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Immersion au «Royaume du Web»: nos rencontres et nos impressions
«Je stresse de plus en plus», glapit une pré-adolescente chaussée de baskets blanches, à quelques pas de pénétrer dans le «Royaume du Web». A côté d’elle, la main fermement dans la sienne, une maman perplexe hausse un sourcil. Nous avons l’impression de parvenir à entendre ses pensées: «Je ne comprends pas pourquoi elle est tellement fan de ces gens… au final, ils ne font rien de spécial, non? Ils se filment dans leur chambre…».
En fait, c’est un peu comme si on nous avait présenté Brad Pitt, George Clooney et Matt Damon, debout sur une scène, à même de nous parler directement et de glisser un chaste bras autour de nos épaules pour prendre un selfie. Imaginez donc l’excitation: car les stars des ados actuels sont self-made, hyperconnectées et n’ont eu besoin que d’un réseau Wifi et d’un Smartphone pour devenir de véritables célébrités.
Tous ces rois et reines de la Toile étaient réunis à Genève, le week-end du 6 au 7 mai 2017, à l’occasion du «Royaume du Web», le premier festival (ou salon) entièrement dédié aux YouTubeurs.
Joyeuse ambiance 2.0.
Sur la grande scène, le célébrissime Norman (9 millions d’abonnés sur sa chaîne, «Norman fait des vidéos») répond aux questions des fans, rassemblés en masse pour l’apercevoir. Au-dessus de lui, un drone géant filme le public à vol d’oiseau, renvoyant les images sur un écran géant.
Plus loin, quelques YouTubeuses françaises proposent de réaliser avec elles des mouvements de yoga. Invités sur la scène, les adolescents osent à peine y croire: agrippant leurs Smartphones (le selfie étant devenu la version moderne de l’autographe), ils ont l’air tout simplement émerveillés. Une demi-heure auparavant, Dear Caroline et Caroline Beauté Active (que vous avez certainement aperçues dans la web-série «Life as Carolines») lancent un «baby shower» sur scène, mettant les spectateurs au défi de deviner des noms et des aliments pour bébés…
Le but de l’événement: permettre aux abonnés de rencontrer leurs stars digitales préférées, désintégrer la barrière de l’écran qui les sépare ordinairement d’eux et offrir au métier de YouTubeur son propre festival suisse romand - car oui, plusieurs d’entre eux viennent de chez nous! Vous connaissez sans doute Dear Caroline ou Wartek, par exemple!
Boîte à clash et stories Instagram
Hormis les prestations des stars du Web, lesquelles se sont enchaînées à toute allure sur les différentes scènes de la Halle 7 durant le week-end, le «Royaume du Web» proposait également un éventail d’activités des plus originales: «Boîte à clash» (une pièce réservée à des duels de «vannes» opposant YouTubeurs et fans), jeux vidéo, stands de nourriture, un espace réservé aux parents, un petit coin destiné aux selfies avec les personnalités du Web… Le paradis pour tout ado connecté!
Ceux-ci, presque aussi enthousiastes qu’à Disneyland, faisaient la queue avec une patience impressionnante et «récupéraient» les parents une fois le spectacle de leur personnalité favorite terminé.
Divisé en deux plages horaires (ou «sessions») par jour, le festival ne mettait pas à disposition de programmations détaillées, afin de préserver l’effet de surprise. Ainsi, les visiteurs devaient se presser vers les différentes scènes lorsqu’une voix radiophonique annonçait l’arrivée de tel ou de telle star du Web.
Le monde de YouTube est devenu si vaste qu’il méritait bien son propre salon, en Suisse! Et à en voir les visages ravis des visiteurs, le «Royaume du Web» a réalisé tous leurs rêves les plus fous.
Interviews
Nous avons eu la chance de rencontrer certaines royautés du Web, entre deux spectacles ou séances de selfies. La plupart d’entre eux s’est lancée sur YouTube avant que les termes de «métier» ou de «monétisation» ne soient parvenus au goût du jour; c’est sans doute cela qui a fait leur réussite. Posant parfois un regard presque philosophique sur le phénomène, ils nous ont livré leurs impressions:
Audrey Pirault (31 ans)
FEMINA Comédienne de formation, tu es également titulaire d’un Master en psychologie: avec toutes ces cordes à ton arc, comment as-tu fini sur YouTube?
Audrey Pirault A l’âge de 8 ans, j’ai passé un casting que je n’ai pas eu: cela m’a convaincue que le métier de comédienne n’était pas fait pour moi, et il est devenu plutôt une sorte de fantasme que je n’assimilais pas à une véritable profession. Je me suis alors orientée vers des études de psychologie, car je souhaitais que mon métier puisse aider les autres de manière active.
Après mes études, j’ai voulu faire une pause pendant quelques mois, juste pour souffler. Je me suis retrouvée à travailler dans une agence de communication, dans le bureau voisin de celui d’un groupe de garçons (dont Baptiste Lorber) qui faisaient des vidéos sur YouTube. J’étais un peu la «girl next door», car ils m’appelaient dès qu’ils avaient besoin d’une fille pour jouer dans leurs vidéos. Et là, je me suis persuadée de réessayer la comédie, de me lancer.
Tu as ouvert avec tes copines les chaînes «Good Monique» et «Latte Art», toujours dans l’humour: pourquoi ne pas t’être lancée tout de suite dans un projet solo?
J’avais totalement la trouille! Norman, Cyprien, Nathalie… toutes ces personnes n’ont pas eu peur et je les admire énormément pour cela. Lancer sa propre chaîne YouTube, c’est assumer qui on est, ce qu’on a envie de dire et notre façon de le faire. Sachant que mon humour représente vraiment qui je suis, je ressentais beaucoup de peur par rapport à cela.
Un conseil que tu donnerais à de jeunes YouTubeurs en herbe?
Fais, lance-toi: ce n’est pas grave si le résultat n’est pas impeccable, car au moins tu te seras lancé, et là réside tout l’apprentissage dont tu as besoin pour progresser. C’est en forgeant que l’on devient forgeron. Il faut que cela soit spontané, mais je suis consciente que débuter sur YouTube à l’âge 18 ans n’est pas comparable à quelqu’un qui commence à presque 30…
As-tu l’impression que des clivages entre homme et femmes existent sur YouTube?
Non, absolument pas! D’ailleurs, je pense que rien que le fait de se poser la question revient à contribuer à un mécanisme de différentiation. A un moment, il faut arrêter d’y penser; si on n’y pense pas, les choses se feront d’elles-mêmes. Au fond, nous sommes une majorité de femmes sur Terre: on a déjà gagné! Pour moi, il n’y a pas besoin de défendre quelque chose, car je pense aussi que cela met l’homme dans une position très difficile. Si on se construit en opposition, on ne peut pas se construire avec eux.
Un rêve d’enfant que tu n’as pas encore réalisé?
Je voudrais faire du cinéma, je rêve de gagner un César. Je voudrais être dans une belle robe au théâtre du Châtelet et tenir la statuette. J’ai déjà prévu tout mon discours (rires)!
Anil B. ou Wartek (26 ans)
FEMINA Tu es récemment passé des vidéos focalisées sur les jeux vidéo à un contenu plus lifestyle axé voyage. Pourquoi ce revirement?
Anil B Parce que je vieillis (rires)! J’ai commencé en 2009 et faisais alors partie des 10 premiers YouTubeurs francophones à réaliser des vidéos de gaming. J’ai produit 700 vidéos sur le sujet et passé 6 ans dans ma chambre à jouer… Et ensuite, j’ai décidé de faire tout l’inverse, de faire voyager les gens, de leur donner à voir des endroits nouveaux grâce à ma caméra et mes drones. J’ai l’impression d’avoir loupé plein de choses en jouant et je veux rattraper tout cela. Et en plus, je suis devenu mauvais en jeux vidéo, les petits nouveaux me dépassent!
Quand notre hobby devient un métier, ne commence-t-on pas à considérer notre passion comme une corvée, une obligation?
C’est exactement ça: après plusieurs années, les jeux sont devenus une corvée à mes yeux. Je me suis dit: soit j’arrête, soit je fais autre chose. Mais ma réelle passion a toujours été le montage des vidéos; c’est d’ailleurs cela qui m’a poussé à commencer sur YouTube. Quand je vois des nouvelles techniques, je fais tout pour les apprendre et les appliquer rapidement, et ce penchant-là me place dans une dynamique de progression constante.
Il y a quelques mois (dans une vidéo intitulée «YouTube m’attriste»), tu exprimais une frustration quant à la situation de l’univers YouTube, avec tous ces nouveaux arrivants…
J’étais surtout déçu. Quand j’ai commencé, en 2009, on était quinze à filmer des vidéos, uniquement par passion. Aujourd’hui, les gens se lancent dans le but de monétiser leurs publications… YouTube est en train de devenir une sorte de «média-poubelle» avec des contenus vides de sens. Je trouve cela dommage, car les contenus de très bonne qualité se perdent dans la masse. (Heureusement, la plateforme a l'intention d'instaurer quelques règles pour empêcher cela.) Je ne publie moi-même que trois ou quatre vidéos par mois, mais elles me demandent à chaque fois environ 40 heures de montage.
Un rêve d’enfant que tu n’as pas encore réalisé?
Je voulais faire archéologue! La dernière vidéo que j’ai réalisée est un reportage sur Tchernobyl:
Anna Rvr (19 ans)
FEMINA Peux-tu nous raconter les débuts de ton aventure YouTube?
Anna Rvr: J’ai commencé il y a 5 ans, à l’époque où l'univers YouTube n’était pas développé du tout; on y trouvait principalement des filles proposant des tutos. Comme j’aimais beaucoup filmer et monter, j’ai décidé de me lancer, en réalisant une première vidéo coiffure. J’étais alors au collège, je devais avoir quinze ans, et je n’étais pas du tout à l’aise. Mais avec le temps, j’ai beaucoup progressé, élargissant mes sujets au lifestyle et aux voyages. Ma chaîne est devenue un métier auquel je me suis entièrement consacrée pendant une année. Là, j’ai repris mes études de communication, car il est important pour moi d’être certaine d’avoir un plan B, une sorte de bouée de sauvetage, au cas où YouTube devait s’arrêter.
Arrives-tu à concilier tes études et ta chaîne?
En cours, je suis constamment devant mon ordinateur et ne peux m'empêcher d'aller voir ce qu’il se passe sur YouTube. Et en même temps, mes études ne me permettent pas de filmer autant de contenu que je le souhaiterais, chose qu’on me reproche parfois. Mais mon école est très sympa, ils m’autorisent à manquer des cours lorsque je dois assister à un événement YouTube. Ils prennent cela au sérieux et me soutiennent beaucoup.
Tu abordes souvent des sujets assez personnels dans tes vidéos et ne crains pas te donner ton opinion: ne t’arrive-t-il jamais de te sentir mise à nue devant la caméra ?
L’honnêteté fait partie de mon image, dans la mesure où je n’ai pas peur de dire tout haut ce que d’autres pensent parfois tout bas. Cela ne me dérange pas de me mettre un peu à nu, j’aime être franche. Par exemple, mes abonnés savent que je sors, alors que plein de filles préfèrent le cacher pour donner une image toute lisse d'elles-mêmes. C'’est d’ailleurs le compliment qu’on me fait le plus souvent:
Que ressens-tu lorsque tu rencontres tes fans, lors d’événements comme celui-ci?
J’adore! Tout le monde est vraiment super gentil et il n’y a aucun malaise entre nous. Le fait de rencontrer ces personnes qui me parlent tous les jours depuis les réseaux sociaux me fait prendre conscience de ce qu’il se passe au-delà de mon écran.
Un rêve d’enfant que tu n’as pas encore réalisé?
J’aimerais bien faire le tour du monde et j’ai toujours rêvé de parcourir l’Australie en voiture, lors d’un immense roadtrip! Quand j’étais petite, je rêvais d’être Africaine, mais je me suis rendue compte que ce n’était pas possible (rires).
Et pour finir… un petit conseil pour appliquer ton trait de liner? (Son maquillage façon «cat eye» était vraiment au top, ndlr!)
C’est surtout l’habitude qui m’a donné un peu d’aisance, mais je dirais qu’il ne faut pas tirer la paupière et garder l’œil bien ouvert. Et les liners liquides à pointe fine sont les meilleurs!
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