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Projet engagé

Un podcast brise le silence autour des violences faites aux femmes

Un podcast brise le silence autour des violences faites aux femmes

Domiciliée à Fribourg, Sarah Gay-Balmaz crée des podcasts engagés en autodidacte depuis 2019.

© MICHAËL DIATTA

Samedi 25 novembre 2023 marquera la Journée internationale pour l'élimination des violences sexistes et sexuelles. Une journée dédiée à la lutte et au souvenir. Car les violences à l'égard des femmes et des minorités de genre sont encore très répandues en Suisse: une personne est tuée toutes les deux semaines dans le cadre de violences domestiques, d'après le Bureau fédéral de l'égalité entre femmes et hommes. Une majorité de femmes. Tandis que les auteurs ne sont pratiquement que des hommes. D'après le projet Stop Feminizid, 15 femmes et 3 filles ont été tuées par des hommes en 2023.

Selon les statistiques policières, 40% des infractions se produisent dans le cadre domestique, où 70% de femmes sont des victimes. Cela concerne surtout les couples ou les ex-partenaires hétéros. Il n'existe pas d'uniformisation du recensement des violences entre les cantons, toutefois l'on sait par exemple que la police cantonale zurichoise intervient 15 fois par jour lors de situations de violence domestique.

Au départ, un féminicide dans une famille valaisanne

Les féminicides ne sont pas des incidents isolés relevant de la sphère privée, une «tragédie familiale» ou un «drame passionnel». C'est ce qu'a notamment voulu dénoncer Sarah Gay-Balmaz à travers un projet qui résonne particulièrement avec cette journée du 25 novembre. Documentariste et médiatrice à Fribourg, formée en sociologie, cette Valaisanne d'origine âgée de 30 ans est active depuis 2019 dans la production de podcasts. Elle a notamment créé Décharge, une émission audio militante inspirée par le 14 juin et qui interroge les déclics féministes chez différentes personnes. Puis son projet est devenu une association qui diffuse des contenus audio et organise des ateliers de création sonore.

Cet automne 2023, Sarah Gay-Balmaz partage son nouveau podcast documentaire intitulé Celles qui restent. Articulé autour des cinq étapes du deuil, ce voyage sonore en 7 épisodes prend son départ au cœur d'un récit intime. Celui du meurtre de Stacy, la cousine de Sarah, assassinée en 2016 peu après les fêtes de Noël par son ex-compagnon. L'histoire d'un féminicide, du deuil d'une famille, et surtout, d'un silence. À l'époque, Sarah Gay-Balmaz n'a pas les mots pour décrire la tragédie qui la frappe elle et ses proches. «Féminicide» n'est pas encore un terme utilisé. Et au sein de sa famille plane une sorte d'omerta autour du meurtre de Stacy, comme c'est souvent le cas dans notre société lorsqu'ont lieu des violences domestiques.

«Le silence permet à la violence d'arriver. À cause du silence, le cycle de la violence ne peut pas être désamorcé, décrypte Sarah. La honte joue également un rôle prépondérant dans le vécu des victimes et de leurs proches.»

«J'ai longtemps eu honte de ne pas avoir perçu que ma cousine se trouvait dans une situation de violences conjugales. Mais plus que ma responsabilité individuelle, aurais-je analysé différemment les circonstances si nous étions collectivement mieux sensibilisé-e-s?»

«Aussi, la terminologie est importante: «drame» ou «tragédie» supposent quelque chose d'accidentel, comme une catastrophe naturelle qui nous tomberait dessus, un fait isolé, dénonce la productrice. Cette rhétorique impose un sentiment d'impuissance, alors que si l'on analyse plus finement la situation, un féminicide s'explique de manière systémique. Ainsi les médias jouent un rôle important dans les représentations de la violence et l'imaginaire du coupable monstrueux qui laisse penser que cela n'arrive qu'aux autres.»

Dénoncer au micro le silence et la violence

C'est seulement des années plus tard que la désormais podcasteuse autodidacte ose s'emparer du micro pour conter cette histoire personnelle. Elle interroge ses proches sur le silence qui entoure le féminicide de Stacy, puis prend le parti d'ouvrir le dialogue au large éventail de violences faites aux femmes.

«Le féminicide est un extrême sur le spectre des violences sexistes. Il n'est autorisé que parce que la plus petite violence a été permise en amont», analyse la créatrice de Celles qui restent.

«Ainsi, parler du féminicide de ma cousine, de ce qui est visible, peut permettre de décrypter des violences plus subtiles, imperceptibles. C'est pourquoi il était important pour moi d'extraire ce récit individuel du cercle de ma famille, de le placer dans la sphère publique pour soulever les discussions autour des violences faites aux femmes.»

Le premier épisode du podcast intitulé «Omerta», dans lequel Sarah raconte l'histoire du féminicide de Stacy mais surtout les répercussions sur ses proches et elle-même, est particulièrement poignant. Une bande sonore un brin angoissante renforce l'immersion des auditeur-ice-s dans son dur récit.

Puis Celles qui restent explore d'autres types de violences. Au fil des épisodes, la créatrice interroge les dynamiques de pouvoir et de domination en abordant différents thèmes aux côtés de spécialistes, comme la sensibilisation aux violences conjugales à travers la visite de l'exposition itinérante Plus fort que la violence, le traitement médiatique des féminicides, la justice restaurative, le harcèlement de rue ou encore le rôle des hommes en tant que coupables de violence ou alliés des luttes féministes dans les quatrième et cinquième épisodes respectivement nommés «Autopsie» et «Courage».

«Je me suis notamment posé la question: pourquoi n'entendons-nous jamais un homme auteur de violences assumer ses actes? s'interroge Sarah Gay-Balmaz. Il était important pour moi de parler à des hommes, car les violences nous concernent toutes et tous en tant que société. Mais comment ouvrir un dialogue? Longtemps j'étais en colère, mais aujourd'hui j'ai envie d'évoluer avec des gens capables de se remettre en question, même s'ils ont été auteurs de violence, précise la créatrice du podcast. J'ai par ailleurs rencontré Fred, un homme qui s'interroge sur sa place dans les luttes féministes, et Lionello Zanatta, qui travaille pour l'association EX-pression qui vient en aide aux personnes ayant un comportement violent.»

«La honte et le silence pèsent sur les épaules des victimes et de leurs proches, tout comme sur les auteurs de violences, qui n'ont aucun intérêt à assumer leurs actes comme ils seront probablement emprisonnés ou exclus de la société. Ils tendent donc à se victimiser au lieu de reconnaître leurs responsabilités.»

«Peut-être aussi ne sommes-nous collectivement pas prêt-e-s à entendre ces personnes?», suggère-t-elle.

Bien qu'éprouvant à mener - surtout le fait de tendre le micro à ses parents -, ce documentaire audio a permis à Sarah Gay-Balmaz de mettre des mots sur ce qui lui a longtemps semblé irréel. «Ma démarche ne m'a pas guérie, réparée ou libérée. Mais échanger avec d'autres personnes, raconter mon histoire tout en proposant des pistes de réflexion et de dialogue avec celles et ceux qui restent m'ont appris à vivre avec mon deuil.»

Les épisodes de Celles qui restent sont diffusés chaque jeudi à 19 h sur Radio 40, jusqu'au 14 décembre 2023, date de sortie de l'épilogue. Le podcast est disponible sur toutes les plateformes d'écoute ainsi que sur le site Reportage.ch.

Ressources si vous ou un-e proche a besoin d'aide

La main tendue, tél.143
Centres cantonaux de consultation LAVI pour l'aide aux victimes
Association Violence que faire
Association AVVEC d'aide aux victimes de violences en couple
Centre MalleyPrairie pour les victimes de violences (Vaud)
Plateforme cantonale contre les violences domestiques (Valais)
Association Pharos de soutien aux hommes victimes de violences conjugales (Genève)
Organisme EX-pression d'aide aux personnes ayant un comportement violent (Fribourg)


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