littérature
«Combien tu m'aimes?»: Tiffany Cooper parle d'amour aux enfants
«Combien tu m'aimes?» C'est la question que la petite Ava en pleurs pose à son papa, après que ce dernier l'a punie dans sa chambre parce qu'elle refusait d'éteindre son dessin animé pour manger. Parler d'amour aux enfants, c'est le dernier dada de l'inventrice de ces personnages, l'artiste française Tiffany Cooper, autrice notamment du roman graphique Homme Sweet Homme sur la charge domestique dans le couple.
Après L'amour est partout (Éd. Eyrolles), paru en octobre 2023 ou encore la série Patatouille (Éd. On ne compte pas pour du beurre), mettant en scène le patriarcat personnifié en un monstre poilu, Tiffany Cooper a publié le 28 mars 2024 Combien tu m'aimes? (Éd. Eyrolles), reprenant ainsi les aventures du personnage d'Ava.
L'amour inconditionnel d'un parent
Dans ce nouvel album dédié aux enfants dès 3 ans, l'autrice et illustratrice aborde la question de l'amour inconditionnel, d'après elle «le devoir de chaque parent envers son enfant». D'une situation plutôt banale au sein d'une famille comme point de départ - un enfant désobéit au parent et les deux parties sont en colère -, Tiffany Cooper distille ses conseils pour désamorcer un conflit, montre comment rassurer un enfant sur l'affection qu'on lui porte et invite ses lectrices et ses lecteurs à engager un débat entre enfants et adultes autour de l'émotion de la colère et des réactions qui s'ensuivent chez chacun-e.
À l'occasion de sa venue au festival de bande dessinée lausannois BDFIL, qui a lieu du 15 au 28 avril 2024, on s'est entretenue avec cette autrice dont on raffole des réflexions féministes en dessins sur Instagram (même si cette dernière a décidé pour le moment d'arrêter de travailler gratuitement pour produire ses posts) à propos de littérature jeunesse, d'égalité et d'amour.
FEMINA Vous écriviez des ouvrages destinés à un public adulte. Pourquoi vous êtes-vous tournée vers la littérature jeunesse?
Tiffany Cooper J'en ai eu envie lorsque j'ai eu un enfant, mais au début ça coinçait un peu. À la lecture d'un livre de la penseuse féministe américaine bell hooks, je voulais détruire le patriarcat que j'avais identifié comme source de nombreux maux. J'ai alors eu l'idée de Patatouille, un monstre qui représente le patriarcat et fait peser ses injonctions sur le petit Solal. Mon concept a plu et c'est ainsi que je suis entrée dans le monde de la littérature jeunesse en 2023. Depuis, j'ai publié quatre livres pour enfants et un cinquième paraîtra au mois de septembre. Mais je n'oublie pas la BD adulte pour autant: je suis en train de préparer l'adaptation d'un livre féministe très connu en collaboration avec une écrivaine. Je ne peux pas en dire plus, mais l'ouvrage sortira en novembre 2024.
Comment choisissez-vous les thématiques de vos livres jeunesse?
Patatouille et le patriarcat, c'était suite à ma séparation d'avec le père de mon enfant. J'ai vécu un éveil féministe puissant et je ressentais beaucoup de colère. À travers les histoires d'Ava, j'avais envie de transmettre des messages importants à mon lectorat. L'amour est partout postule que l'amour n'est pas que romantique.
Comme vous le voyez, j'ai un peu de mal avec la légèreté!
Est-ce difficile d'aborder des questions de genre, d'égalité et de féminisme avec des enfants?
Pas si l'on dispose des bons outils. Aujourd'hui, des documents vulgarisent très bien des sujets comme le racisme ou encore l'éducation sexuelle. Moi aussi, en tant que mère, je me pose un milliard de questions et je ne veux pas traumatiser mon fils, mais les bons livres jeunesse sont un super outil pour transmettre des messages importants aux enfants.
Le couple et l'amour sont des idées que l'on associe plus volontiers aux ados et aux adultes, alors pourquoi aborder ces questions avec les petit-e-s?
Je suis tombée amoureuse quand j'avais 5 ans: Michaël a préféré Alison et j'étais dévastée. Mon fils ne vit pas encore ces questionnements mais le jour où il tombera amoureux, je serai contente d'avoir un outil pour parler d'amour romantique avec lui. Avec L'amour est partout, je m'adresse surtout aux mères et aux filles.
C'est important de déconstruire les notions sexistes dès le plus jeune âge, car même si l'on privilégie une éducation hors des stéréotypes de genre, la société finit par rattraper les enfants.
Comment avez-vous eu l'idée de Combien tu m'aimes??
Lorsqu'on se disputait avec le père de mon enfant, j'avais le sentiment que mon amour pour lui disparaissait à ce moment-là. Une fois, il m'a dit «je t'aime, même quand on se fâche» et ça a illuminé quelque chose en moi. Ce qui a inspiré plus directement mon histoire, c'est qu'un jour, je me suis disputée avec mon fils et depuis sa chambre il a braillé «Mais moi, je veux que tu m'aimes». Il vivait la même expérience et je l'ai rassuré. Je pense que pour éviter les relations affectives dysfonctionnelles chez les adultes, il faut armer les enfants.
Pourquoi est-ce important de parler d'amour inconditionnel avec les enfants?
Cela permet de créer un environnement sécurisé et, à mon avis, on évite ainsi des comportements de compensation étant adulte, la dépendance affective. Moi j'étais accro à la cigarette et à l'alcool par exemple. Un enfant sécurisé dès le plus jeune âge sera un adulte mieux dans sa peau avec une vie plus apaisée.
Dans votre dernier ouvrage, vous offrez quelques clés pour permettre aux enfants de gérer la frustration, la colère et les conflits. Quelles sont-elles?
Par exemple taper sur le canapé ou alors crier dans un coussin. Je propose aussi l'isolement afin de se calmer. Ce sont des conseils également adressés aux parents: nos gestes peuvent être brusques et écarter l'enfant pour sa sécurité est parfois nécessaire.
Vous proposez à l'enfant de remettre en question son comportement lors d'un conflit, mais aussi à l'adulte.
Oui, car un parent ne possède pas la vérité absolue. Parfois je regrette un acte ou un mot et je m'excuse auprès de mon enfant. C'est OK d'admettre nos torts et cela n'enlève rien à l'autorité parentale. Je trouve que se remettre en question montre l'exemple, permet à l'enfant de prendre ses responsabilités et instaure une relation horizontale bénéfique.
Dans la BD, Ava dit à son papa «je te déteste» et «tu ne m'aimes pas». Comment entendre et gérer ces propos en tant que parent?
Au début de la période de ma séparation, quand mon fils était en colère contre moi, il réclamait parfois son père pour me provoquer. Ça me piquait et il l'a compris, même si j’essayais de le cacher. Je me suis dit: il faut que je verbalise mon ressenti. Ces derniers jours, on a passé deux semaines ensemble, chose qu'on ne fait jamais et on en avait marre, lui comme moi. Il m'a dit qu'il avait «hâte» d'aller chez son père et je lui ai dit que moi aussi j’avais hâte! Je lui ai expliqué qu’on avait le droit de penser ça, de vouloir passer du temps l'une et l'un sans l'autre, que ça ne retire rien à l’amour qu’on se porte. C'est très déculpabilisant.
Tiffany Cooper dédicacera ses ouvrages au festival BDFIL, samedi 20 avril 2024 de 14 h à 15 h puis de 15 h 30 à 16 h 30, et dimanche 21 avril 2024 de 13 h à 15 h. L'illustratrice animera également un atelier de dessin pour enfants le dimanche de 10 h 30 à 11 h 15 à l'Espace Enfants de la Rasude, où les plus jeunes apprendront à dessiner des personnages inspirés de son univers.
Vous avez aimé ce contenu? Abonnez-vous à notre newsletter pour recevoir tous nos nouveaux articles!