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Séries télé: que disent-elles de nos angoisses?

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Intitulé «15 millions de mérites», cet épisode de «Black Mirror» aborde de manière féroce et cruelle la téléréalité et la société du spectacle.

© DR

On croyait le couple SF-TV à bout de souffle, démodé, en panne de fans. On se trompait. La preuve par des séries sombrement futuristes comme «Missions», «Transferts», «Better than Us», «3%», «Black Mirror», «Sense8», «Orphan Black», «Stranger Things», «The Leftovers» ou encore «The Handmaid’s Tale» qui, toutes, démontrent que la télévision adore l’anticipation. Et réciproquement à en croire l’accueil reçu par ces sagas lors de leurs présentations/diffusions. Mais pourquoi ce genre plaît-il tant? Quel besoin a donc l’Homo Televisicus de dévorer les histoires d’un demain volontiers cauchemardesque?

Pour les spécialistes de fiction en général et de SF en particulier, la réponse tient en deux mots: effet miroir. Lequel, plus ou moins déformant, conduit le spectateur à réfléchir sa vie en la regardant au travers de différents prismes. Ainsi peut-il par exemple «se réapproprier l’avenir, se dire que tout dépend encore de lui, de nous», note Florence Quinche, philosophe et professeure formatrice à l’Unité de recherche et d’enseignement sur les médias et technologies de la Haute Ecole pédagogique de Lausanne.

Evasion et réflexion

Doctorant en philosophie antique à l’UNIL, Maël Goarzin relève pour sa part que ces plongées en écrans généralement noirs permettent aussi de se familiariser avec différents futurs possibles: «De plus en plus nombreuses et rapides, les innovations technologiques touchent notre quotidien, et ce qui paraissait très lointain hier, comme une voiture sans conducteur, est désormais réalisable – si ce n’est déjà réalisé. Or, poursuit-il, ces nouveautés soulèvent des questions et intriguent. Beaucoup de gens sont un peu perdus face au monde dans lequel nous allons prochainement évoluer. Mettre des images sur un bientôt pas forcément rassurant, selon la série dont on parle, c’est une manière de répondre à ces questionnements ou, aussi, à ces désirs de voir la société aller vers encore plus de technologie

Plus encore, ces épopées télévisuelles servent aussi à envisager le présent. «Nous sommes dans une période de bouleversements profonds et ces œuvres témoignent, comme d’autres formes artistiques, des angoisses liées à cette atmosphère particulière», écrivait ainsi récemment Marjolaine Boutet, historienne et experte ès séries TV. Globalement, en s’immergeant dans une autre réalité, on s’évade, on oublie le quotidien tout en entamant une réflexion sur ce qui se passe autour de nous. Ou ce qui pourrait se passer – comme le relève Florence Quinche: «Les auteurs de séries sont très attentifs aux ponts entre la réalité et l’histoire qu’ils écrivent. Plus ces liens sont riches, plus l’intrigue devient intéressante et nous permet de parler du monde actuel. Elle sert en quelque sorte de lieu de débats sur les changements de notre société.» Autrement dit, ces séries invitent à réfléchir.

Cependant, de là à imaginer que ces sagas sont militantes, il y a un pas à ne pas franchir, prévient Achilleas Papakonstantis, assistant diplômé de la section d’histoire et esthétique du cinéma, à l’UNIL. Il s’explique: «Depuis les années 1950, l’anticipation et la SF permettent le déguisement d’un discours qui se veut politique. Des séries comme «Trepalium» ou «Mr. Robot» jouent en effet de la résonance avec des événements actuels: la crise économique, le hacktivisme, Wikileaks, les afflux de réfugiés ou même l’élection de Donald Trump.» Plein de fougue, il reprend: «On ne peut pas s’empêcher de tracer des parallèles.

Mais il ne faut pas sous-estimer l’influence des stratégies commerciales qui entrent en jeu!» Car pour lui, l’affaire est claire: les chaînes de TV et maisons de production savent où sont leurs intérêts. En l’occurrence, soulever des questions idéologiques et éthiques reflétant les angoisses d’une grande partie de la population peut se révéler très rentable. Et, conjointement, très utile à l’establishment: «Le problème de la plupart de ces séries, c’est qu’elles déplacent constamment le questionnement politique vers les problématiques individuelles des héros, analyse Achilleas Papakonstantis. Ce glissement fait qu’on évite du même coup de (trop) parler de problèmes structurels ou du néolibéralisme, par exemple. Je me demande si, finalement, ces histoires ne contribuent pas à nous faire accepter plus facilement des situations qui devraient nous révolter.» En d’autres termes, elles endormiraient les spectateurs et, peut-être, aideraient à les préparer psychologiquement à affronter des possibles futurs.

Effrayant? Evidemment. Espérons donc que la vérité de demain soit ailleurs…

Le mudac regarde de l’autre côté du miroir

Réflexion Offrant un reflet toujours pertinent des grandes problématiques sociétales, le Mudac se penche dès le 24 mai 2017 sur l’une des grands incontournables de notre époque: l’image. Par le prisme du miroir, sous toutes ses formes, le musée se propose de décrypter les innombrables et passionnantes facettes de cette thématique hautement d’actualité.

«Miroir Miroir», du 24 mai au 1er octobre 2017 au Musée de design et d’arts appliqués contemporains (Mudac), place de la Cathédrale 6, Lausanne.

Better Than Us

L’histoire se passe demain, à Moscou. Complètement intégrés, les robots partagent la vie des humains. Plongé dans une situation familiale compliquée Georgy, un médecin légiste en chair et en os, va se retrouver mêlé au premier meurtre commis par une humanoïde.

Ce qu’elle prédit: Dans la lignée de «Westworld», «Humans» ou «Real Humans», cette série parle de l’arrivée imminente de machines à figures humaines dans nos sociétés. Et soulève de nombreuses questions éthiques.

C’est en train de se réaliser: La robotique se développe. Mais on est encore loin du compte – n’en déplaise à l’éminent professeur Hiroshi Ishiguro, directeur du Laboratoire de robotique intelligente à l’Université d’Osaka et papa de la surprenante robote Repliee Q1Expo. Car comme le souligne le philosophe Maël Goarzin: «La raison et le langage ne sont plus, à l’heure actuelle, ce qui distingue l’homme de la machine. Ce sont les émotions. Et ça, les séries d’anticipation mettant en scène des robots humanoïdes le montrent bien.»

Black Mirror

Indépendants les uns des autres, les épisodes de cette série montrent les conséquences de l’utilisation de telle ou telle innovation technologique.

Ce qu’elle prédit: Des humains absolument soumis aux nouvelles technologies.

C’est en train de se réaliser: La dictature du «like» des réseaux sociaux; le chantage virtuel, la miniaturisation des drones…

Ça s’est réalisé: En 2013, la série avait prédit l’élection de Donald Trump. Vous doutez? Regardez «Le show de Waldo». Dans «Bientôt de retour», l’héroïne, qui vient de perdre son mari, continue à vivre avec lui via les nombreuses traces numériques qu’il a laissées. L’intrigue est poussée à l’extrême mais selon le PDG de Huawei, Kevin Ho, il sera sans doute prochainement «possible de créer des copies numériques de n’importe quel individu, des copies qui seront ensuite représentées sous la forme d’un simple avatar accessible depuis des applications mobiles.»

Fringe

Aidés d’un génie à moitié frappadingue, des agents du FBI s’attaquent à des phénomènes étranges et inexpliqués. Et sont plongés dans une réalité alternative.

Ce qu’elle prédit: Les sciences marginales (ou «fringe», en V.O.) que sont la télékinésie, la télépathie ou la téléportation seraient bien moins farfelues qu’on veut bien le dire.

C’est en train de se réaliser: Depuis la fin de «Fringe», en 2013, des études semblent montrer que la communication cerveau à cerveau via un équipement adéquat est possible. Cependant, attention, s’agace le philosophe spécialiste du transhumanisme Gabriel Dorthe: malgré les immenses progrès réalisés par les sciences, «il y a un grand écart entre ce qui se passe effectivement dans les labos et ce que racontent ces séries». En d’autres termes: non, la réalité n’a pas dépassé la fiction.

Mr. Robot

Informaticien génial et schizophrène, Elliot est un Robin des Bois du virtuel. Ce qui le motive? Une phrase toute simple: «Le monde est un endroit dangereux. Pas à cause de ceux qui font le mal mais à cause de ceux qui en sont témoin et ne font rien.»

Ce qu’elle prédit: Un effondrement du système économique mondial qui remettrait tous les compteurs à zéro.

C’est en train de se réaliser: Au vu de certains piratages réussis par des groupes comme Anonymous, le scénario de «Mr. Robot» paraît plausible. A l’origine des révélations des écoutes de la NSA, Edward Snowden lui-même estime d’ailleurs que les technologies de hacking mises en scène sont crédibles.

Star Trek

L’histoire se passe au XXIIIe siècle et raconte les péripéties des membres de l’équipage d’un vaisseau spatial qui a pour mission d’explorer la Galaxie afin d’y découvrir d’autres formes de vie.

Ce qu’elle prédit: En plus d’avancées technologiques extraordinaires, le créateur de «Star Trek» imagine une humanité débarrassée de la maladie, du racisme, de la violence, de la religion, du sexisme ou de l’argent.

Ça s’est réalisé: «Star Trek» a inspiré le téléphone portable (son concepteur a avoué l’avoir mis au point en pensant au communicateur du capitaine Kirk), le GPS ou le kit Bluetooth, dérivé direct de l’oreillette du lieutenant Uhura. Les appareils à reconnaissance vocale et les systèmes de visioconférence doivent aussi beaucoup à cette série. La communication par hologrammes 3D, si basique dans la Fédération des planètes unies, serait, elle, sur le point de devenir réalité…

3%

Cette série brésilienne parle d’une société coupée en deux: d’un côté les riches (soit 3% de la population), de l’autre les pauvres. Pour vivre parmi les privilégiés, il faut passer des épreuves…

Ce qu’elle prédit: Cette série s’interroge sur «un futur où les inégalités continueraient à progresser et où, en quelque sorte, on aboutirait à une société clivée par une paupérisation de la majorité, où seul un infime pourcentage pourrait s’échapper de la misère», note Florence Quinche. Concrètement, elle prévoit un fossé de plus en plus profond entre les nantis et les démunis avec, corollaire, une humanité hyperhiérarchisée et sans pitié pour les moins performants.

C’est en train de se réaliser: La (di) vision développée par 3% fait tristement écho au ressenti de millions de personnes dans le monde.


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