critique cinéma
Notre avis sur le film «Barbie» de Greta Gerwig
Lors des visions de presse organisées pour les journalistes, les salles de cinéma sont généralement plutôt calmes. De temps à autre, un petit gloussement ou un reniflement (souvent les miens) témoignent de l'émotion discrète qui imbibe progressivement les rangées de fauteuils. Or, lors de la projection du film Barbie réalisé par Greta Gerwig, de francs éclats de rire ont agité le public, passant d'un siège à l'autre comme des ondes de bonne humeur.
C'est qu'on l'avait attendue, cette production. Teasée et reteasée via tous les canaux possibles depuis des mois, elle fait déjà l'objet de dizaines de collaborations mode, de Zara à Crocs, tandis que Margot Robbie enchaîne les apparitions dans des tenues totalement Barbie-esques. Encouragé-e-s par ces afflux de nostalgie et ces explosions de pastel, combien d'entre nous n'ont pas extirpé l'avion turquoise, la Corvette rose ou la Dreamhouse en plastique d'un carton, afin de revisiter l'époque où Barbie veillait sur nos jeux imaginaires et nous attendait sous le sapin de Noël? En salles dès le 19 juillet 2023, le long-métrage s'est timidement dévoilé sur Instagram, puis dans une bande-annonce prometteuse mais énigmatique diffusée en avril. Et puisque ce projet titanesque a été confié à Greta Gerwig (réalisatrice de Lady Bird ou encore Les Filles du docteur March), l'on pouvait s'interroger: va-t-elle infuser un discours féministe à cet univers plastifié?
Le film révèle nos enjeux sociétaux actuels
La réponse est simple: oui, complètement. Et plutôt que d'être mis à mal par les talons aiguille, les maisons roses et les sourires Colgate des poupées, le message féministe s'en trouve mis en valeur par un jeu de miroir pertinent entre le monde de Barbie et le nôtre. Avec énormément d'humour, de répartie, un zeste d'ironie et une dose de nostalgie euphorisante, le film présente à la fois une allégorie de l'adolescence et une utopie absurde qui révèle nos enjeux sociétaux actuels. En plus, le scénario est narré par la talentueuse comédienne Helen Mirren, dont la tonalité oscille entre celle du conte de fées et le pur sarcasme. Brillant.
Le pitch en deux mots
Alors que tout se déroule pour le mieux (comme d'habitude) à Barbieland, la poupée Barbie dite «stéréotype», incarnée par Margot Robbie, commence à percevoir des anomalies dans son quotidien parfait. Très anxieuse, elle découvre qu'une brèche s'est ouverte entre son monde pailleté et la réalité humaine. L'héroïne démarre ainsi un dangereux périple vers le monde réel, afin de rétablir ce qu'elle pense être l'ordre naturel des choses.
Ses plans ne se déroulent cependant pas tout à fait comme prévu et Barbie fera des découvertes qui transformeront sa perspective sur sa vie. Pendant ce temps, Ken (Ryan Gosling), éperdument amoureux d'elle, se démène pour la suivre partout et gagner son affection. Une fois arrivé à Los Angeles, lui aussi posera un tout autre regard sur le monde, au grand dam des Barbies...
Le décor est fabuleux
Promis, cet article ne contient pas de spoilers. On vous révèlera seulement que le diamant rose cinématographique de Greta Gerwig ne déçoit pas nos attentes en termes de design. Si vous avez, une fois dans votre vie, joué avec une Barbie, une marée de souvenirs ne manquera pas d'envahir votre esprit subjugué. Les détails sont parfaitement soignés et on s'y croirait vraiment. Des tenues réalistes (calquées sur de véritables vêtements Mattel) aux objets qui parsèment les domiciles sans portes ni fenêtres des poupées, on croirait plonger dans un fascicule Barbie. Une chose est sûre: les scénaristes se sont réellement penché-e-s sur la réalité de ces jouets et leurs accessoires, afin de recréer la même atmosphère en grandeur nature.
Des comédiens et comédiennes de talent tel-les qu'America Ferrera, Kate McKinnon (géniale dans son rôle de «Barbie bizarre»), Simu Liu, Emma Mackey, Michael Cera, Kingsley Ben-Adir, Hari Nef, Ariana Greenblatt ou encore Ncuti Gatwa évoluent ainsi dans un décor aux couleurs éblouissantes sur lequel les Barbies règnent en impératrices. Les Kens, eux, sont relayés au second plan, mais disposent de tenues tout aussi travaillées et d'une bonne humeur tout aussi excessive. Fans de mode et expert-e-s de l'histoire de Barbie, vous allez adorer.
Ken (alias Ryan Gosling), de l'ombre à la lumière
Margot Robbie rayonne, bien sûr, impeccable dans son rôle de reine du plastique, passée maîtresse des pointes pour imiter la forme des pieds figés de Barbie. Elle joue le rôle d'une innocente Candide aux cheveux blond platine, initiée à la vie humaine et toute sa palette d'émotions complexes. Au travers de son regard, Greta Gerwig brosse un portrait intelligent du féminisme, de l'objectification des femmes et des immenses pressions qui pèsent sur elles aujourd'hui, alors même que le combat pour l'égalité prend de l'ampleur.
Mais ce message féministe ne serait pas complet sans le rôle de Ken, incarné par Ryan Gosling. Vous révéler davantage de détails serait vous gâcher le film, mais précisons tout de même que la performance du comédien de de 42 ans est surprenante - dans le meilleur sens du terme. Dans la peau d'un symbole des clichés masculins, il les incarne avec énergie avant de les pulvériser de manière inattendue. Un peu ridicule, parfois pathétique, souvent énervant et presque toujours hilarant, il accepte de se glisser dans ce rôle charnière écrit avec intelligence, bourré de stéréotypes. Passer de l'adrénaline de Drive aux patins à roulettes fluo de Ken, c'est un grand-écart de maître. Seul un acteur de talent aurait accepté - et réussi - un tel pari. Ryan Gosling semble avoir décroché le rôle de sa vie.
Une flopée de personnages
Mention spéciale également pour l'attachant personnage d'Allan, censé être le meilleur copain de Ken, soit une véritable poupée Mattel créée en 1964 et qui n'a jamais été produite que dans une seule version. Incarnée par Michael Cera, il défie les clichés tout en conquérant notre cœur. (Dans la version française, Allan emprunte sa voix au vidéaste Sébastien Frit.) America Ferrera (héroïne de Ugly Betty), de son côté, signe une performance touchante à laquelle de nombreuses femmes pourront s'identifier.
En effet, chaque protagoniste (et il y en a beaucoup!) possède sa propre personnalité, sa propre passion et sa vie intérieure unique. Aucun personnage n'est totalement parfait et aucun des «antagonistes» n'est totalement méchant. Loin d'être manichéen, le film Barbie s'éloigne des conclusions tranchées et prouve qu'une autre approche est bien plus efficace. Notre seul regret est que ces nombreux personnages ne font que de très brèves apparitions (les scènes de Dua Lipa en sirène, doublée par Lena Mahfouf dans la version française, sont très fugaces), ce qui entrave le développement de leurs récits personnels. Il aurait fallu un film de cinq heures pour tout élaborer... et on l'aurait regardé avec plaisir.
Un hommage à Barbie
Si vous vous apprêtez à foncer au cinéma, on vous conseille au préalable de revoir rapidement l'histoire de la poupée et de son évolution au fil des décennies. En effet, le film présente les qualités et les défauts de l'univers Barbie, qui a tenté de se moderniser et d'être plus inclusif. De nombreux détails présents dans le long-métrage font également référence à de véritables événements ou tenues imaginés par Mattel, avec un clin d'œil à l'histoire de la création de Barbie par une scène aussi touchante qu'insolite. La plupart du temps, la narration d'Helen Mirren nous offre toutes les informations nécessaires... mais quelques pépites risquent de nous échapper si l'on ignore l'historique du personnage.
En bref, Greta Gerwig a réussi son pari haut la main, avec une réflexion et une précision incroyables. Le film est tellement riche qu'on a déjà hâte de le voir une seconde fois. Un chef d'œuvre d'humour et de pertinence. Et tout ça, sous les palmiers en plastique de Barbieland.
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