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Iran: Selon Azadeh Kian, «les femmes continuent de désobéir»

Iran: Selon Azadeh Kian, «les femmes continuent de désobéir»

Après le décès tragique de la Kurde de 22 ans, arrêtée pour un voile mal ajusté puis battue à mort, les Iraniennes se sont soulevées contre le régime, comme ici à Téhéran, début octobre 2022.

© KEYSTONE/AP PHOTO MIDDLE EAST IMAGES

FEMINA Cela fait un an que la population iranienne s’est soulevée suite à la mort de Mahsa Amini. Quelle est la situation actuelle en Iran?
Azadeh Kian La répression est féroce et s’est intensifiée à l’approche de cet anniversaire: les proches des personnes assassinées, tout comme des journalistes et des défenseur-euse-s des droits humains, sont arrêté-e-s préventivement afin d’empêcher une nouvelle mobilisation. Des slogans hostiles au régime résonnent toujours dans les rues de certaines villes kurdes ou encore à Zahedan, le chef-lieu de Balouchistan. Ailleurs, peu de manifestations ont été observées à cause de la surveillance accrue et des nombreuses arrestations depuis 2022 – plus de 20 000 –, dont beaucoup d’organisateur-rice-s des mouvements d’étudiant-e-s, d’ouvrier-ère-s, d’enseignant-e-s et de féministes.

De leur côté, les femmes, en particulier la jeune génération, continuent de désobéir, par exemple en refusant de porter le voile islamique. Cela a commencé à Téhéran et s’est désormais très répandu.

Cet été, on a vu des jeunes femmes défier davantage le régime avec des tenues estivales, courtes et décolletées. Elles ont arraché ces libertés, qui ne sont pas reconnues et même punies par la loi. Enfin, la mobilisation des étudiant-e-s se poursuit: certaines associations estudiantines ont été interdites d’activité, mais d’autres continuent de faire circuler des pétitions invitant à la désobéissance civile.

Iran: Selon Azadeh Kian, «les femmes continuent de désobéir»
Azadeh Kian est professeure de sociologie à l’Institut des humanités, sciences et sociétés à l’Université Paris Cité. Elle a notamment publié le livre «Femmes et pouvoir en islam» en 2019. © EUROPEAN PARLIAMENT FLICKR

Qu’est-ce qui a changé avec le décès de Mahsa Amini?
Il y a eu des mouvements de la classe populaire, matés dans le sang, avant la mort de Jina Mahsa. Le mécontentement de la population était déjà présent, tant le contexte social, économique et politique est tendu.

Cette belle jeune femme kurde de 22 ans représentait l’innocence de la jeunesse iranienne. Son décès a été vécu comme l’assassinat de toutes les jeunes femmes.

La génération de Jina Mahsa, celle des réseaux sociaux, porte des revendications pour la liberté et l’égalité. Ensuite, le mouvement qui a suivi cette mort tragique est historique, parce que pour la première fois dans l’histoire de l’Iran, les femmes sont sur le devant de la scène contestataire et les hommes les soutiennent. Une bonne partie de la population se bat pour l’égalité de genre.

Pourquoi le voile est-il instrumentalisé dans cette lutte?
Rejeter le voile, c'est rejeter le régime et l’islam politique au pouvoir. Il faut chercher la raison dans l'histoire: en 1936, le père du shah d'Iran a imposé aux femmes de ne pas porter le voile pour incarner la modernité à l’occidentale. Puis lors de la révolution en 1979, comme une vengeance, le nouveau régime a rendu le port du foulard obligatoire parmi ses premières mesures. Le voile est l'emblème politique, l'ADN du régime. À mon sens, c'est le seul symbole entre les mains du régime qui assure à sa base ultraconservatrice religieuse leur nature islamique. Pourtant, des pans entiers de la société rejettent ce symbole: il y a des changements de comportements culturels.

Pourquoi les femmes se trouvent-elles au cœur de cette révolution?
Parce que les inégalités entre femmes et hommes sont au fondement du régime islamique de l’Iran. Il n’y a pas seulement le port du voile obligatoire: toutes les lois sont discriminatoires à l’égard des femmes. Par exemple, elles ne peuvent pas travailler, sortir du pays ou même dans la rue sans l’autorisation de leur mari. Leur vie vaut la moitié de celle d’un homme.

Aujourd’hui les femmes, y compris celles issues des minorités ethniques et religieuses, demandent l’égalité et, à travers cette revendication, disent non au régime inégalitaire.

Il en va de même en Afghanistan, où les femmes sont la cible de l’islam politique. La volonté des islamistes est que les femmes se cantonnent au rôle d’épouse et de mère. Mais les Iraniennes ne se laissent pas faire.

Même les petites filles sont prises pour cible, on se souvient de cette série d'empoisonnements en hiver 2023.
Oui, parce que la mobilisation était très forte dans les écoles et les lycées. Des jeunes filles ont ôté leur voile et insulté le régime et le Guide. Les empoisonnements étaient une vengeance. Et les talibans à l'iranienne, comme je les appelle, sont contre l'éducation des filles. Après l'école, celles-ci vont au lycée, puis à l'université. Par ces actions orchestrées, ils ont voulu faire peur aux parents et pousser les filles à ne pas retourner à l'école.

Que risquent celles qui refusent de se soumettre?
Dans certaines villes, où de nombreuses femmes de tout âge se baladent sans foulard, la police ferme les yeux. Mais à Téhéran, le régime est plus exigeant: si une femme isolée ne porte pas de voile, elle est arrêtée et amendée. Toutefois si elles sont en groupe, la police n'ose pas intervenir, de peur que les passant-e-s interviennent. Si une femme récidive, elle risque l'emprisonnement jusqu'à 3 ans. Mais cela dépend des villes et des décisions du juge. À celles qui désobéissent, on leur confisque leur voiture, elles perdent leur travail ou leur commerce: de nombreuses mesures répressives existent.

J'ai remarqué que les peines les plus sévères ont été prononcées contre des célébrités, pour en faire des exemples et ainsi créer un climat de peur. Mais ça n'a pas fonctionné.

Pour les manifestantes, c'est différent: plusieurs dizaines ont été tuées, d’autres sont jetées en prison, battues et beaucoup sont violées.

Le régime pourrait-il vaciller par l'action des femmes?
Oui et c'est déjà le cas. À partir du moment où les jeunes femmes ont pris les devants, ont été torturées et tuées, cela a bouleversé la société. Même au sein du clergé certains ont dit publiquement qu'ils étaient allés trop loin. Ces dissensions internes existent à cause des femmes, mais aussi parce que le mécontentement de la population est très important. Il ne faut pas croire que le régime est soudé. Toutefois, il réside un problème central, c'est l'absence d'alternative politique viable à l'heure actuelle. Le régime serait susceptible de changer si un projet avec une vision égalitaire existait.

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