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Sea, sex and… friend. L’idée paraît bien alléchante en période de célibat: disposer d’un(e) ami(e), à qui l’on donne régulièrement rendez-vous pour des parties de jambes en l’air, sans avoir de compte à lui rendre. Et, surtout, sans investir de sentiments amoureux dans l’opération. De quoi éviter, apparemment, tout cœur brisé et économiser des stocks de mouchoirs.

Les relations «sexfriends» (ou amitiés sexuelles) sont devenues une véritable institution depuis quelques années, et pour cause: elles ont un air de remède miracle pour toutes celles et ceux qui souhaitent vivre leur sexualité sans la transformer en pensum. «Il y a beaucoup d’écrits historiques montrant que ce mode a toujours existé, éclaire Nadia Ammar, docteure en sociologie à l’Université de Genève, spécialiste des relations de couple et de la vie intime. Aujourd’hui, avec les réseaux sociaux et certaines applications – comme Tinder notamment – l’accès à ce type de pratique est surtout facilité et également plus voyant.» Tous les magazines ont disséqué le phénomène, toutes les générations s’y sont mises... Mais voilà. Ce qui passait pour la panacée du jouissons sans entraves pourrait bien receler quelques pièges.

Sexe et ambiguïtés

En effet. Des rencontres régulières, du dialogue et pas de jugement: l’amitié sexuelle avait à première vue toutes les qualités d’une merveilleuse relation amoureuse. Les avantages du couple sans les inconvénients, en somme. Résultat: de ces «plans cul» réguliers à l’amour, il n’y a qu’un pas. Evidemment, ceux qui voulaient à tout prix se protéger de la pénurie de Kleenex s’y exposent dangereusement. Car les «sexfriends» concluent toujours une forme de contrat qui exclut totalement l’engagement sentimental. «Lorsque je me suis rendu compte que j’étais amoureuse de l’homme avec qui je couchais, lui m’a annoncé qu’il avait décidé de se mettre en couple avec une autre, et le ciel m’est tombé sur la tête», confie Carole, 2  ans. Un scénario très courant, selon la sexologue lausannoise Natalia Pavalachi: «Même lorsqu’elle est basée sur des stimuli sexuels assez importants, une relation finira par lasser si elle ne va pas plus loin.» Aux yeux de la clinicienne, l’amitié sexuelle s’avère donc limitée dans le temps: «Tôt ou tard, les gens recherchent quelque chose de plus. Soit avec leur «sexfriend», soit avec un autre partenaire.»

Le sociologue et ethnologue français Jean-François Bayart, auteur d’un ouvrage sur le «plan cul», en a fait le constat au cours de ses entretiens avec deux Français adeptes de la pratique: «Grégoire espérait trouver l’âme sœur au fil de ses plans, et il semble bien qu’il l’ait trouvée. Pour Hector, il s’agissait d’assouvir une libido très gourmande tout en sachant que cela ne durerait qu’un temps. Car son appétit sexuel ne lui cachait pas qu’il avait envie de fonder une famille.»

En effet, «ce qui fait l’attrait du «sexfriend», c’est qu’il est plus intéressant d’avoir des relations sexuelles avec quelqu’un qui compte, avec qui on prend du plaisir à passer du temps, souligne la psychologue et sexologue genevoise Marie-Hélène Stauffacher. Beaucoup de gens pensent que le sexe est quand même plus sympa lorsqu’il y a de l’affection.» Ainsi, les amitiés «avec avantages» se construisent parfois au-delà de la chambre à coucher. «Avec l’homme que je fréquente, on va au cinéma, au resto et à des soirées entre amis. On n’a pas systématiquement de rapport sexuel lors de nos rencontres», résume Aline, 30 ans.

Car non, le couple n’est pas un vieux concept dépassé qui n’intéresse plus personne, contrairement à ce que l’on pourrait croire. Pour la sociologue Nadia Ammar, la société continue de faire une distinction entre les histoires sans lendemain et les relations de longue durée. «Selon les normes, il s’agit encore d’une réussite sociale que de fonder un couple stable, puis une famille», explique-t-elle. Et même si beaucoup de gens vivent ponctuellement une sexualité en dehors de ce schéma, ils ne remettent pas forcément en question le sacro-saint modèle traditionnel.

Seulement une parenthèse

Renaud, 28 ans, se reconnaît dans ce portrait. «Evidemment, j’espère trouver un jour la femme de ma vie et avoir des enfants avec elle. Ce n’est pas parce que je ne veux pas aimer en ce moment que je ne désirerai jamais que ça arrive.» Pas de quoi surprendre Jean-François Bayart. S’il admet que la conception du couple a quelque peu changé, il estime que l’amour, lui, «n’est pas soluble dans le plan cul»: «L’erreur serait de croire que ces jeunes gens sont moins aimants que leurs parents. C’est bien le contraire qui m’a frappé. Portés sur le sexe, et parfois sur «le sexe point barre», ils savent aussi aimer et faire preuve de tendresse.»

Mais alors, d’où vient cette envie de coucher régulièrement avec quelqu’un qu’on aime bien, sans s’autoriser à l’aimer trop non plus? Selon Marie-Hélène Stauffacher, les adhérents à l’amitié sexuelle auraient bien quelques caractéristiques communes, comme une certaine réticence face à l’engagement et, bien souvent, une ou plusieurs blessures dans leur parcours amoureux. «La grande majorité des personnes optent pour un «sexfriend» après une séparation, lorsqu’elles ont le sentiment d’avoir trop aimé et sont déçues.» C’est le cas d’Aline, qui a eu plusieurs partenaires sexuels réguliers depuis que son conjoint l’a quittée, il y a un peu plus d’un an: «Je suis encore très affectée par cette relation qui s’est mal terminée. En ce moment, la seule chose dont j’ai besoin, c’est de m’amuser sans trop m’investir émotionnellement.»

Les galipettes en toute amitié font ainsi office de doux transit affectif pour panser des blessures sentimentales. Mais pas seulement. Aux yeux de Patricia Fisch, sexologue clinicienne à Genève, «vivre ce genre de relation est aussi une manière d’explorer sa sexualité sans le jugement de l’autre, à travers des pratiques que l’on n’aurait pas forcément en couple». Un terrain à investir hors des radars de la morale plan-plan.


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Des fantasmes décomplexés

«Durant les cafés sexo que j’organise, beaucoup de gens disent avoir de la peine à s’abandonner à la fois sexuellement et affectivement, mais peu d’entre eux donnent des explications», remarque quant à elle Marie-Hélène Stauffacher. Annoncer à l’homme de sa vie qu’on aimerait qu’il soit un chouïa plus violent au lit pourrait certes avoir des conséquences bien différentes que si on le susurre à l’oreille d’un simple compagnon de plaisir. Renaud en a fait l’expérience: «Je n’osais pas parler de certains fantasmes à mon ex, car je n’étais pas sûr de sa réaction. J’avais peur que ça la choque. Avec ma «sexfriend», je ne me gêne pas. Si elle ne les partage pas, tant pis, je sais qu’elle ne me jugera pas.»

Reste qu’une fois que l’on souhaite s’épanouir dans une relation de couple, avoir eu un «sexfriend» peut engendrer quelques complications… Outre l’étiquette fille facile/don Juan susceptible de faire reculer les prétendants à la vraie love story, une libido habituée à fonctionner sans enjeu sentimental peut se retrouver un peu paralysée par l’affection soudaine que l’on porte à quelqu’un. «Le sentiment amoureux empêche parfois le sentiment plus animal, et il arrive qu’il y ait une perte de l’excitation», met en garde Patricia Fisch. Mais les observations de Nadia Ammar dans sa thèse sur le désir devraient rassurer les inquiets: «La majorité des gens se disent plus satisfaits sexuellement quand ils sont en couple, même lorsque leurs rapports ne sont pas très fréquents.»

Et les habitués des amitiés améliorées ont peu de souci à se faire quant à leur santé psychologique et sexuelle. Selon Marie-Hélène Stauffacher, ils ne sont pas très nombreux dans les consultations des spécialistes. Et ce pour une simple et bonne raison: «Il n’y a rien de pathologique dans cette pratique. C’est un choix. Tous les modèles d’amitié sexuelle fonctionnent, pour autant que les gens soient au clair avec ce qu’ils attendent.» Non, avoir un «sexfriend», au fond, ça n’a rien de malsain. A condition d’être conscient des écueils qui peuvent guetter sur le chemin…

Le sexe «sans sentiments», un truc de jeunes?

Très branchés sur Tinder et autres applis de drague, prêts à aborder le sujet ouvertement, les jeunes semblent être les principaux adeptes d’une sexualité hors du couple. Mais est-ce vraiment le cas? «Il suffit de consulter les sites de rencontre pour pouvoir répondre par la négative», riposte le politologue français Jean-François Bayart. Selon la sexologue et psychologue genevoise Marie-Hélène Stauffacher, la pratique du «sexfriend» est en effet monnaie courante parmi toutes les générations, les motivations ne se révélant pas toujours les mêmes: «Pour les gens plus âgés, c’est souvent la peur de vieillir qui incite à profiter à fond, pendant qu’ils le peuvent, sans forcément s’engager dans une vraie relation.» L’amitié sexuelle est d’ailleurs souvent plus facile d’accès aux personnes matures: «Les jeunes rencontrent davantage de difficultés, parce qu’ils ne maîtrisent pas encore bien leur domaine sentimental et sexuel.»

«J’évite les filles trop intéressantes», Arnaud, 35 ans

«Je rencontre régulièrement des femmes qui deviennent mes «plans cul» réguliers. Je ne dirais pas que nous sommes «sexfriend» car je ne cherche pas à établir avec elles une véritable relation, même amicale. Nous nous voyons pour prendre du plaisir et, si nous avons été convaincus, nous réitérons l’expérience jusqu’à ce que l’un des deux se lasse. Et ça arrive toujours plutôt rapidement de mon côté. Peut-être parce que je choisis des demoiselles qui ne sont pas susceptibles de m’intéresser autrement que sur le plan sexuel. Si la personne est trop intéressante, je sais que le jeu devient dangereux et je coupe court. Je n’ai pas envie de tomber amoureux. Je suis conscient que, même si on s’éclate au lit, quelqu’un à qui je n’ai strictement rien à dire finira par m’ennuyer. Au final, ça me permet de faire plein de rencontres et ça me convient très bien.»

«Je suis tombée amoureuse» Livia, 25 ans

«Il y a quelques années, j’ai rencontré un homme qui est devenu mon «sexfriend». A ce moment-là, je ne cherchais rien de particulier, rien de sérieux en tout cas. On s’est plu mutuellement, il était dans la même optique que moi. A côté de cette histoire, il y avait d’autres personnes avec qui je couchais régulièrement. Mais peu à peu, je n’ai plus eu envie de voir ces autres hommes. J’ai fini par me rendre compte que j’avais transgressé les limites qu’on s’était fixées au départ: je commençais à avoir des sentiments. Quand je lui en ai parlé, il m’a dit qu’il n’avait pas changé d’avis sur la nature de notre relation. J’ai pris une claque, mais j’ai continué à le voir pendant plusieurs mois. Un jour, sans qu’on sache comment ni pourquoi, on est devenus un couple. Ça s’est fait naturellement et aujourd’hui on est ensemble depuis quatre ans.»

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