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«Mon pire ennemi»: Zar Amir Ebrahimi s'est inspirée de ses interrogatoires en Iran

Mon pire ennemi zar amir ebrahimi sest inspiree de ses interrogatoires en iran

Pour Mon pire ennemi, en salles le 17 janvier 2024, l'actrice Zar Amir Ebrahimi a puisé dans les mois d'interrogatoires qu'elle a vécus en Iran avant de fuir.

© AFP/JOEL SAGET

Depuis son Prix d’interprétation au Festival de Cannes 2022 pour son rôle de journaliste en lutte contre l’oppression religieuse et le sexisme dans Les Nuits de Mashhad, d’Ali Abbasi, Zar Amir Ebrahimi ne s’arrête plus. En novembre 2022, deux mois après la mort de Mahsa Amini et la naissance du mouvement iranien «Femme, vie, liberté», elle faisait la une de Télérama avec son amie et sœur d’exil, l’actrice Golshifteh Farahani. Elle a ensuite tourné Sept hivers à Téhéran (à voir sur les plateformes de streaming), ainsi que Reading Lolita in Tehran, Shayda (présenté au Festival de Locarno, où elle était aussi membre du jury) et Tatami (sélectionné à la Mostra de Venise), qui doivent tous sortir prochainement. Elle travaille actuellement sur Honor of Persia, son premier long métrage derrière la caméra, inspiré de sa dernière année en Iran.

Dans Mon pire ennemi, Zar endosse le rôle d’une interrogatrice sans pitié face à un prisonnier incarné par Mehran Tamadon, afin de confronter les autorités à leurs pratiques. L’actrice et le réalisateur seront présents le 17 janvier 2024 au CityClub Pully (VD) et le 18 janvier au Bio à Carouge (GE) pour présenter cette coproduction franco-suisse choc et dérangeante, qui oscille entre documentaire et fiction. Pour comprendre son impact, il faut savoir que la comédienne a elle-même subi ces violences: en 2006, alors qu’elle est une star de la télé iranienne, une vidéo intime d’elle est publiée sur le Net. Elle a 25 ans et passe six mois en interrogatoire, obligée de répondre à des questions sur sa vie sexuelle à un tribunal entièrement masculin. Elle s’enfuit en France à la veille d’un procès joué d’avance…

Comment avez-vous réagi lorsque Mehran Tamadon vous a contactée pour vous proposer de prendre part à son film?
J’avais bien sûr très envie de travailler avec lui car j’admire son travail, mais en même temps je savais que je me mettais dans une situation étrange et difficile.

L’idée était que je m’inspire des mois d’interrogatoires que j’avais vécus moi-même en Iran avant de fuir, et j’ai pensé que cela pouvait être une manière de surmonter mes traumatismes.

Vous n’avez donc pas hésité?
Quelques jours avant le tournage, je me suis demandé pourquoi j’avais dit oui au projet. Je ne voulais plus revivre ça. Les interrogateurs du régime islamique fouillent dans la vie privée des gens pour les déstabiliser, alors j’avais essayé de faire pareil, j’avais cherché des informations sur Mehran, sur son cercle de proches… En arrivant le premier jour sur le tournage, je me détestais, je détestais Mehran, je détestais cet endroit et je regrettais d’avoir accepté d’en faire partie.

Comment vous y êtes-vous prise pour gérer la suite?
Il n’y avait pas de scénario précis, donc nous nous sommes lancés avec ce que j’avais préparé, puis c’est parti sur de l’improvisation et là, c’est devenu encore plus terrifiant. Comme on le voit dans le film, j’ai réellement gardé Mehran enfermé pendant plusieurs jours, j’ai cherché à le détruire pour le faire craquer. Je l’ai laissé nu toute une nuit dans une salle de bains minuscule et glaciale. Je n’ai pas pu en dormir, mais il fallait que j’aille jusqu’au bout.

Qu’est-ce que ça a provoqué comme sentiments en vous?
Je me suis demandé comment les interrogateurs pouvaient vivre une vie normale après leur journée de travail, s’ils se sentaient coupables, s’ils faisaient des cauchemars… C’était une expérience étrange, qui me laisse encore aujourd’hui avec mille questions sans réponse. Qu’est-ce qu’une fiction et qu'est-ce qu’un documentaire? Où est la limite de l’art? Peut-on se faire du mal au nom du cinéma? Était-ce la vraie moi qui faisait tout ça ou était-ce un rôle? Était-ce une revanche? En tout cas je ne peux pas dire que je suis fière de mon travail sur ce film et j’ai eu besoin de prendre de la distance après le tournage. Je ne voulais plus parler à Mehran, je lui en voulais. Trois ans après, c’est différent… J’ai un rapport d’amour-haine avec ce film.

En même temps, vous n’êtes pas une adepte des sujets faciles! Dans le doc Sept hivers à Téhéran, vous êtes la voix d’une jeune Iranienne qui a été exécutée en 2014…
Oui, cela après avoir passé 7 ans en prison, car elle avait donné un coup de couteau à un agresseur qui essayait de la violer. Dans le film, je lis les lettres qu’elle a écrites depuis la prison. Je me suis sentie connectée à elle en tant que femme iranienne confrontée à tous les problèmes d’une société dominée par le patriarcat et la misogynie, et qui n’a pas d’arme pour se défendre. Je suis émue à chaque fois que je parle de cette histoire.

Présenté à Locarno, Shayda traite aussi de la violence faite aux femmes à travers le récit d’une jeune mère iranienne et de sa fille qui fuient un mari violent.

Oui, et cette violence ne concerne pas que les femmes iraniennes, il y en a partout. Je suis allée chercher profondément en moi, dans mon vécu, dans mes rencontres avec les femmes et dans toute la violence que j’ai vue autour de moi. C’était un tournage intense, j’ai perdu quatre kilos et j’ai pleuré tous les jours.

En 2022, vous recevez le Prix d’interprétation à Cannes et figurez sur la liste des 100 femmes les plus influentes du monde établie par la BBC. Cette visibilité est-elle importante pour ce que vous avez à dire?
Tout ça est tombé au cœur d’une révolution pour les droits des femmes et la liberté. Parfois c’est fatigant, je ne fais pas du cinéma pour parler de politique tous les jours, mais en même temps je me dis qu’il faut profiter de ce moment où ma voix compte. Les célébrités ont une chance plus grande que les autres d’être vues et entendues, alors j’essaie d’être efficace.

Résistance: Elles ne se tairont pas

Si la révolte entamée à la mort de Mahsa Amini gronde un peu moins fort aujourd’hui, le combat contre le régime des mollahs ne s’atténue pas pour autant et se manifeste sous diverses formes d’expression. Ainsi, l’ouvrage de Nila Dans les rues de Téhéran raconte la révolte iranienne de l’intérieur, tandis que Chowra Makaremi documente un an d’embrasement vu de l’étranger dans Femme! Vie! Liberté! dans lequel apparaît l’actrice Golshifteh Farahani. En octobre 2022, cette dernière monte rejoindre Coldplay sur scène pour interpréter Baraye, hymne contestataire du mouvement. Pour le roman graphique qui emprunte le même iconique slogan, l’autrice Marjane Satrapi (Persépolis) a réuni experts et artistes pour décrypter ce soulèvement populaire sans précédent. Quant à Narges Mohammadi, militante des droits humains, elle continue ses dénonciations depuis la cellule où elle est emprisonnée depuis 2021. Son combat lui a valu d’être récompensée du Prix Nobel de la paix, un hommage que ses enfants sont venus chercher en son nom. Les Iraniennes n’ont pas prévu de se taire.

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