Cinéma
«Il reste encore demain»: Un film fort sur les violences domestiques
C’è ancora domani est un film de tous les records en Italie. Après avoir dépassé les entrées en salles des succès mondiaux Barbie, de Greta Gerwig, et Oppenheimer, de Christopher Nolan, C’è ancora domani est devenu le cinquième film le plus rentable de l’histoire du cinéma italien, dépassant le cultissime La vie est belle de Roberto Benigni. Un vrai cas d’école, et cela d’autant plus que le film est réalisé en noir et blanc et traite des violences domestiques dans une Rome de l’après-guerre. On vous conseille de ne pas manquer cette production, même s’il est important de préciser que certaines scènes sont susceptibles de choquer ou réveiller des traumatismes.
Violences et inégalités salariales
Dès la première scène de ce long-métrage, le ton est donné. Au réveil d’un couple dans leur chambre, un mari gifle violemment sa femme en guise de bonjour. Puis s'enchaîne la journée à la fois infernale et banale d’une mère de famille de trois enfants. Mains aux fesses perpétrées par son beau-père acariâtre à qui elle doit faire la toilette quotidienne, silenciée lorsqu'elle prend la parole, inégalités salariales… Alors qu’elle cumule tâches domestiques et emplois – infirmière pour vieillards, confectionneuse de parapluies, couturière pour des reprises de soutiens-gorge –, Delia n’est épargnée ni par la domination masculine ni par la précarité financière.
C’est simple, dès la première minute du film, on a envie de sauter dans la pellicule pour lui prêter secours. On s’imagine en train de retenir la main du mari violent, d’interroger le patron misogyne sur le fait qu’il paye son apprenti 10 lires de plus que Delia, alors que celle-ci apprend au jeune homme son métier… Pourtant, la ménagère ne manque pas de courage et exige des explications: «Pourquoi gagne-t-il plus que moi?», «C’est un homme, voyons», lui répond machinalement le bonhomme. Plus tard dans le film, le beau-père balance à son fils Ivano, au sujet de Delia: «Arrête de la battre sans arrêt, sinon, elle va s’habituer. Une raclée, mais une bonne!».
Le film porte ainsi son lot de phrases uppercuts difficiles à entendre, mais pour raconter cette thématique difficile, Paola Cortellesi, actrice et réalisatrice star en Italie, possède une arme un peu déstabilisante pour l'aider puisqu'il s’agit… de l’humour. Dans la peau de Delia, cette Florence Foresti italienne va se moquer de ses agresseurs. Elle va même aller jusqu’à chorégraphier les scènes de violences domestiques. Impossible alors de ne pas penser aux films de Charlie Chaplin, connu pour dénoncer les pires ignominies grâce à ses parodies.
Mais l'espoir de Delia va renaître quand se profilent les fiançailles de sa fille et la possibilité d'un nouvel amour. La mère de famille s'offre alors la liberté d'aspirer à un avenir meilleur pour Marcella comme pour elle-même.
Symbole politique dans une Italie conservatrice
L’une des raisons du succès de C’è ancora domani, réel phénomène de société, réside probablement dans son agenda. Le film est sorti le 18 octobre 2023, soit quelques jours avant qu'un nouveau féminicide ait attristé le pays tout entier. Giulia Cecchettin, jeune femme de 22 ans, est tuée le 11 novembre 2023 par son ancien compagnon et devient alors le douloureux 106e féminicide de l’année en Italie.
Les semaines qui ont suivi, tel des symboles politiques, la médiatisation de l’assassinat à coups de couteau de la jeune femme et l'élan féministe du film de Paola Cortellesi ont accompagné une vague de manifestations très forte dans le pays contre les violences sexistes et sexuelles, mais aussi des débats dans les universités sur la violences patriarcale et des visionnages de C’è ancora domani par des classes entières. Et si le succès du film avait déclenché un #MeToo Italie?
Depuis l’automne 2023, La bouche fermée (A bocca chiusa) de l’auteur-compositeur-interprète italien Daniele Silvestri, l’une des chansons de la bande-son, est par ailleurs devenue un hymne féministe alors qu’elle scande que les femmes ne seront jamais réduites au silence.
Au cinéma, force est de constater que des succès féministes à l’image d’Il reste encore demain demeurent encore trop rares. On peut souligner le succès récent du Consentement de Vanessa Filho, inspiré du livre autobiographique de Vanessa Springora, dont l'engouement populaire en salles s’explique, entre autres, par le bouche à oreille massif des adolescent-e-s sur TikTok.
Rappelons en guise de conclusion qu’Il reste encore demain s’inscrit dans une Italie de Giorgia Meloni, où la sécurité et les droits des femmes sont inquiétés. À titre d’exemples, 244’000 victimes de violences conjugales ont été recensées en 2022, soit une augmentation de 15% en un an, comme l’informe un article du Monde et 75% des gynécologues refusent aujourd’hui de pratiquer l’IVG*, érigeant des obstacles gigantesques de santé publique.
«Il reste encore demain», de et avec Paola Cortellesi, en salle.
*À voir aussi: «IVG: le chemin de croix des Italiennes», un reportage d’Envoyé spécial.