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Tuerie en Valais

Femme tuée à Sion: «Il s’agit clairement d’un féminicide»

Femme tuee a sion

Lundi 11 décembre 2023, un homme a tué par balle une femme dans un parking avant d'abattre un homme à son ancien travail.

© KEYSTONE/LOUIS DASSELBORNE

«Ceci est un féminicide». Ce sont les mots du Collectif Femmes* Valais mardi 12 décembre 2023 sur Instagram. Le groupe féministe exprimait son désaccord face au rejet de la justice valaisanne de caractériser l'assassinat lundi 11 décembre de la première victime du tireur de Sion comme un féminicide. Pour rappel, un homme a tiré sur une femme de 34 ans dans un parking non loin de chez elle, avant de se déplacer sur un ancien lieu de travail où il a ensuite abattu le directeur et blessé sa secrétaire. L’homme - un Valaisan de 36 ans - connaissait ses victimes.

Tout au long de la semaine, de nombreux éléments parus dans la presse ont mis en avant l'obsession du meurtrier présumé pour sa première victime, le harcèlement subi par d'autres femmes, ainsi qu'un comportement menaçant et instable depuis de longues années. Certaines procédures judiciaires ont également été découvertes, impliquant notamment la femme tuée.

L'incompréhension, la tristesse et la colère se fait sentir auprès des associations et organisations de défense des droits des femmes, ainsi que chez les proches de la victime. Et les questions fusent: ce drame n'aurait-il pas pu être évité? La dangerosité de l'agresseur n'a-t-elle pas été assez prise au sérieux par la police et la justice? Ne serait-il pas temps d'agir concrètement contre les féminicides en Suisse?

Comportement problématique

«Il s’agit clairement d’un féminicide», assure Pauline (nom de famille connu de la rédaction), membre du Collectif Femmes* Valais.

«Il est dangereux d'exclure ce mot, car on l'invisibilise. Cela empêche de comprendre et étudier ce phénomène inquiétant qui prend d'ailleurs plusieurs formes et de le prévenir.»

Selon la militante, «quand on observe les actes du tireur, on est clairement dans une situation qui précède un féminicide, comprenant des menaces, du harcèlement et une posture de domination».

Plusieurs médias romands ont en effet attesté que l’accusé avait l’habitude de répéter des comportements problématiques avant tout envers des femmes. Dans Le Nouvelliste, plusieurs victimes ont ainsi témoigné du harcèlement subi, recevant des messages incessants, se faisant suivre et menacer. Certaines craignaient pour leur sécurité et ont pourtant été découragées de porter plainte par la police, qui considérait que les actes n'étaient pas assez graves. La RTS a relayé des témoignages de comportements problématiques du tireur avec ses collègues féminines, comme l'envoi de nombreux messages non sollicités, qui ont mené à la fin de la collaboration professionnelle.

Le Nouvelliste a également reçu une vidéo d'une durée de 1 h 20 de la part du meurtrier présumé, tournée avant d'agir, qui évoque en grande partie la femme tuée. On y découvre aussi plus d'informations à propos des procédures judiciaires existantes. Ainsi, la jeune femme aurait porté plainte contre l'homme pour contrainte au printemps 2021, une procédure qui a «débouché sur une condamnation pénale par voie d’ordonnance», assure le média. L'agresseur a ensuite fait appel et la victime a finalement retiré sa plainte, ce qui a mené au classement de l'affaire. La victime s'est ensuite tournée vers la justice civile qui a prononcé en début d'année des mesures d’éloignement.

Vide juridique

Le Collectif Femme* Valais explique également avoir été contacté dès lundi 11 décembre 2023 par des proches de la victime qui souhaitaient les informer qu'il s'agissait bien d'un féminicide. L'étonnement a ainsi été total lorsque le procureur valaisan, Olivier Elsig, a affirmé en conférence de presse que le meurtre ne pouvait pas être qualifié de féminicide, en justifiant la décision par le fait que les deux personnes n'entretenaient pas de relation intime. Quelques jours plus tard, Olivier Elsig donnait davantage d'explications: «La notion de féminicide n’est pas une notion juridique qui correspond à une infraction du Code pénal. En l’état, l’instruction a été ouverte pour assassinats (art. 112 CP), seule dénomination qui est relevante sur un plan pénal», affirme-t-il par écrit. Pour le procureur, la situation est claire:

«Il n’appartient pas au ministère public de qualifier ou non cet acte de féminicide. Les investigations en cours sont destinées à établir les faits, afin de déterminer si l’on a à faire à des assassinats (indistinctement pour la victime féminine et masculine), subsidiairement à un meurtre.»

Pour Pauline, du Collectif Femme* Valais, parler de féminicide au niveau pénal permettrait pourtant de «mettre en place de véritables moyens pour protéger les femmes et sauver des vies». Elle rappelle ainsi la définition du féminicide, reconnue par l’OMS, «qui ne demande pas forcément que les deux personnes soient intimes»: un féminicide est un cas d’homicide dans lequel une personne est tuée parce qu’elle est une femme.

«Le tireur avait menacé de tuer la victime avec une arme, il est vraiment grave que rien de suffisant n'a été fait pour la protéger lorsqu’elle l’a annoncé à la police, alors qu'on a appris qu'il avait deux armes enregistrées», se désole encore Pauline. Elle assure que la démarche du collectif n'est en aucun cas de la récupération.

«Reconnaître qu'il s'agit d'un féminicide n'a rien de politique. Il s'agit d'un crime qui existe, il faut le nommer, l'étudier et l'empêcher».

Violences banalisées

La tuerie qui a fait deux mort-e-s et une blessée a énormément choqué le canton et toute la Suisse romande. Le Bureau de promotion de l'égalité et de prévention des violences du Canton de Genève a été surpris par le discours de la justice valaisanne. «Selon les éléments figurant dans les articles de presse, on est clairement dans un cas de féminicide. L'homme voulait entretenir une relation avec cette femme, elle non, et dans une logique de possession, il l'a tuée car elle refusait de lui appartenir», commente Emilie Flamand, directrice du Bureau.

Elle abonde qu'un tel cas démontre bien de l'importance de ne pas négliger certaines violences envers les femmes: «Nous mettons en avant ce qu'on appelle le continuum des violences (ndlr: une prise en compte de l'expérience vécue des femmes et toutes les violences de genre sans les hiérarchiser). Au départ, on retrouve les insultes, les menaces, le harcèlement, qui sont considérés trop souvent comme quelque chose d'anodin, pourtant, comme dans ce cas précis, ces comportements s'inscrivent dans la même logique que des actes plus graves, et peuvent mener au meurtre». Pour elle, il est ainsi important de «condamner tout acte du continuum car, en banalisant certaines violences sexistes et sexuelles, on ouvre la porte à des choses plus grave».

Emilie Flamand note d'ailleurs que l'infraction de harcèlement obsessionnel ne figure actuellement pas dans le Code pénal, «on peut seulement porter plainte sous l'angle de la menace, ou de la contrainte (ndlr: motif pour lequel la victime avait porté plainte pénalement)». Selon elle, «le fait de créer une infraction spécifique pour le harcèlement permettrait de mieux combattre de tels actes et d'éviter une escalade, comme à Sion». Un projet en ce sens est d'ailleurs en cours au Parlement:

«Il est intéressant de constater qu'un certain débat s'est installé autour du terme féminicide et qu'on en parle. Il y a quelques années, on n'aurait jamais mentionné cet aspect. Les choses évoluent».

Une marche blanche aura lieu le samedi 16 décembre 2023 à 11 heures à Sion pour rendre hommage à la première victime.

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