses parents, ses médecins et ses professeurs. Le but est d’être le plus proche possible de la progression qu’il aurait eue en restant dans sa classe. Les heures d’enseignement à l’hôpital sont certes moins nombreuses que dans le public, mais on cible les besoins pour aller au plus urgent. En plus, les cours étant quasiment privés, les enfants apprennent rapidement et se rendent compte de ce bénéfice. Les parents aussi. Ils sont généralement très reconnaissants. C’est extrêmement valorisant. Souvent, mes collègues de l’école publique ou mes proches me disent qu’ils ne pourraient pas travailler avec des petits malades. Emotionnellement, ils imaginent ne pas tenir le coup. Bien sûr, cela fend parfois le cœur. Je pense particulièrement à ceux qui souffrent du cancer. Lorsqu’ils arrivent à l’hôpital, ils vont encore «bien». Puis, avec les traitements, ils changent physiquement. Alors que je débutais au CHUV, je me souviens d’un petit qui m’a dit: «Regarde, je perds mes cheveux.» Je lui ai répondu: «Tu sais, quand ils repousseront, ils seront deux fois plus beaux!» C’est sorti spontanément. J’ai alors su que lorsqu’il le faudrait, je trouverai les mots. Personnellement, il y a vingt-cinq ans, moi non plus, je ne me serais pas sentie capable d’enseigner à l’hôpital. J’étais maman d’enfants en bas âge et la maladie me faisait peur.

Pour exercer en milieu hospitalier, il faut être sensible et solide à la fois. Je ne vais pas mentir, on s’attache à nos patients. Les décès sont douloureux. J’en ai vécu peu, heureusement. A l’inverse, je vis de grands moments de joie lorsqu’un élève est rétabli. Je trouve génial, par exemple, de croiser dans les couloirs un gamin en rémission d’un cancer dont les cheveux ont repoussé. Avec le temps, la maladie s’estompe vite au profit de sa personnalité. C’est ce qui me donne la force d’aller de l’avant et qui rend mon activité si enrichissante.


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