Société
#MeTooGarçons: Au tour des hommes de briser le silence
Un cliché de petit garçon portant une fine moustache probablement dessiné au feutre, le tout accompagné du texte suivant: «De 11 ans à 15 ans, j'ai été abusé par mon agent et par d'autres membres de mon entourage. J'ai porté plainte à mes 16 ans parce qu'il le faisait à d'autres». Voilà comment le comédien français Aurélien Wiik, aujourd’hui âgé de 43 ans, a révélé le 22 février 2024 en story Instagram les violences sexuelles qu'il a vécues dans son enfance.
Depuis, les témoignages se multiplient sur les réseaux grâce au hashtag de ralliement #MeTooGarçons créé par l’artiste. Dans le milieu de la culture, comme chez les anonymes, la gent masculine dénonce. Autre exemple notoire: celui de l’ex-professeur à la Star Academy Yanis Marshall qui accuse le chorégraphe de Popstars, Bruno Vandelli, de l’avoir agressé durant son adolescence.
Un mouvement qui a pris du temps
Si les hommes parviennent aujourd’hui à raconter les agressions sexuelles subies dans leur jeunesse, la prise de parole a tout de même mis du temps à se démocratiser. «Ce n’est pas la première fois que l’on désigne ce genre de violences. Dans les années 1990, les histoires de pédocriminalité ont fait couler beaucoup d’encre», nous explique David Saltiel, consultant en genre, spécialiste des masculinités et fondateur de Ouimen. Il ajoute que plus tard, dans les années 2000, certains jeunes hommes ont signalé des abus dans le monde du sport.
Il n’en reste que c’est bien la vague #MeToo, née en 2017, qui a grandement contribué à visibiliser la problématique à grande échelle. Mais alors, pourquoi #MeTooGarçons arrive-t-il près de sept ans après? Pour Aymeric Dallinge, spécialiste diversités et violences et intervenant pour le programme As de Cœur, plusieurs éléments expliquent cette lenteur. «Tout d’abord, il me semble important de préciser qu’à l’arrivée du mouvement #MeToo, il s'agissait de laisser la place aux femmes victimes puisque leur parole reste encore trop invisibilisée dans la société. Ensuite, avoir conscience que l’on a été une personne victime de violences sexuelles peut prendre du temps.»
Injonctions néfastes
Aujourd’hui encore, les injonctions à la masculinité restent lourdes de conséquences. Dans notre société patriarcale, les hommes sont contraints de devoir se montrer forts, volontaires ou encore avides de relations intimes. En effet, comme l’explique le sociologue Sébastien Chauvin dans un article du quotidien Le Temps: «Quand des hommes dénoncent vingt ans après une agression commise par un autre homme, ils seront plus difficilement audibles s’ils sont homosexuels car, par homophobie, on supposera leur consentement par défaut». A contrario, l’expert note que lorsque les hommes sont victimes de femmes, ils sont moins pris au sérieux. Autant de jugements de valeurs - internalisés ou non - qui empêchent les hommes d’assumer un potentiel statut de victime.
Qu’en est-il des agresseurs justement? «Comme le montrent les travaux de la sociologue Lucie Wicky, 90% des auteur-ice-s de violences sexuelles sont des hommes», signale David Saltiel. Si les agressions commises par des femmes existent, elles restent néanmoins rares. «De plus, monter en épingle ces cas très minoritaires sert au discours masculiniste pour dire: “Regardez, les hommes ne sont pas les seuls agresseurs, et les femmes ne sont pas les seules victimes, d’ailleurs l’une d’elles m’a mis une main aux fesses”», précise Sébastien Chauvin au Temps.
Peu de solidarité masculine
Même si la cause avance, force est de constater qu’il reste encore du travail. Un élément qui permettrait d’aller de l'avant? Initier un changement dans les institutions censées accueillir la parole de victimes. «En plus du fait qu’il existe encore trop peu d’espaces pour les hommes afin de parler de violences sexuelles, lorsqu’on fait appel à la police ou à la justice, on n’est généralement pas entendu», déclare David Saltiel.
Cependant, aujourd'hui encore, les hommes ne peuvent pas être reconnus victimes de viol légalement en Suisse. Heureusement, au début de l’année 2024, le Conseil fédéral a fixé l'entrée en vigueur du nouveau droit pénal en matière sexuelle, avec sa nouvelle définition du viol, au 1er juillet 2024. Dès lors, toute pénétration non consentie, qu’elle soit orale, vaginale ou anale, effectuée sur un homme ou une femme sera considérée comme un viol.
Cette prise de parole pourrait en amener d'autres. Et d’après Aymeric Dallinge, le #MeTooHommes serait la prochaine étape à atteindre. À l’image de l’acteur américain Brendan Fraser, qui a révélé avoir été victime de Philip Berk, ex-président de l'Association hollywoodienne de la presse étrangère, alors qu’il avait 35 ans, la gent masculine devrait également pouvoir dénoncer les violences subies à l’âge adulte.
Finalement, selon Aymeric Dallinge, en parallèle aux avancées en termes de lois par exemple, il est absolument indispensable de déconstruire certains clichés qui empêchent les victimes masculines de s’exprimer, mais aussi sensibiliser à davantage d'empathie entre hommes.
Si le mouvement #MeToo a inspiré un grand nombre de femmes à se soutenir entre elles, la solidarité masculine semble absente du débat lorsqu’un homme dénonce avoir été victime de violences sexuelles: «Il faut oser dire les choses et surtout pouvoir compter sur un accompagnement familial, amical et bien entendu professionnel, précise le spécialiste diversités et violences. En outre, il me semble important de faire de la prévention, oser poser ses limites, inculquer le respect de ces dernières et du corps de tout un chacun. C’est la clé pour espérer une guérison possible de cette société malade».
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