portrait
Pianisme: Layla Ramezan, du côté oriental du clavier
Elle aime le parfum de neige que l’on sent ici, cet air montagnard. «C’est la première chose qui m’a frappée en arrivant à Lausanne pour la première fois. C’était comme à Téhéran et cela m’a donné l’impression d’être à la maison.» Être là, mais en même temps un peu ailleurs aussi. Une sensation familière pour Layla Ramezan, elle qui a quitté son Iran natal il y a plus de deux décennies, elle l’amoureuse de poésie persane, où le mysticisme de Rûmî, Farid al-Din Attar ou Hafez invite à se connecter quelque part hors de soi. Mais toujours pour mieux se retrouver.
«Cet aspect mystique, si important dans la culture iranienne, je le retrouve dans la nature suisse, dans ses lacs et dans ses montagnes.» De même, lorsqu’elle s’assoit au piano et se met à jouer, Layla n’est jamais loin de la démarche si particulière du soufisme, avec cette recherche quasi contemplative de soi, consistant à savoir s’abandonner, s’oublier, puis revivre et exister. «En persan, on appelle cela le Hal, c’est effacer sa volonté pour laisser autre chose venir. C’est dans ces moments que l’on peut interpréter la musique dans l’état de grâce nécessaire.»
Au pays de la musique interdite
Maturité dans l’approche de son métier d’autant plus étonnante que Layla Ramezan a grandi dans une société où la musique était effacée de la réalité.
Ses premiers coups de foudre artistiques, Layla les vit donc non pas dans la musique, mais dans les mots. Ses parents, professeurs de lettres à l’université, l’emmènent assister à des cercles de poésie. «J’avais environ 5 ans, et même si je ne comprenais pas tout ce qu’il se disait, j’étais fascinée par cette ambiance.»
Un instrument inconnu
C’est également à cette période qu’elle commence la gymnastique artistique. «Comme j’avais un petit gabarit, que j’étais légère, j’étais plutôt douée et j’ai vite bien accroché.» La petite Layla va faire de Nadia Comaneci son modèle absolu. Elle admire cette jeune Roumaine, première gymnaste à décrocher un 10, la note parfaite, en compétition internationale. «C’était un mythe à l’époque. Les actualités en Iran, mais aussi mes parents, parlaient beaucoup d’elle. Sa détermination et sa force étaient une inspiration pour moi. Je rêvais de devenir athlète, comme elle.»
Si Layla Ramezan n’est pas devenue gymnaste pro, c’est cependant grâce à ce sport qu’elle est devenue pianiste. «Ma professeure de gym nous faisait souvent danser sur des musiques classiques, dont des morceaux pour piano. Je n’avais jamais vu cet instrument de ma vie et j’ignorais donc ce qui générait ces sons magiques.» C’est alors qu’elle est invitée avec sa famille chez un ami, à Téhéran, qu’elle voit un piano pour la première fois. Elle a 7 ans. Son attraction est immédiate. «J’ai tout de suite voulu le toucher, jouer des notes.»
Touché par l’intérêt de la petite fille, l’ami suisse actionne son réseau et la met en contact avec un professeur de composition iranien pour prendre des cours. Des années plus tard, en dépit des souhaits de ses parents de la voir embrasser une carrière de médecin ou d’avocate, elle choisit de faire du piano le centre de son existence. Aucun cursus de haut niveau n’étant consacré à la musique en Iran, il lui faut alors penser à partir.
La profondeur de Schubert
Les États-Unis, dont elle rêve, lui refusent un visa, mais elle est finalement acceptée à l’École Normale de Musique de Paris après avoir envoyé un enregistrement par la poste. Le regret des États-Unis est vite oublié, d’autant plus qu’elle rencontre celui qui va devenir son mari. «Paris n’est-elle pas la ville de l’amour, après tout?» Ensemble, ils vont bientôt s’installer à Lausanne sur invitation d’un professeur du Conservatoire. Layla y mène sa carrière sans trahir tout ce qui fait la richesse de son identité.
Des enseignements au Conservatoire. Des récitals où les poètes qu’elle aime tant et des compositeurs comme Schubert – «il y a la profondeur des poètes mystiques chez lui» – se répondent. Des disques consacrés aux compositeurs persans. Des concerts en trio avec son mari clarinettiste et une collègue violoniste. Le 8 mars, lors d’un événement donné à l’occasion de la Journée internationale des droits des femmes au Théâtre Vidy-Lausanne, elle jouera autour de textes de poétesses iraniennes et afghanes, certaines ayant payé de leur vie le fait d’écrire sur le désir féminin, «des tabous dans ces régions».
Héritage et modernité
Pour elle, «il est très symbolique de redonner une voix à ces femmes qu’on a voulu réduire au silence». Et Layla de pointer du doigt le parallèle avec la situation actuelle, Téhéran affrontant depuis septembre l’un des plus importants mouvements de contestation de son histoire.
Layla Ramezan n’en est-elle pas l’incarnation?
Bio express
- 1983 Naissance à Téhéran.
- 1990 Commence le piano.
- 2000 Acceptée à l’École normale de musique de Paris.
- 2007 S’installe à Lausanne avec son mari.
- 2017 Sort le premier album de son projet «100 ans de musique pour piano iranienne», chez Paraty.
Tehran Manifest, Soirée solidaire avec poésie, musique et performances, 8 mars 2023 au théâtre de Vidy à Lausanne, programme complet: vidy.ch
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