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Reine de la BD

Rencontre avec Pénélope Bagieu, invitée d'honneur de BDfil

Penelope Bagieu BD rencontre

Avec le personnage de Joséphine, la bédéaste Pénélope Bagieu a fait ses premières planches dans Femina.

© EUSEBIO SIMONE

Quand Pénélope Bagieu commence à raconter les heurs et malheurs de Joséphine dans Femina, en 2007, elle ne se doute pas que cette expérience va bouleverser sa vie. Et lui offrir un vrai beau succès. Qui sera suivi de bien d’autres, tout aussi mérités. Car armée de sa plume aussi fofollement drôle que subtilement engagée, la jeune femme fait des étincelles, sait trouver le mot, le ton, le trait qui font mouche. Un talent qui, outre l’affection indéfectible du public, lui a également valu pas mal de récompenses. Dont le très prestigieux prix américain Eisner 2019 pour Culottées - deux albums dans lesquels elle tire magnifiquement le portrait de 30 femmes oubliées de l'Histoire mais qui ont osé «braver des interdits ou des normes sociales relevant du sexisme ou du patriarcat».

Aujourd’hui, à 41 ans, devenue une référence du 9e art, elle est l’invitée d’honneur de BDFil 2023, qui se tient à Lausanne jusqu’au dimanche 14 mai 2023. Une occasion de lui proposer le petit jeu des mots-clés - jeu auquel elle a participé avec autant de gentillesse que de spontanéité…

Si on vous dit... «Femina»

«J'ai un lien très fort avec Femina, où j’ai fait mes premiers pas publics en BD. Publics parce qu’à vrai dire, j’ai toujours créé des histoires avec des personnages de filles que je trouvais cools et à qui il arrivait toutes sortes de trucs - on en a d’ailleurs rempli des tonnes de cahiers, avec ma sœur! - mais je n’envisageais pas d’en faire mon métier. À l’époque, après mes études, tout en continuant la BD par plaisir, dans mon coin, je travaillais dans l'illustration. Et notamment pour Femina, d’ailleurs. Et puis un beau jour, la directrice artistique du magazine, Régine Buxtorf, me demande si je n’aurais pas envie de "récupérer” une page de BD hebdomadaire qui se libérait justement… Plus que de me faire simplement cette proposition, elle a aussi réussi à vaincre mes réticences - je pensais que je n'y arriverais pas - et m'a vraiment soutenue et encouragée.

Et voilà comment Joséphine est née, comment j’ai non seulement compris que je pouvais le faire mais aussi que si j’adorais faire des dessins, c’est surtout raconter des histoires que j’aimais plus que n’importe quoi d’autre.

En gros, cette aventure de trois ans m’a permis d'expérimenter, d'aller dans des narrations de plus en plus abouties, de faire des liens d'une semaine à l'autre et d’essayer de réfléchir plus globalement à une histoire qui pourrait courir sur l'année. Je pense que sans Femina, j'aurais peut-être fini par venir à la BD quand même, mais ça aurait certainement été après beaucoup de détours avant d'y arriver!»

Joséphine, dans «Femina»
Joséphine, dans «Femina». © PÉNÉLOPE BAGIEU

Si on vous dit… Rétrospective

«BDFil est un festival très prestigieux, qui se donne les moyens de ses ambitions et c’est donc très enthousiasmant d’y venir, même en tant que simple visiteuse. Là, je suis extrêmement flattée d'y être hôte d'honneur et d’y avoir ma première rétrospective - même si ça fait bizarre! Mais c’est très chouette parce que ça m'a obligée à faire ce que je ne fais jamais, c'est-à-dire me plonger dans les cartons. En fait, j’ai l’impression d’être toujours dans l'immédiat, dans le livre que je suis en train de faire ou dans le prochain - mais pas dans le passé. Or, devoir aider à créer une espèce de chronologie,

faire des liens entre différents travaux, entre différentes époques et voir comment on a progressé et évolué, c'est intéressant et tout le monde devrait le faire, je trouve!»

Si on vous dit… Féminisme

«Pour moi, c'est tout simplement vouloir les mêmes droits pour les hommes et les femmes. Autant dire que je me reconnais dans les combats d’aujourd’hui… malheureusement: j’aimerais tellement qu’il n’y en ait plus besoin! Cela dit, je suis assez portée par les combats féministes des plus jeunes que je trouve super engagées, super courageuses: elles sont le produit de nos mères, nos grands-mères qui ont fait un petit bout de leur travail et, très logiquement, elles vont un peu plus vite qu’avant - notamment en termes de réflexion. Peut-être est-ce parce que l’urgence est plus grande et que le contexte s'est durci? Le fait est qu’elles réfléchissent plus vite et quand je rencontre des filles qui ont 15 ans, elles en sont là où moi j'en étais dix ans plus tard.

En fait, même si on fait peser énormément d’attentes sur cette génération, qu’on lui a délégué nos responsabilités et qu’on compte sur elle pour un peu tout - le climat, toutes les formes d’inégalités, etc. - je pense qu’elle ne va pas se laisser faire et que c’est elle qui nous sauvera!»
Joséphine, héroïne de Pénélope Bagieu, a fait ses débuts en 2007
Joséphine, héroïne de Pénélope Bagieu, a fait ses débuts en 2007. © PÉNÉLOPE BAGIEU

Si on vous dit… Colère

«Je ne supporte pas d'avoir l'impression qu'il y a un piétinement, un déni de personne ou de justice: savoir qu'il y a des plaintes classées sans suite, des agresseurs qui ne sont pas condamnés qui se baladent dans la rue ou à qui tout le monde serre la main parce qu’ils sont haut placés me fait voir flou de colère. De même, constater que les choses ne bougent pas plus rapidement me met dans une rage folle. Mais il faut aussi admettre que certains comportements provoquent aujourd’hui des levées de boucliers, alors qu’il y a dix ans, ils auraient passé comme une lettre à la poste, dans la plus grande indifférence.

Même si j'ai tendance à être un peu pessimiste et à me dire que ça ne va pas assez vite, ça prouve qu’il y a moins de résignation, ce qui est tout de même positif. Il n’empêche que l’impunité et l’injustice, ça me fout la haine! Cela dit, je ne fais pas de militantisme de terrain, je ne suis pas parmi les gens qui prennent des risques. En revanche, dans mon travail, dans mes choix, dans les orientations que je prends ou dans mes collaborations, je peux infuser un tout petit peu de ce que je pense, je peux essayer de faire en sorte d’être raccord avec mon projet… qui est d' apaiser cette colère!»

Si on vous dit… Projet

«Je travaille actuellement sur une bande dessinée avec Lola Lafon et j'espère avoir terminé à la fin de l'année; et j’ai déjà un petit coin de mon cerveau qui pense à ce que je ferai après…»

Si on vous dit… Collectif

«Le féminisme m’a notamment appris que le collectif est une bonne réponse à la colère individuelle, parce qu'on est nombreuses et nombreux à la partager et à l’exprimer. C’est le B.A. Ba, mais il ne faut pas sous-estimer à quel point le collectif et la mise en commun des rages aide à en faire quelque chose.

C’est d’autant plus important qu’en ce moment, a priori, faire régresser les injustices et les inégalités n’a pas l’air d’être tellement au programme…»

Si on vous dit… Manga

«Quand j’étais enfant, je n’étais pas spécialement BD parce que c'était un monde qui me disait globalement: tu seras spectatrice. Il y a des histoires marrantes, des aventures, des trucs super mais non, vraiment, tu ne peux pas en faire partie. Même si c'est totalement inconscient, c'est très excluant et je m’étais dit OK, donc non. En revanche, des héroïnes qui faisaient envie, on en trouvait plein dans l’animation japonaise: pour des raisons commerciales, le Japon a compris hyper-tôt qu'il y avait un créneau à prendre et a lancé des productions animées pour les filles avec des héroïnes qui résolvent les problèmes et sont moteurs de l'action. Je pense que dans ma génération, on a été très nombreuses à nous tourner vers ça. D’ailleurs, en ce qui me concerne, c’est ce qui a expliqué que pendant assez longtemps, j'ai pensé que je voulais faire du dessin animé et non de la BD!»

Si on vous dit.. Auteure ou autrice?

«Autrice parce que ça s'entend, alors qu’avec auteure, le e ne s'entend pas. Et puis c'est un vrai mot qui existait il y a très longtemps et qui a été effacé des dictionnaires. En plus… on ne dit pas « une acteurE », on dit «une actrice” donc, il n’y a pas de raison!»

Si on vous dit… Lausanne?

«Les meilleurs chocolats chauds que j'ai bus de ma vie! Dans mon souvenir, il fallait gravir beaucoup de pentes et d'escaliers mais… je garde un souvenir très ému de ce chocolat où la cuillère tient à la verticale dans la tasse! Ceci mis à part, j’y venais essentiellement pour travailler mais c’est une ville agréable.»

Si on vous dit… Adaptation?

«L’idée d’adapter Culottées en dessin animé ne vient pas de moi. J’ai dit oui parce que je savais que les personnes qui s'étaient emparées du projet - une équipe exclusivement féminine, ce qui est quand même assez rare dans l'animation - allaient en faire quelque chose de super. Tout s’est passé comme dans un rêve, avec un résultat au-delà de mes attentes. Cerise sur le gâteau: la série est sortie pile quand on était tous confinés et pour moi, ça a aussi été une petite bulle de réconfort!»

Les aventures de Joséphine ont été adaptées au cinéma en 2013 et 2016.
«Les aventures de Joséphine» ont été adaptées au cinéma en 2013 et 2016. © PÉNÉLOPE BAGIEU

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