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Interview

«Une famille»: Le docu choc sur l'inceste de Christine Angot

Christine Angot et sa fille Leonore

Christine Angot et sa fille Léonore dans le bouleversant Une famille, son premier film documentaire.

© NOUR FILMS

Après ses percutants romans L’inceste, Un amour impossible ou Le Voyage dans l’Est, Christine Angot poursuit caméra au poing l’exploration des traumatismes qui la hantent. Et présente aujourd’hui Une famille – un documentaire tourné en 2021 dans lequel l’auteure se confronte au tabou, aux non-dits et au silence assourdissant qui enveloppe l’horreur subie à coups de face-à-face familiaux: la veuve de son père violeur, sa mère, son ex-compagnon, sa fille Léonore. Des rencontres authentiques, sous tension, dures, bouleversantes, douloureuses, violentes et émouvantes, aussi, qui permettent de lever le voile. De montrer comment l’entourage s’arrange de la souffrance d’une victime et de vérités dérangeantes.

Invitée du festival Visions du Réel pour la sortie suisse de ce premier film aussi saisissant que nécessaire puisqu’il «entre dans les pièces fermées sur les incestes», Christine Angot, qui assiste aux projections des 14 et 15 avril 2024 à Nyon puis à Gland, a accepté de répondre à quelques questions…

FEMINA Pour témoigner, vous, l’écrivaine reconnue, avez choisi de passer par l’image. Est-ce parce qu’elle donne à voir des choses que la littérature et l’écrit ne peuvent restituer? Est-ce parce qu’elle vous donne «deux regards», comme vous l’expliquez à Claude, votre ex-compagnon?
Christine Angot La littérature peut tout restituer. Le cinéma aussi. Mais la dimension collective du cinéma, et le fait que l’image filmée soit de l’ordre de la preuve en font un art qui peut être politique. On voit tous la même chose, ensemble. Et on peut en parler. La littérature, on ne peut pas. C’est plus secret. C’est sa beauté. Le respect du silence.

La question des «deux regards» s’applique à la littérature comme au cinéma. Quand j’écris ou fais un film, il faut que j’aie deux regards. Celui de la personne que je suis, et celui de la personne que je deviens au moment où je filme ou écris. «Je est un autre», autrement dit.

Dans le domaine de l’art, on ne peut pas parler de «témoignage». Le témoignage relève de l’étude sociale et de la statistique.

On a tendance à penser que certains sujets, particulièrement ceux qui concernent les femmes ou les enfants, relèvent du témoignage.

Je ne témoigne ni dans un film ni dans un roman. En revanche, je fais en sorte que la vie, les choses de la vie, qui échappent au témoignage justement, apparaissent, et que le film soit la vie elle-même.

Au moment d’entrer chez la veuve de votre père, à Strasbourg, où l’enfer a commencé quand vous aviez 13 ans, vous dites aux amies qui vous accompagnent, dont la réalisatrice Caroline Champetier: «J’ai besoin de vous, entrez…» Vous leur parlez, bien sûr, mais à nous qui regardons aussi…
Bien sûr.

Au départ, sachant que j’allais faire une lecture dans un théâtre, je voulais que celle-ci soit filmée. Donc, deux personnes m’accompagnaient, avec chacune une caméra, pour en champ et contrechamp. C’étaient deux amies. Elles m’accompagnent dans le quartier de mon père, elles filment, puis je sonne, la porte s’ouvre, et je leur dis de me suivre, pour que vous aussi puissiez entrer.

Ce genre de scène se déroule toujours derrière des portes fermées, comme si l’inceste était une affaire privée, familiale, personnelle, et non un crime qui regarde la société.

Vous dites aussi: «J’en ai marre de parler de ça, j’en ai marre que mon travail soit envahi par ça…» Tourner Une famille vous a-t-il permis de vous alléger – au moins un peu?
La question n’est pas de s’alléger, mais d’écrire, de filmer, de comprendre, de montrer de trouver un langage littéraire, ou cinématographique, qui permette de voir les choses comme elles sont. C’est aussi simple que ça. Et aussi très compliqué, ça ne peut pas être léger. Mais c’est passionnant.

L'écrivaine française Christine Angot
L'autrice française Christine Angot. © NOUR FILMS

Le face-à-face avec la femme de votre père est éprouvant, violent, même… Aujourd’hui, en y repensant, comment analysez-vous ses réactions?
Ce sont celles de quelqu’un qui a fait un choix. Continuer à dire que son mari était quelqu’un de merveilleux pour ne pas perdre la face, ne pas risquer de perdre sa respectabilité sociale, et ne pas prendre en charge la honte de l’inceste. C’est une attitude courante, qui oblige la victime à porter cette honte seule sur son dos.

À la suite de cette rencontre, cette femme ainsi que vos demi-frère et sœur ont déposé une plainte contre vous. Une violence ultime…
Oui, et aussi un système classique de renversement et d’inversion de la violence. La honte de l’accusation se retrouve sur la victime.

Si votre film montre bien l’horreur de la parole (dé)niée, il porte aussi l’espoir d’une écoute possible – notamment lorsque vous dialoguez avec votre fille Léonore. Pensez-vous qu’avec la libération de la parole qui s’opère actuellement, la société va (enfin!) commencer à écouter vraiment les victimes d’inceste et de violences sexuelles?
On pourra écouter les victimes à partir du moment où on cessera de considérer comme supérieur le plus riche, le plus cultivé, le plus puissant, et de lui donner tous les pouvoirs. Tant que ce sera comme ça, il n’y a aucune raison qu’il cesse d’en abuser.

Festival Visions du Réel, projections du film Une famille (en salle le 17 avril 2024), dimanche 14 avril à 16 h 15 au Théâtre de Marens, à Nyon, et lundi 15 avril à 20 h 30 au Théâtre de Grand-Champ, à Gland, en présence de Christine Angot.

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