Photographie: Au cœur des soins intensifs de néonatologie

Dans un monde idéal, aucun nouveau-né ne devrait avoir à lutter contre la mort. Jamais. Malheureusement, dans la réalité, les choses ne se passent pas toujours comme il le faudrait. Ainsi, en Suisse, chaque année, parce qu’ils ont pointé trop tôt le bout de leur minuscule nez et/ou rencontrent des problèmes d’adaptation, des complications respiratoires ou présentent une malformation, près de 10% des bébés ont besoin d’une forme d’assistance à la naissance. Une partie d’entre eux séjournent aux soins intensifs de néonatalogie pour y mener le combat de leur vie.

Un combat dont on ne sait à peu près rien tant qu’on n’y a pas été confronté. Mais qu’on découvre aujourd’hui dans Le voyage des héros, du photographe Christophe Chammartin. Bouleversant recueil d’images et de témoignages glanés pendant des mois d’immersion, sur plusieurs années, ce travail documentaire réalisé au service de néonatologie du CHUV dévoile en effet quelques facettes de cet univers si particulier, avec la complicité du Pr Jean-François Tolsa, de ses équipes et de quelques familles concernées.

En un regard attrapé au vol, le photographe raconte ainsi avec douceur et sensibilité les défis, les batailles quotidiennes contre la fatalité et la douleur, l’intensité de ces moments clés où tout peut basculer, où il faut s’interroger sur la pertinence d’une poursuite thérapeutique – même si, ici, toutes les histoires se terminent bien.

Fondu dans ce décor de science-fiction, il donne à voir le stress des soignants, le ballet millimétré qui se danse à la seconde près, l’indispensable précision et l’impensable synchronisation des gestes, l’humanité derrière les machines. Il saisit, aussi, les émotions contradictoires – la solitude, l’angoisse, l’inquiétude, le découragement, la fragilité puis l’espoir, la couleur, les sourires retrouvés.

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Mais surtout, tout en délicatesse, il rend hommage à ces petits êtres si profonds et mystérieux qui s’accrochent vaille que vaille; à l’amour inconditionnel des parents; aux équipes soignantes, dont fait partie sa compagne Isaline, exceptionnelles de dévouement, de compétences et de bienveillance. Il célèbre la vie, tout simplement.

Lors d'une rencontre, Christophe Chammartin et le Pr Jean-François Tolsa ont accepté de sélectionner et de commenter quelques images emblématiques.

Communion

«Pour moi, cette photo est emblématique de tout ce travail, note Christophe Chammartin, puisque mon angle d’approche était de montrer la technologie de pointe face à l’humanité qui se vit dans ce service. Une maman m’a dit que cette image lui rappelait «La Création» (la fresque de Michel-Ange) et, en effet, on est ici dans une histoire de cet ordre, avec ce doigt tendu vers la vie, cette lumière quasi divine qui tombe comme ça…»

Le professeur Tolsa, qui sent une véritable «communion» entre les êtres en présence, reprend: «Médicalement, les champs stériles et les gants indiquent que le bébé est à risque et doit être protégé, et le garrot jaune qu’on entrevoit montre qu’il va falloir le piquer puis lui poser une perfusion, une voie veineuse ou un cathéter.»

Portail de l’incertitude

«Ici, on est dans la technologie, remarque le professeur Tolsa. On voit là que le bébé a beaucoup de traitements différents, de soins compliqués et particuliers, que les gants et le masque sont de rigueur: ce doit être grave. Cela dit, malgré cet aspect de gravité, il y a des couleurs chaudes qui symbolisent l’espoir.»

«C’est aussi cela», approuve Christophe Chammartin. Il ajoute: «Dans cette photo qui penche un peu, on est dans un mouvement: on entre, on sort. Il y a comme une idée d’un portail – un portail de l’incertitude qu’on peut traverser dans les deux sens…»

Cercle des compétences

Pour le professeur Tolsa, l’image de ce nouveau-né placé dans une espèce de sac en plastique «pour éviter les pertes de chaleur et l’hypothermie» reflète «la disproportion entre le nouveau-né et le nombre de personnes qui doivent s’en occuper», chacune avec son rôle et ses capacités propres.

Christophe Chammartin reprend: «Moi, j’avais surtout été frappé par la couleur du bébé. Là, il pleure, il respire et il est déjà un petit peu plus rose, mais à la naissance, il était bleu! Ce qui me marque, aussi, c’est la composition circulaire de cette scène: on sent vraiment le cercle de toutes ces compétences bien définies et cela sous-entend une excellente coordination. Ces mains qui vont tous dans la même direction ont une dimension presque rituelle.»

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Humanité et technicité

«On assiste ici à une intubation pour soutenir la fonction respiratoire de l’enfant. C’est un geste périlleux et d’autant plus difficile à réaliser que l’individu est petit. Il s’agit d’être en parfaite synchronisation les uns avec les autres, concentré, délicat, précis et très rapide, car le temps est d’une importance capitale», souligne le professeur Tolsa.

Christophe Chammartin ajoute: «Je n’avais jamais vu autant de personnes autour d’un bébé. On ne les voit pas toutes parce que certaines sont hors cadre, mais c’était…» Il poursuit: «Ce qui m’a également marqué, dans cette scène, c’est la transparence de la lumière, la peau si fine qu’on voit à travers. Je me rendais compte qu’il s’agissait d’un soin très technique et que la tension était extrême. Pourtant, malgré toute cette technicité, on ressentait aussi toute l’humanité de l’équipe dévouée à cet enfant…»

Solitude

«Là, c’est le froid de l’environnement, les néons, la solitude et la détresse de parents qui ne savent pas de quoi demain sera fait, commente le Pr Tolsa. Et puis, en même temps, il y a cette chaleur, ce réconfort. Peut-être sont-ils en train de regarder ensemble des photos sur un téléphone?»

En l’occurrence, explique Christophe Chammartin, «leur bébé venait de partir en opération et la maman ignorait si elle allait revoir sa fille en vie – elle était dans l’insondable solitude de ce moment où tout peut basculer.»

Intensité en cadeau

«Cette photo date de 2010, c’est l’une des premières que j’ai faites et ce bébé a aujourd’hui 14 ans, sourit Christophe Chammartin. Je me rappelle m’être penché à travers le plastique, et soudain, à travers tous ces fils qui parlent de technologie, cette humanité… Il m’a fixé pendant quelques secondes avec l’intensité et la densité que peuvent avoir les nouveau-nés. Ce regard a été un cadeau qui m’a bouleversé.»

Pour sa part, le professeur Tolsa, focalisé sur les yeux du petit, lit un «regard d’adulte». Mais aussi «un questionnement et une grande incertitude: malgré cette technologie qui m’entoure, y aura-t-il un lendemain pour moi?»

Le voyage des héros, Christophe Chammartin, disponible dans les librairies, à la maternité du CHUV, ou par mail à info@chammartin.net