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C’est l’une des croyances les plus vivaces qui gravitent autour de la chambre à coucher. Le désir féminin serait plus dans l’émotionnel, davantage dépendant de facteurs psychologiques, donc plus fluctuant. Et les hommes alors? Des machines à décoller au septième ciel aussi infaillibles qu’un produit made in Japan. Des amants forcément partants pour une séance de froissage de draps, quels que soient l’heure, le lieu, la personne. Tout ça sans douter une milliseconde, évidemment.

Sauf que si ce yin et ce yang ont l’air de parfaitement coller dans la théorie, dans la pratique, c’est disons… autre chose. «Quand j’ai appris que l’entier du bureau était au courant de notre histoire, tout désir sexuel s’est évaporé. Je ne pouvais plus rien faire.» Jérôme, 25 ans, a très mal vécu de voir son idylle avec une collègue architecte ainsi exposée dans son milieu professionnel. «J’avais l’impression que tous mes faits et gestes au lit étaient connus, c’est un sentiment très désagréable. Ça m’a beaucoup perturbé», avoue le jeune homme, qui a mis du temps à s’en remettre. Une exception parmi ces messieurs, apparemment plus habitués à vanter leurs exploits qu’à reconnaître une baisse de régime? Sûrement pas, confirme Christian Rollini, médecin sexologue à Lausanne et à Nyon: «Il existe des différences entre hommes et femmes, mais attention à ne pas tomber dans la caricature: les hommes ne sont pas que génitaux, mais se révèlent également cérébraux.»

Des pressions à gérer

La soudaine dégringolade du désir sexuel chez ces derniers est même de plus en plus fréquente, comme en attestent les chiffres. «On estime aujourd’hui à environ 45% la proportion d’hommes pour 55% de femmes qui viennent consulter afin de résoudre un problème de désir», observe Christian Rollini. Alors qu’auparavant monsieur franchissait parfois la porte d’un cabinet pour des problèmes mécaniques (de dysfonctionnements érectiles, par exemple) à partir de la cinquantaine, de plus en plus de jeunes hommes prennent rendez-vous pour trouver des solutions à une libido vacillante.

Car largement considérée comme mécanique et fonctionnelle, la sexualité masculine se révèle bien plus complexe qu’il n’y paraît: dépression, anxiété, mauvaise image de soi, peur de l’échec ou encore fausses croyances peuvent ainsi perturber les galipettes un jour ou l’autre. Des moments de faiblesse qui demeurent encore difficiles à accepter. Et particulièrement lorsque l’on se range du côté des mâles alpha.

Souvent encouragé à se construire en opposition à deux figures, celle de la femme et celle de l’homosexuel, le jeune homme se voit dès l’enfance soumis à des injonctions sociales. Dans la sphère familiale comme à l’école, ou au club de sport. «Divers messages sont envoyés aux petits garçons, tels que ne pas pleurer, laisser les filles prendre soin d’eux ou être forts», relève Nadia Ammar, docteure au département de sociologie à l’Université de Genève, et travaillant sur la question du désir. On parle ici de construction «sexuée» de l’identité. Ces injonctions vont, plus tard, infiltrer le domaine de la sexualité et donc façonner les comportements.

Alors que les femmes subissent une double pression (ces dernières doivent être entreprenantes mais pas trop, toujours disposées à faire plaisir à monsieur et jouir d’une sexualité libre mais, attention, dans le cadre du couple, au risque de passer pour fille aux mœurs légères…), la pression exercée sur les hommes se traduit par une culture extrême de la performance. Par exemple via le nombre de partenaires. Virilité et compétition se retrouvent ainsi les maîtres mots d’une sexualité masculine qui ne peut se permettre de souffrir d’aucune faille. Haro sur les craintes et les difficultés. «On n’apprend pas aux petits garçons à exprimer leurs sentiments, même aussi basiques que la peur et la douleur, alors comment espérer qu’ils grandissent avec une attention poussée envers leur vie psychique?», déplore Maïa Mazaurette, journaliste et chroniqueuse sexo, notamment pour le mensuel masculin «GQ».

Et si on en causait?

«J’ai connu des périodes de deux ou trois mois, en général suite à une rupture, lors desquelles je ne ressentais plus aucun désir, se souvient Peter, 32 ans. Je n’étais pas bien dans ma tête, ce n’était pas uniquement physique. L’émotionnel joue un rôle très important sur notre libido, même si c’est difficile à se l’avouer pour un homme. Particulièrement quand on est jeune.»

Car il faut le reconnaître, trop habituées à ce que loulou soit celui qui exprime en premier ses désirs, lorsque l’appétit de ce dernier est en berne, c’est d’abord nous-même que l’on remet en question. «J’ai fréquenté pendant quatre mois un garçon qui n’arrivait pas à avoir d’érection. Au début j’étais mal à l’aise, je pensais que le problème venait de moi, que je n’étais pas assez «bien». Puis en discutant, il m’a avoué qu’il venait de rompre avec une fille avec laquelle il était resté cinq ans. Ça m’a en quelque sorte rassurée», se remémore Salomé.

Blocages, non-dits… Comment expliquer que cette difficulté à communiquer soit si marquée entre les genres? «Les jeunes filles sont encouragées à parler de sexualité dès l’adolescence, dans le cadre de leur premier contrôle gynécologique, souligne Nadia Ammar. A cela s’ajoute la peur de tomber enceinte et des maladies sexuellement transmissibles, qui font que les femmes sont davantage sensibles à ce sujet, contrairement aux garçons.» – «Je n’ai jamais vraiment discuté de sexe avec mes parents. Et à vrai dire, je ne m’y intéressais pas vraiment jusqu’à l’âge de ma première relation sexuelle à 17 ans, raconte Simon. En tant qu’homme, on se retrouve en définitive assez seul face aux questions qui surviennent dans notre découverte de la sexualité. La seule valeur infaillible sur laquelle se reposer en définitive, c’est la virilité.»


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De son côté, Peter déplore également ce mur invisible. «Avec les années, nos discussions entre amis sont plus poussées. Mais il reste que l’on entre rarement dans les détails, le ressenti est peu abordé. Et quand on partage, c’est dans une forme de démonstration, d’exposition, de réussite. Si je rencontre une difficulté j’irai consulter un professionnel, plutôt que me tourner vers mes potes.» Cela sans compter qu’en dépit de notre société hypersexualisée le sexe reste paradoxalement tabou. «On en parle tout le temps mais on en parle mal, déplore le Dr Rollini. La morale mais aussi l’angoisse d’aller vers l’autre n’ont jamais été aussi fortes.»

La science en retard

Très peu remise en question jusqu’ici, car considérée comme dominante, la sexualité masculine souffre d’ailleurs d’un manque cruel d’introspection. «Le champ d’études de la sexualité est récent. Ce dernier est né avec les mouvements féministes des années 60-70 et s’est par conséquent concentré sur la sexualité féminine», souligne Sylvie Burgnard, docteure en sociologie à l’Université de Genève. Des sexologues et des éducateurs tentent cependant d’élargir la vision que l’on porte sur la sexualité masculine. On déconstruit peu à peu la masculinité pour commencer à la considérer comme hétérogène. On ose questionner ce qu’est, au final, être viril. «Même du côté de la pornographie, qui demeure très influente auprès des jeunes, une scène alternative a vu le jour depuis quelques années, proposant d’autres scénarios qu’une érection parfaite et infinie», poursuit la sociologue. Et on se plaît à imaginer un avenir où la parole se libère et les options se multiplient. «Pourquoi le genre serait-il plus important que l’orientation sexuelle ou l’âge? Notre refus de la complexité revient à se tirer une belle balle dans le pied, à la fois sexuellement et intellectuellement», dénonce Maïa Mazaurette. Un avenir, également, où la sexualité est fluide, où le cérébral n’est plus uniquement considéré comme l’apanage de la sexualité féminine, et où les mâles acceptent de s’écouter et assument leurs pénuries de libido. Tout cela pour mieux communiquer. Ça tombe bien, car le désir, chez tout le monde, vient aussi en parlant.

Témoignages

«Avoir eu un rival m’a complètement déstabilisé», David, 38 ans

Le couple fermé ce n’était pas pour nous. Une configuration évidente dès le début dans notre vision de la vie à deux, de ses concessions, mais aussi de ses libertés. Nous nous aimions et avions un immense respect l’un pour l’autre, mais, si au cours d’une soirée ou d’un voyage, par exemple, nous éprouvions du désir pour autrui, pourquoi le refouler? Cette manière d’évoluer a duré quelques années, notamment grâce à de longues discussions et d’interminables remises en question. Puis ma femme a rencontré un homme pour lequel des sentiments plus forts se sont développés. Elle m’a fait part de la situation, que j’ai acceptée, mais à partir de ce moment tout désir sexuel s’est volatilisé. Lorsque je savais qu’ils avaient passé la nuit ensemble, impossible pour moi de la toucher le lendemain. Je ne pouvais pas faire autre chose que de les imaginer au lit et me comparer. Mon ego de mâle en a pris un coup.

«Mon partenaire était trop stressé pour y penser», Inès, 29 ans

J’ai eu une relation de six ans avec un homme pour lequel j’avais eu le coup de foudre, lors d’une soirée chez des amis en commun. On a eu des hauts et des bas comme n’importe quel couple, mais c’est quand il effectuait un stage en gynécologie obstétrique que cela a été le plus difficile. Il entrait dans l’intimité des femmes toute la journée et par conséquent n’arrivait plus à dissocier le corps anatomique du corps charnel. A cause de cette frontière quasi inexistante entre son travail et sa vie privée, il ne m’a plus fait l’amour pendant plusieurs mois. Sur le moment je l’ai assez mal vécu, j’avais l’impression que le problème venait de moi, j’ai beaucoup cogité. Avec le recul, j’ai compris que ce stage était extrêmement prenant et que me remettre en question était une perte de temps. Il faut savoir être tolérant et compréhensif, que ce soit d’un côté ou de l’autre. Tout le monde a le droit d’avoir des faiblesses.

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