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Pourquoi les Millennials font moins l'amour que leurs parents?

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Sur les écrans, sur les affiches, partout des corps nus qui font monter la température. Dans la réalité? Le sexe ne ferait plus vraiment bander les nouvelles générations. Tout juste parvient-il à nous exciter encore un bref instant, de manière exécutoire, comme une tâche à accomplir aussi efficacement que possible. Comprenez par-là: avec un temps et une main-d’œuvre réduits au minimum. Car pour ce qui est des ébats torrides, à en croire les plus récentes enquêtes: il faudra repasser.

Sur le podium des passe-temps préférés des jeunes, les galipettes subissent en effet une sérieuse dégringolade. Publiée cet été, une étude de l’Université de Floride révèle que les individus nés dans les années 90 sont la génération la moins portée sur la chose depuis... la Grande Dépression des années 20. Ces Millennials auraient bien moins de relations sexuelles que leurs parents et grands-parents au même âge. Et sur cette pente déclinante, l’Europe n’est pas en reste: deux sondages menés cette année en France (Havas) et en Allemagne (Institut de Hambourg) nous informent qu’à une sieste coquine, nombre de 18-34 ans préfèrent sans hésitation un bon resto (côté français) ou une séquence sport (version germanique).

Schizo, notre société?

Si la Suisse ne dispose pas d’études à ce sujet pour l’instant, la même tendance s’y exprime: «J’ai eu une dizaine de coups d’un soir lorsque j’étais étudiante, et aussi plusieurs sexfriends, raconte ainsi Mathilde, 25 ans, Fribourgeoise. Mais aujourd’hui, en couple avec un homme que j’aime profondément, mes fringales de sexe sont devenues moins envahissantes. Même au tout début de notre relation, on faisait rarement l’amour plus d’une fois par semaine.»

Comment comprendre cette désaffection? Doit-on en déduire que nous sommes tous, à court ou moyen terme, menacés de castration? «Nous vivons dans une société schizophrène», lâche David Fontaine, auteur de l’essai «Sexe ou sans sexe» (Ed. Les Petits matins). «Il n’a jamais été aussi facile de faire l’amour. On nous incite même aujourd’hui, et par tous les moyens, à la consommation sexuelle: pour être dans le coup, il faut être libertin, infidèle, savoir s’éclater. Or, à force de banaliser et vulgariser l’acte amoureux, on le mutile», analyse-t-il. «A force de dire que le sexe est tout, il ne signifie plus rien.» Pour Vincent Cespedes, philosophe auteur de «Je t’aime, une autre politique de l’amour» (Ed. Flammarion), il n’est pas étonnant de constater qu’à chaque nouvelle période de l’histoire correspond une autre manière d’envisager la sexualité. «Le sexe est une drogue, et les drogues évoluent en fonction des époques», pose-t-il d’emblée. «Avec l’explosion de la pornographie gratuite en accès libre sur internet, on est entré dans une vision de la sexualité purement consumériste. Le sexe ne s’insère plus dans une histoire, dans quelque chose qui est de l’ordre du désir qui monte. Il n’est plus que l’évacuation d’une tension sexuelle vécue comme une démangeaison. On est dans la consommation de soi.» Ainsi coupé des notions d’intimité et de relation privilégiée entre deux êtres, le sexe ne semble donc plus vraiment mériter qu’on lui consacre plus de temps… que nécessaire. «Il devient alors un hobby parmi d’autres», commente le philosophe. «Pour certains, une perte de temps et d’énergie. De nombreux couples préfèrent aujourd’hui prendre leur ordinateur dans leur lit pour travailler au lieu d’avoir des rapports sexuels.» Ou donnent la préférence au cœur plutôt qu’au bas-ventre: «Cela n’a jamais été prioritaire dans notre relation, témoigne Laurence, enseignante lausannoise de 42 ans On a fini par s’en passer totalement. Ce qui ne nous empêche pas d’être tendres: lire au lit l’un près de l’autre, c’est aussi un vrai moment d’intimité.»


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Qu’on nous fiche la paix!

La sociologue Janine Mossuz Lavau, qui a dirigé la rédaction du «Dictionnaire des sexualités» (Ed. Robert Laffont) pose sur le phénomène un autre regard: «Je ne pense pas qu’il y ait un désintérêt massif pour le sexe, mais simplement plus de gens qui osent affirmer leur absence de désir.» Et la chercheuse au CNRS d’analyser: «Les gens sont dans un processus de libération sexuelle, ils font de plus en plus ce qu’ils veulent, que ce soit faire l’amour... ou pas.» Même réticence à confirmer un désengagement généralisé pour l’acte sexuel du côté du psychiatre et sexologue genevois Dominique Chatton: «Dans mon cabinet, j’entends plutôt l’inverse. Les jeunes sont de plus en plus précocement baignés dans la génitalité. Le retour de balancier, c’est que certains revendiquent simplement le droit à ce qu’on leur fiche la paix sur le plan sexuel.» Ce que David Fontaine confirme: «En réaction à une société de consommation sexuelle, il y a aujourd’hui une vogue autour du mot asexualité. Ce n’est pas là une absence totale de désir, qui serait biologique, mais un besoin de s’affirmer dans une certaine attitude face à la sexualité.» Alors, quid de la libido de l’Homme contemporain? Pour le médecin, il n’y aurait que «des gens qui n’apprennent pas à faire l’amour, qui n’ont pas appris à investir leur sexualité».

Sans compter qu’une partie des abstinents se déclarent tels pour cacher d’autres problématiques, comme le relève Janine Mossuz Lavau: «Il y a des gens qui ne pratiquent pas, parce qu’ils y sont contraints. C’est le cas de certains hommes qui n’ont plus les moyens de leur désir, ou de certaines femmes qui ne se sont pas remises de leurs déceptions affectives. Dire que le sexe ne les intéresse pas, c’est aussi pour eux une façon de maquiller leur situation.» Impuissants, déçus, éreintés, dégoûtés ou tout simplement désintéressés: il existe mille et une raisons, selon les spécialistes, de se désengager de l’acte sexuel. Et ce à tous les âges.


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Flemme ou frime?

Le philosophe Vincent Cespedes a pour sa part identifié neuf profils. 1. Les flemmards, qui considèrent la sexualité comme une perte d’énergie et préfèrent l’investir dans une autre activité. 2. Les traumatisés, qui ne veulent pas réveiller d’anciens démons – qu’ils soient anciennes victimes d’abus ou qu’ils aient des problèmes d’addiction au sexe. 3. Les couples unis autour d’un pacte, leur relation étant alors clairement fondée sur une complicité asexuée. 4. Les culpabilisés, soit ceux qui ont subi une éducation où la sexualité était stigmatisée comme honteuse. 5. Les impuissants physiologiques, qui font bonne figure d’une mauvaise posture. 6. Les abstinents, qui cherchent à sublimer leur abstinence, tels «ces couples qui jouent à se teaser mutuellement, sans jamais consommer, afin de faire rejaillir cette énergie de l’excitation dans autre chose, l’art ou le travail par exemple».

Si les six premiers profils plantent le décor, les trois derniers, eux, sont les plus typiquement contemporains. Ceux qui témoignent le plus d’une honte, et de l’importance du regard de l’autre. Comme si une sorte de revival moral se réappropriait la sexualité. Ainsi du septième profil, celui que le philosophe nomme l’asexualité militante. «C’est un phénomène qui monte de plus en plus chez les jeunes», observe-t-il, «une sorte d’idéologie qui blâme la sexualité pour tout ce qui est «mal», qui affirme que c’est la partie bestiale de l’être humain et qu’il s’agit d’élever tout ça.» L’essayiste et blogueuse Peggy Sastre, de son côté, dénonce avec force ce «mouvement très net de négativisation sexuelle, où tout ce qui relève de la sexualité semble a priori suspect». D’après elle, ce courant ne véhicule pas seulement l’image d’un sexe ennuyeux, mais carrément malsain. «Au départ, cela relève d’une bonne intention, à savoir la lutte contre les violences sexuelles. Sauf qu’on en arrive à une véritable panique sexuelle qui, elle, est complètement contre-productive». Et l’auteure de «Ex utero, pour en finir avec le féminisme» (Ed. La Musardine), de préciser: «Une véritable révolution des mœurs exigerait non seulement d’apprendre aux individus, et en particulier aux femmes, à dire non, mais de leur apprendre aussi à dire oui, à ne plus sacraliser la sexualité, ni d’une manière ni d’une autre.»

Avec son huitième «type», Vincent Cespedes pointe justement l’idéalisation de l’abstinence sexuelle, sous les traits de l’asexualité cosmétique. «J’affiche mon asexualité comme ma nouvelle coupe de cheveux, mon nouveau look, mon dernier selfie», explicite-t-il. Pour lui, ce sont d’ailleurs souvent des gens au physique avenant, des gens au fort sex-appeal, qui clament ne pas s’intéresser à la chose: «C’est une façon de se démarquer, c’est purement narcissique. Ils friment avec ça comme d’autres avec leur végétarisme.»

Un petit miracle

Pour clore sa cartographie de l’anaphrodisie, Vincent Cespedes évoque l’apparition récente de temps d’abstinence vécus comme une expérience sexuelle supplémentaire. «Ce sont des expérimentations de soi, comme faire du jogging et évaluer ses prouesses grâce aux technologies. D’ailleurs, il y a même aujourd’hui des applis qui comptabilisent le nombre de jours où on peut tenir sans sexe! C’est plutôt une pharmacopée, du genre: je teste l’effet de l’asexualité sur moi comme je testerais de nouvelles drogues.»

Reste que la sexualité est devenue «si précaire et fragile», comme l’exprime David Fontaine, «que chaque acte amoureux est au final un petit miracle». Un constat qui, moins morose qu’il n’y paraît, pourrait bien être de nature à (re)donner une sacrée valeur à nos rendez-vous câlins.

Témoignages

Rémi, 43 ans, restaurateur, Fribourg «Le sexe, c’est une perte de temps. Quand je vois tous les soucis que mes copains rencontrent avec leur femme, je me dis que j’ai beaucoup de chance d’être célibataire. Les femmes, ça coûte cher et c’est jamais content: on n’est pas assez à la maison, on voit trop nos copains, on ne la regarde pas assez, on n’est pas comme ci, trop comme ça... La plupart du temps, les hommes acceptent tous ces ennuis parce qu’ils ont trop envie d’avoir quelqu’un dans leur lit. Désolé, je suis franc. Mais à quoi ça sert au final? De l’amour, j’en ai auprès de ma famille, auprès de mes sœurs et neveux. Le manque? Avant d’avoir ma première histoire, j’étais surtout dans le manque de ne pas faire comme tout le monde. J’ai réellement aimé les deux femmes avec qui j’ai été quelque temps. Mais, quand ça s’est terminé, je n’ai pas ressenti le besoin de me remettre en couple. Peut-être que ça arrivera à nouveau un jour, mais ce n’est pas une obligation. Je peux tout aussi bien faire sans. Y a bien assez à faire de ses journées!»

Lauriana, 33 ans, prothésiste dentaire, Yverdon-les-Bains «Le sexe a été un problème constant pendant mon mariage. Mon mari me reprochait sans cesse ma froideur et, pourtant, souvent je me forçais! Lorsque nous nous sommes séparés, j’ai tout de suite su que je n’avais pas envie de remettre ça, j’avais eu ma dose! Le faire comprendre à mon entourage a été compliqué. Mes copines me harcelaient pour que je m’inscrive sur Meetic, que je fasse des rencontres. Je n’en avais pas envie, j’étais bien avec mes deux filles et la vie de maman solo est assez compliquée comme ça pour ne pas rajouter une nouvelle responsabilité dans le décor. Je n’arrivais pourtant pas à le dire si clairement à mes proches, j’avais peur de leur jugement: ne plus vouloir être en couple à 30 ans, ce n’est pas normal! Quand je l’ai enfin avoué à une amie, sa réaction a été de me demander illico comment je faisais alors pour… le sexe! C’est là que je me suis mise sur un forum qui parlait d’asexualité. Je me suis immédiatement sentie moins seule. Même si, pour ma part, je n’irais pas jusqu’à m’affirmer asexuelle.»

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