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Fête des mères: comment renouer les liens
«J’adore ma maman et je sais que je suis la prunelle de ses yeux. N’empêche qu’entre nous deux, c’est souvent compliqué parce qu’elle a l’art de me balancer la phrase qui tue à n’importe quel propos: mes gosses, mon mari, ma manière de préparer la sauce à salade, ma coiffure, mon boulot, etc. Du coup, malgré mes 45 ans, je me sens comme une gamine de 5 ans. Et ça m’agace!» soupire Nicole.
Même discours chez Sophie, Anne, Nathalie, Hélène ou Léa qui, toutes, témoignent du fait qu’entre elles et leur mère, l’ambiance n’est pas toujours à la fête – fût-ce le 10 mai – et que, même si elles s’aiment très fort, leurs rapports sont régulièrement tendus, crispants, chargés, houleux! Pourtant, comme l’expliquent nombre de spécialistes des relations familiales, hors situations dramatiques ou pathologies nécessitant des interventions thérapeutiques, ces relations si fortes et viscérales peuvent s’améliorer, s’apaiser et revenir à l’équilibre moyennant de petits ajustements. Voici quelques pistes…
1. Accepter qu’elle ne changera pas
Avec une belle unanimité, tous les experts en relations mère-fille vous le disent: inutile de rêver, vous ne la changerez pas! Tant pis pour Léa, qui voudrait tant que sa maman soit «plus ponctuelle et moins olé olé» ou pour Anne, qui espère que la sienne arrête de dépenser ses sous en cadeaux pour sa famille. «Pour une fille, il est important de comprendre et de reconnaître qui est vraiment sa mère, avec ses qualités, ses défauts, ses forces et ses faiblesses, bien entendu, mais aussi dans son histoire personnelle et ses blessures», explique la psychanalyste Brigitte Allain-Dupré, à qui on doit Guérir de sa mère (Ed. Eyrolles). Elle reprend:
Tout comme le psychologue en systémique Diego Garcia, la psychopraticienne Anne-Laure Buffet rappelle qu’une maman reste toujours une maman, quel que soit l’âge de son enfant. Auteure de Ces séparations qui nous font grandir (Ed. Eyrolles), elle précise: «En plus d’intégrer le fait qu’elle ne changera pas, on doit donc aussi admettre qu’elle, en revanche, a encore envie de nous changer… pour notre bien! Pendant toutes les années durant lesquelles elle nous a élevé, elle a emmagasiné un certain nombre de croyances et de réflexes éducatifs dont elle ne se dépare pas facilement. Si bien qu’elle ne peut pas s’empêcher de faire ces réflexions qui nous énervent.»
La thérapeute insiste: si comprendre et admettre permet de prendre du recul et, du même coup, de voir les choses sous leur angle tendre, comique ou décalé, rien n’empêche de lui parler. Et donc de lui signaler gentiment qu’on est adulte et en capacité de faire nos propres choix. «Si on ne dit rien, ces énervements qu’on garde pour soi finissent par se transformer en montagne», confirme ainsi la psychosociologue Patricia Delahaie, qui a publié le best-seller La relation mère-fille, les 3 clés de l’apaisement (Leduc Editions).
2. Choisir des activités en fonction de ses goûts
«De manière assez naturelle, on a tendance à vouloir faire plaisir aux autres avec ce qu’on aime soi-même, note Brigitte Allain-Dupré. En l’occurrence, proposer à sa mère des activités qui correspondent à ses goûts plutôt qu’aux nôtres est une occasion de penser à son histoire, qui n’est pas tout à fait la même que la nôtre, de nous différencier et d’accepter nos spécificités.» Anne-Laure Buffet approuve, mais nuance:
Sans la bousculer, en acceptant évidemment qu’elle a peut-être des limites physiques, l’emmener un peu dans notre monde permet d’ouvrir le débat et de favoriser un échange.»
Un point de vue que partage Anne: «Ma mère est très jardinage, alors quand je viens lui donner un coup de main, c’est génial, j’apprends plein d’astuces. Moi, je suis plutôt soirée jeux de société et je l’embarque de temps en temps avec moi. La première fois, elle a un peu traîné les pieds. Aujourd’hui, elle en redemande et, grâce à ça, j’ai découvert des côtés d’elle absolument hilarants!»
3. Se balader avec elle et en profiter pour parler
Grande champignonneuse, Hélène emmène régulièrement sa maman avec elle en forêt: «Ce sont des moments suspendus. Je ne sais pas si c’est la nature, mais on se sent très proches, on se dit des trucs qu’on n’aborde jamais autrement», sourit cette médecin jurassienne.
«Quelle que soit la vitesse de la marche, la balade est une jolie occasion de la faire parler de ce qu’elle aime ou pas dans sa vie actuelle, mais aussi de lui poser des questions sur sa jeunesse et sur ce qui se passait à son époque, remarque Anne-Laure Buffet. Cela nous permet de mieux la connaître, de contextualiser les choses, de comprendre ce qu’elle a vécu et d’avoir accès à une part de son histoire à laquelle on ne s’était peut-être jamais intéressé avant.»
Cela dit, elle n’aura pas forcément envie de raviver certains souvenirs ni de se livrer et il faut apprendre à accepter et à respecter cela, souligne la thérapeute. Brigitte Allain-Dupré ajoute: «Parler en marchant, c’est très bien… mais profiter de la verdure sans un mot aussi! Un silence pacifique partagé peut également être porteur de belles choses!»
4. Ne pas lui faire de reproches et pardonner
Ressentiments, reproches, aigreurs… le passé peut laisser de (sales) traces. Comment s’en libérer? Tout dépend de la situation. Dans les cas mineurs, Patricia Delahaie et Anne-Laure Buffet estiment qu’il faut en parler. Attention, précisent-elles, il ne s’agit pas de reprocher à sa mère qui elle est mais de lui parler d’événements, de faits, de ressentis, des trop ou des pas assez. L’idée, c’est de lui dire: «Là, je n’ai pas compris ta réaction ou ton commentaire et j’en ai été très heurtée/choquée/dépitée…» afin d’essayer de saisir les raisons pour lesquelles elle a agi de telle ou telle manière ou balancé des remarques blessantes.
Evidemment, cette démarche peut prendre du temps, comme en témoigne Tianyi: «Depuis la naissance de mon fils, j’arrive mieux à me mettre à la place de ma mère et je me rends compte maintenant de toute l’énergie qu’elle a dû déployer pour m’élever!»
Et quand une profonde colère est au rendez-vous? Le psychologue et psychothérapeute FSP Paul Jenny explique: «Tout dépend comment ça s’exprime. Parfois, il n’est pas facile ni même possible de communiquer de façon saine ou entendable et là, il vaut donc mieux s’abstenir et travailler sur soi pour digérer ses rancœurs jusqu’au moment où une discussion mûrie pourra éventuellement avoir lieu.»
Quid du pardon, dont il est si souvent question? Là encore, le processus peut être complexe, comme le confirme Morgan Chandana: «Pardonner n’est pas oublier. Le sens biblique est: Je ne t’en tiens pas rigueur ce qui, en l’occurrence, prend tout son sens. Cela permet de nous libérer. Ce n’est pas une faveur qu’on fait à l’autre, mais plutôt un cadeau qu’on s’offre.» Certes, mais si cela se révèle impossible – comme en cas de maltraitances graves? Diego Garcia recommande alors la compréhension:
5. Parler d’elle et de vos rapports à quelqu’un d’extérieur
Régulièrement folle de rage contre sa mère qui la traite comme une ado irresponsable, Nathalie, 50 ans et elle-même maman, a pris l’habitude de faire tomber sa rogne en téléphonant à une de ses amies. «Elle arrive à dédramatiser et à rendre tout ça rigolo. Du coup, j’en ris et j’oublie!» raconte-t-elle.
Une bonne solution, note Brigitte Allain-Dupré: «Parler d’elle, c’est reconstituer votre propre vision de qui elle est, c’est mettre du discours et de la pensée sur l’émotion et écrire votre propre roman familial. Elle a écrit le sien, vous avez le droit de retracer l’histoire comme vous la comprenez. En plus, la raconter à quelqu’un de neutre vous aidera aussi à voir les angles morts ou à repérer ce que vous avez mis sous le tapis. Sans drames et avec un peu de distance, cela peut même vous permettre de réaliser que vous reproduisez avec vos enfants ces fameux schémas maternels que vous critiquez tant.»
«Parler à un tiers, comme un psy, peut en effet être utile dans certains cas, notamment quand on est débordé par la souffrance et la douleur, remarque Anne-Laure Buffet. Toutefois, à mon avis, pour régler les problèmes basiques, il faut être capable de se positionner sereinement face à sa mère et de tout mettre à plat directement. Ce qui implique bien entendu qu’il faut grandir, accepter nos individualités propres, oser être nous-mêmes et nous responsabiliser.» Un avis que partage Patricia Delahaie: «Une maman est un être humain. A ce titre, elle pense généralement faire juste et bien. Or, aborder avec elle les points qui font mal, c’est un double cadeau puisque ça revient à l’aider à être une meilleure mère… pour nous!»
6. Lui dire «Merci»
«Il est bien sûr important de dire merci et d’être reconnaissant, mais il y a des limites, note Anne-Laure Buffet. Il y a en effet beaucoup de choses qu’un parent devrait naturellement et normalement faire pour son enfant – même si on sait que personne n’a le devoir ni la capacité d’être une maman parfaite à longueur de temps. De mon point de vue, on ne doit donc pas survaloriser notre mère. En revanche, c’est bien de lui dire qu’a un moment X ou Y, son écoute, ses câlins et ses conseils qui n’étaient pas des dus nous ont rassurée et aidée.»
7. L’appeler ou passer la voir par envie, pas par devoir
Pour Diego Garcia, «c’est à nous de choisir l’espace qu’on donne à notre mère. Elle va toujours en vouloir plus, espérer un rapport privilégié avec nous, mais l’enfant devenu adulte doit décider de ses limites, celles qui nous protègent et préservent une relation saine avec elle.» Brigitte Allain-Dupré nuance: «Il est certes important de lui téléphoner ou de la voir librement et par envie. Toutefois, suivant l’âge et la santé qu’elle a, elle doit savoir qu’elle peut aussi appeler si elle en a besoin!» Quant à Anne-Laure Buffet, elle note:
«Je trouve intéressant de se demander pourquoi on a l’impression que c’est un devoir et non une envie: est-ce parce qu’on n’a rien à se dire? Parce que j’ai peur de ce qu’elle va me dire ou que je sais qu’elle va me demander de lui rendre un service et que ça me confronte au fait qu’elle vieillit et ne s’en sort plus toute seule?
8. Ne pas attendre, il pourrait vite être trop tard…
«Ma mère me manque souvent, soupire Fanny. Mais, en même temps, avant sa mort nous avons pu parler. Nous étions en paix l’une avec l’autre, grâce à quoi je me sens très sereine.» Consciente que sa maman n’était pas éternelle, la quinquagénaire valaisanne s’en est rapprochée et en a profité pour lui faire raconter son parcours et mettre à plat ce qui devait l’être. Une démarche importante, estiment les spécialistes: «Un beau matin, notre mère peut tomber très malade ou décéder et si on n’a rien entrepris avant… on se retrouvera seule face à soi-même et à nos regrets», remarque Anne-Laure Buffet.
Et même si la route est parfois chaotique, elle vaut la peine qu’on la parcoure ensemble.
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