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Cinq ans après MeToo: retour sur une révolution féministe

MeToo, cinq ans de révolution

«À un moment donné, quelque chose s’est produit pour que ce hashtag et ces comportements inacceptables acquièrent enfin de la visibilité.» - Valérie Vuille, de l'institut DécadréE

© GETTY IMAGES/ALEKSEI MOROZOV

À l’automne 2016, l’élection de Donald Trump, cet apprenti président qui se vantait d’attraper les femmes par le minou, prophétise un monde misogyne et rétrograde avec le risque d’un bond en arrière de 50 ans pour les droits des femmes. Mais cet aperçu de l’enfer sur Terre ne dure qu’une petite année. À l’automne, 2017 cette fois, la contre-attaque jaillit des pages du New Yorker, magazine américain dans lequel l’avocat et journaliste Ronan Farrow livre une enquête à charge contre le mogul hollywoodien Harvey Weinstein, alias Le Porc, son doux surnom susurré en coulisses dans le milieu.

Ce producteur star, personnalité intouchable depuis des décennies, y est accusé de viol et de harcèlement sexuel. L’article aurait pu générer quelques vagues, comme d’habitude, puis finir aux oubliettes, comme d’habitude. Un mâle alpha qui dérape avec des femmes? Jusqu’ici, pas de quoi remuer la Terre entière. Pourtant, il se passe quelque chose de nouveau.

Le New York Times arrive très vite avec sa propre enquête et conforte les accusations de Ronan Farrow. C’est une sorte d’effet domino géant à Manhattan. Quelques jours plus tard, l’actrice Alyssa Milano ressuscite le hashtag #MeToo, créé dix ans plus tôt par la militante Tarana Burke pour dénoncer les violences sexuelles, et qui n’avait pas eu l’audience escomptée.

Cinq ans après MeToo: retour sur une révolution féministe
© GETTY IMAGES/MICHAEL REYNOLDS

Son pendant francophone, baptisé #BalanceTonPorc, est lancé en France par la journaliste Sandra Muller. Les dénonciations s’enchaînent à la vitesse de la lumière. Partout. Entre 2007 et 2017, le monde semble donc avoir suffisamment évolué pour permettre soudain une prise de conscience généralisée. Par quel miracle? Difficile à dire. Ce qui est sûr, «c’est qu’il s’est opéré un changement de paradigme, il y a un avant et un après Ronan Farrow, constate Valérie Vuille, directrice de l'institut de recherche DécadréE, car on voit qu’à un moment donné, quelque chose s’est produit pour que ce hashtag et ces comportements inacceptables acquièrent enfin de la visibilité».

Savoir écouter

Mais la principale erreur est sans doute de parler du mouvement MeToo comme de l’avènement de la libération de la parole des femmes. De croire que toutes ces victimes qui se manifestent soudain attendaient muettes dans un angle mort de la société.

«C’est plutôt l’écoute de ces femmes qui est permise, car leur parole préexistait depuis longtemps, des témoignages il y en avait déjà beaucoup, c’est juste qu’il n’y avait pas grand monde pour les entendre», dénonce Valérie Vuille.

Erreur également de penser que MeToo est une lubie de notre époque et débarque brutalement, comme d’une autre planète. «Ce n’est pas un événement qui a surgi comme une météorite et sans raison, sans préparation, il résulte d’une prise de conscience généralisée, grâce à une sensibilisation plus forte à ces questions ayant progressé au cours des dernières années», note la directrice de DécadréE.

On se souvient notamment de l’un de ses événements précurseurs: l’affaire DSK, en 2011. L’arrestation tonitruante du boss du FMI à New York, accusé d’avoir imposé des actes sexuels à une femme de chambre du palace où il séjournait, avait jeté la thématique du consentement en plein milieu de l’arène médiatique. Enfin, les agresseurs n’étaient plus anonymisés, les victimes plus hystérisées, les actes plus minimisés ou excusés. Tristane Banon, écrivaine qui jusqu’ici admettait à demi-mot qu’un politicien de grande ouverture avait abusé d’elle plusieurs années auparavant, sortait un livre où elle déballait tout, enfin, sur ce que Dominique Strauss-Kahn lui aurait imposé lors d’une interview. Signe que, bientôt, plus personne ne serait intouchable.

Reprise dans 85 pays

Écrire un livre, raconter en détail, créer un espace pour rendre lisible cette expérience et ce mécanisme des violences sexuelles, c’est aussi ce que feront plusieurs femmes après l’avènement MeToo. À l’instar de Vanessa Springora, qui publie Le consentement, début 2020, ou de Camille Kouchner, dont le roman La Familia Grande, paru en 2021, fait lui aussi la dissection crue d’une relation monstrueuse. En mars 2020, l’écrivaine Virginie Despentes rédige quant à elle la tribune Désormais on se lève et on se barre, inspirée par l’acte de l’actrice Adèle Haenel, qui venait de quitter bruyamment la cérémonie des César alors que Roman Polanski était couronné d’un prix.

Livre, film, tweet, interview, communiqué… Depuis 2017, des centaines d’hommes au firmament de la sphère publique ont ainsi été rattrapés par les différentes variantes du hashtag MeToo, qui ont été reprises dans 85 pays. En Suisse, le hashtag #SwissMediaToo, créé par des journalistes de la RTS fin 2021, mettait ainsi en lumière la persistance de comportements problématiques dans les rédactions.

Certaines accusations ont donné lieu à des enquêtes, puis parfois à des procès. Mais la plupart, par manque de preuve, parce qu’il y a prescription, parce que les combats judiciaires sont souvent imprévisibles, sont restées suspendues dans l’espace médiatique. D’où les critiques, nombreuses, adressées au mouvement sur sa façon de faire, parfois qualifiée de chasse aux sorcières par les détracteurs. Pointer du doigt et accabler, hors de tout contexte légal, est-ce en effet la meilleure manière de procéder, au risque d’évoluer sur ce qui pourrait être le terrain de la diffamation? «Il est compliqué d’évaluer l’efficacité d’une méthode après seulement cinq ans, mais avant de se demander si cela est pertinent ou pas, il faut s’interroger sur ce qui a conduit à privilégier cette méthode, souligne Valérie Vuille. La volonté d’avoir une méthode coup-de-poing est évidente, et il y avait le besoin de voir d'autres alternatives à la judiciarisation et au droit. Il ne faut pas oublier que les suffragettes posaient des bombes pour avoir le droit de vote!»

«Avec MeToo, il y avait ce besoin d’aller chercher une autre manière de parler et d’empoigner ces questions qui restaient tues ou peu considérées.»

Si les accusations se sont de plus en plus régulièrement traduites en démarches judiciaires, il ne faut toutefois pas crier victoire trop tôt. Nombre d’individus incriminés continuent d’exercer, ou reviennent une fois la tempête passée. Celles qui dénoncent, en outre, paient souvent très cher leurs révélations: licenciées, mises à l’écart, boudées par leur profession. Elles font peur. «Elles se confrontent à d’autres formes de violences structurelles, de résistance, analyse Valérie Vuille, preuve que le mouvement MeToo n’a pas atteint sa fin.»

Ce qui a déjà changé

S’il reste difficile d’évaluer l’impact de MeToo sur les comportements du quotidien, ses influences sur les productions culturelles sont claires. Le personnage de James Bond a ainsi opéré sa révolution via le dernier opus Mourir peut attendre, coscénarisé par Phoebe Waller-Bridge, autrice de plusieurs séries féministes. De manière générale, les personnages féminins ont gagné en présence et en profondeur sur les écrans.

Les thématiques des violences sexuelles et des discriminations sexistes sont par ailleurs mieux traitées, comme en témoigne le récent film Blonde, qui explore voire dissèque les traumas vécus par Marilyn Monroe. Et de plus en plus de productions font appel à des coordinatrices d’intimité pour le tournage des scènes de sexe, dont le rôle est de s’assurer du bien-être et du consentement de l’actrice.

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