Culture
Prix du cinéma suisse: 2024 est l'année des femmes
Neuf lauréates dans treize catégories: les distinctions du Prix du cinéma suisse montrent un très net avantage aux femmes en 2024. D’un coup, le principe du quota tendant à la neutralité – un concept tout helvétique – semble ferré dans une capsule temporelle entre le monde d’avant et le monde actuel.
N’en déplaise aux inconsolables nostalgiques, ce nouveau monde est placé sous la bannière de l’inclusion et de la liberté d’expression, deux valeurs chères aux nouvelles générations. Séverine Cornamusaz, cinéaste et coprésidente de l’Académie du cinéma suisse avec Bex Samir, anéantit toute ambiguïté autour d’une éventuelle sélection par quota. «Comme les César ou les Oscars, ce sont les membres de l’académie qui votent en deux tours. L’académie compte entre 600 et 700 membres, dont les trois quarts sont des réalisateur-ice-s, des technicien-ne-s, des gens qui font des films.»
Des femmes et des Romand-e-s au palmarès
Une fois n’est pas coutume, mettons de côté l’humilité – autre qualité assurément helvétique – pour célébrer la virtuosité féminine dans le septième art. «Et des Romand-e-s!» se réjouit la coprésidente de l’académie. Une première depuis le début du Prix du cinéma suisse en 1998. «Une bonne cuvée», comme elle le résume avec enthousiasme.
Un cru mélangeant des premiers films, des films de femmes, ainsi que d’autres plus commerciaux. Certains ont déjà fait leur bout de chemin, comme Blackbird Blackbird Blackberry de la Géorgienne Elene Naveriani (trois Quartz pour les catégories meilleur film de fiction, meilleur scénario et meilleur montage) dévoilé en première mondiale durant la Quinzaine des cinéastes du Festival de Cannes en 2023.
Séverine Cornamusaz se souvient de sa rencontre avec la réalisatrice géorgienne lorsqu’elle était chargée de cours et tutrice pour les films de diplôme au département cinéma de la HEAD – Genève: «Elle est en Suisse depuis 15 ans, c‘est ici qu’elle a découvert sa vocation. Après son master, elle a fait un bachelor cinéma. Je m’étais occupée de son film de diplôme, Les évangiles d’Anasyrma, un très beau court-métrage de 30 minutes. Pour moi, il était évident qu’elle est une vraie cinéaste en puissance. Depuis la Suisse, elle fait ses films sur la Géorgie, un des pays probablement les plus violents envers les communautés LGBTIQ+. Ses films sont très politiques, tout en ayant une grande force formelle et poétique.»
Le milieu du cinéma est encore loin de l’équité
Pendant que les boîtes de Pandore ne cessent de s’ouvrir dans le milieu du cinéma depuis l’avènement du mouvement #MeToo en 2017, le cinéma suisse ouvre la voie royale – et méritée – aux femmes.
«Au niveau de la production, on se situe à environ 30% de réalisatrices, on ne peut pas parler d’équité. Quand j’ai réalisé mes deux longs-métrages dans ma trentaine, mon équipe était majoritairement masculine. C’est la réalité de ce milieu. Le cinéma demeure un milieu extrêmement masculin, mais maintenant on voit aussi des femmes gagner des Oscars.»
«Ceux qui étaient très patriarches et donneurs de leçons, commencent à devenir vieux. Donc même si ce n’est pas le milieu le plus progressiste de la planète, les choses changent lentement», conclut sereinement la coprésidente de l’Académie du cinéma suisse.
Interview de la réalisatrice Nathalie Berger, lauréate en 2024
La Genevoise Nathalie Berger a remporté le Quartz du meilleur film de diplôme avec Chagrin Valley, son travail de diplôme à la Haute École d’art de Zurich. Le documentaire avait déjà été récompensé du prix du jury dans la compétition nationale du festival Visions du Réel en 2023.
FEMINA Que représente ce trophée pour vous?
Nathalie Berger C’est très spécial pour moi de recevoir cette récompense à 30 ans. Quand j’ai commencé à faire des films à 21 ans, j’ai appris sur le tas. Ce prix est une reconnaissance qui me rend légitime envers le monde du cinéma.
Quels avaient été les retours du public à Visions du Réel en 2023?
Après la première, les personnes du public m’ont rapporté qu’elles rigolaient tout en ayant les larmes aux yeux.
Justement, de quoi cela parle-t-il?
Il parle d’une maison de retraite aux États-Unis, au sein de laquelle a été construit un bâtiment qui peut accueillir jusqu’à 60 personnes atteintes de démence. Les aides-soignantes qui y travaillent sont essentiellement des femmes noires. Elles ont des vies très difficiles, elles travaillent beaucoup, surtout la nuit, pour 11 dollars de l’heure. Dans le film, je suis une femme qui s’appelle Flo, elle-même atteinte de démence, mais elle est entre les deux… Je décris sa condition comme une réalité partagée d’un côté et une réalité individuelle de l’autre.
Comment décrivez-vous votre projet?
C’est un documentaire observationnel sur la cohabitation entre les résident-e-s et les aides-soignantes qui n’auront jamais les moyens de vivre dans ce lieu, pensé pour les personnes aisées. C’est donc une œuvre politique, dans laquelle on observe cette différence dans une réplique d’un village des années 50 de la société américaine. Rien n’a changé en réalité, c’est ce qui m’a motivée à faire ce film. Je fais du cinéma pour décrire les relations entre les gens, mon approche est très personnelle, moins théorique et moins formelle. Je crée des liens d’amour dans mes films.
Le palmarès complet du Prix du cinéma suisse 2024
Meilleur film de fiction: Blackbird Blackbird Blackberry d'Elene Naveriani
Meilleur documentaire: L'audition (Die Anhörung) de Lisa Gerig
Meilleur court métrage: La gravidité de Jela Hasler
Meilleur film d’animation: Armat d’Élodie Dermange
Meilleur scénario: Blackbird Blackbird Blackberry d'Elene Naveriani
Meilleure interprétation féminine: Ella Rumpf dans Le théorème de Marguerite
Meilleure interprétation masculine: Karim Barras dans Bisons
Meilleure interprétation dans un second rôle: Maud Wyler dans La voie royale
Meilleure musique de film: Nicolas Rabaeus pour Bisons et The Land Within
Meilleure photographie: Joseph Areddy pour Bisons
Meilleur montage: Aurora Franco Vögeli pour Blackbird Blackbird Blackberry
Meilleure son: Xavier Lavorel pour La chimera
Meilleur film de diplôme: Chagrin Valley de Nathalie Berger
Prix spécial de l’Académie: Sonia Rossier, 1ère assistante de réalisation pour Laissez-moi
Prix d’honneur: Robert Boner, pour l’ensemble de sa carrière
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