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Séparation: Quand l’enfant renie l’un des parents

SEPARATION ENFANT PARENT GETTY IMAGES ENISAKSOY

Des études montrent que 20 à 25% des jeunes adultes venant de parents séparés ont pris de la distance avec leur père, et 10% avec leur mère, au moins une fois au cours de leur vie.

© GETTY IMAGES/ENISAKSOY

«L’annonce du divorce a été un choc pour tout le monde. J’avais rencontré quelqu’un sur mon lieu de travail, un coup de foudre, le genre de truc puissant et complètement imprévisible. En quelques mois j’ai décidé de tout quitter pour cette personne alors qu’avant mon foyer était sans histoires. Mais ça, les enfants ne me l’ont pas vraiment pardonné.»

Aujourd’hui en ménage avec sa nouvelle compagne, Arnaud, 45 ans, ne voit presque plus sa progéniture. Sa fille et son fils adolescents l’évitent, déclinent la plupart des invitations chez lui et n’ont que peu de contacts par téléphone. Ils sont restés chez leur mère qui, elle, demeure célibataire. «Je savais que cela allait les chambouler, sauf que je n’imaginais pas qu’ils réagiraient de façon aussi radicale, comme pour me punir.»

C’est vrai, cette attitude qualifiée de radicale par Arnaud n’est pas la norme, «car dans la plupart des cas, après une séparation, les enfants souhaitent conserver un lien avec les deux parents», constate Alessandra Duc Marwood, psychiatre et psychothérapeute pour enfants et adolescents, couples et famille, au CHUV.

Fuir un contexte oppressant

Pour autant, le phénomène n’est pas rarissime non plus. «Des études menées en France et en Allemagne montrent que 20 à 25% des jeunes adultes venant de parents séparés ont pris de la distance avec leur père, et 10% avec leur mère, au moins une fois au cours de leur vie», signale Laura Bernardi, professeure de sociologie à l’Université de Lausanne.

Pourquoi des enfants décident-ils de mettre ainsi à distance l’un de leurs parents séparés? On pense aussitôt aux situations malsaines et toxiques. Les contextes de violence domestique, de violence psychologique, d’alcoolisme sévère ou de dérive idéologique, dont on veut légitimement s’échapper.

«Dès le divorce de mes parents, lorsque j’avais 17 ans, j’ai pris mes distances avec ma mère parce qu’elle m’avait écrasée d’injonctions sur mon physique durant toute mon adolescence, se souvient Sarah, 34 ans. Elle n’arrêtait pas de me dire que j’étais grosse et pas aussi jolie que je pourrais l’être, que je mangeais trop. J’ai souffert pendant longtemps de troubles du comportement alimentaire à cause d’elle. Aujourd’hui, je suis bien plus proche de mon père.»

L’empathie prend le dessus

Il y a aussi les cas, «encore assez fréquents, du parent qui n’accepte pas l’orientation sexuelle de l’enfant», mentionne Laura Bernardi. Mais au-delà de ces configurations où l’éloignement est davantage un geste de survie à contrecœur qu’un acte désiré, la séparation du couple peut générer une envie de mise à distance du parent sans réelles nécessités vitales.

«Beaucoup de divorces sont vécus de façon assez bouleversante, notamment lorsque les enfants sont ados ou jeunes adultes, et provoquent des remous émotionnels forts, soulève Nicolas Favez, professeur de psychologie à l’Université de Genève. Le départ de l’un des parents peut être perçu comme une trahison amenant la perte de cette sécurité que représentait le couple parental.

L’endroit où l’on s’était senti protégé et qui fonctionnait comme un refuge vole en éclats. Pour cette raison, certains enfants vont nourrir une rancœur envers la personne qui est partie, en particulier quand la séparation a entraîné un véritable changement de vie.»

Comme une sorte de mise à distance punitive du parent jugé fautif. «Quand j’avais 14 ans, ma mère a rencontré quelqu’un et a quitté le foyer pour aller vivre avec son nouveau compagnon, en France, à des centaines de kilomètres, se souvient Antoine. Ma petite sœur et moi avons eu l’impression d’être abandonné-e-s. Nous sommes resté-e-s auprès de mon père et, quinze ans plus tard, nous continuons d’avoir une relation spéciale avec lui, tandis que nous faisons exprès de garder notre mère à distance, même si elle aimerait se rapprocher.»

Ne pas se perdre en route

D’ailleurs, une tendance forte se dégage de ces configurations, celle de prendre parti pour le parent qui semble en baver le plus. «Quand l’un des deux se sent éconduit, qu’il est quitté parce que l’autre est parti pour vivre une nouvelle histoire d’amour, les enfants sont souvent solidaires du conjoint qui n’est pas à l’initiative de la rupture, explique le sociologue français Denis Hippert. C’est une sorte de solidarité affective.»

Le sentiment d’insécurité peut également mettre en œuvre une autre dynamique, plus intériorisée cette fois. «Lorsqu’on a encore besoin de ses parents, en soutenir un au détriment de l’autre après la séparation est la voie royale pour se considérer comme important et ne pas être rejeté, analyse Nicole Prieur, psychothérapeute et auteure du livre Les Trahisons nécessaires (Éd. Robert Laffont, 2021). Dans une telle situation, on peut se sentir fragile et voir son socle s’effriter, et on est parfois prêt à tout pour garder un soutien. En créant une alliance avec l’un des deux et en le soutenant, on s’assure une place privilégiée.»

Et dans cette configuration complexe, c’est souvent pour le parent qui semble être le plus accueillant et le plus proche, pour celui qui paraît garantir le plus de soutien, que l’enfant va prendre parti. C’est pourquoi la maman est plus fréquemment privilégiée. «On voit effectivement que dans ce type de situation, c’est avec le père qu’on observe le plus grand risque de perte de lien», souligne Nicole Prieur.

Dynamique parentale

Mais au fait, existe-t-il un moment de la vie où la probabilité de s’éloigner de l’un des parents à cause d’un divorce est la plus élevée? «Plus la séparation a lieu tôt dans la vie des enfants, plus ceux-ci ont tendance à être légitimistes, c’est-à-dire à avoir une loyauté envers les deux parents et à souhaiter continuer à les voir de façon alternée pour n’en blesser aucun», informe Benoît Hachet, sociologue à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS), en France.

En revanche, la fin de l’adolescence et le début de l’âge adulte constituent la période où les éloignements sont les plus fréquents. «Cela est sans doute dû au fait que cette phase de vie amène pas mal de changements, ce qui est susceptible d’accentuer le besoin de s’éloigner davantage lorsqu’il y a des conflits, des dynamiques ou des sentiments négatifs déjà présents», pointe Laura Bernardi.

La fille avec maman, le fils avec papa

Quoi qu’il en soit, lorsque la progéniture se met à privilégier l’un ou l’autre après une séparation, l’influence des parents n’est jamais très loin. «Si un enfant délaisse son père ou sa mère après la rupture, c’est bien souvent parce que les parents n’ont pas su offrir un contexte où les enfants n’avaient pas besoin de prendre parti, décrypte Alessandra Duc Marwood. Quand l’un des parents ne cesse de se plaindre, de vouloir attirer la compassion alors que l’autre vit mieux la séparation, cela oblige presque l’enfant à prendre parti. Il y a alors peu de marge de manœuvre pour lui.»

Dans les séparations tendues, il n’est pas rare, en outre, que le conflit conjugal déteigne sur la fratrie, les membres vont alors rejouer la dramaturgie façon ombres chinoises. Avec, à la clef, des dégâts pour les deux camps.

«Ma mère a demandé le divorce lorsque j’avais treize ans, elle était tombée amoureuse d’un autre homme. Je suis partie vivre avec elle, tandis que mon grand frère est resté aux côtés de mon père à la maison. J’ai suivi ma maman car j’avais l’impression que c’est avec elle que j’avais le plus d’affinités, et mon frère a choisi mon père pour les mêmes raisons. Nous avons ensuite grandi presque sans nous voir. Mais avec le recul, je me rends compte que d’autres dynamiques plus profondes ont provoqué cet éclatement de notre fratrie: nous avons plus ou moins fonctionné comme les doublures de nos parents.»

Dramatiques jeux de rôle

De l’avis de Nicole Prieur, «il peut en effet se rejouer sur la scène fraternelle les conflits des parents larvés depuis longtemps. Les frères et sœurs peuvent ne pas avoir réussi à dépasser la rivalité première, naturelle, des débuts, au point d’épouser chacun de leur côté les camps parentaux.» On comprend mieux pourquoi les statistiques montrent une certaine tendance à ce que les enfants, dans les situations de fratrie non solidaire, se rangent du côté du parent du même sexe.

«C’est un concept de loyauté invisible où l’enfant reproduit inconsciemment le schéma du parent, parce que celui-ci, parfois, s’identifie à lui. Parce qu’il est du même sexe, parce qu’il est second dans la fratrie comme il le fut lui-même dans sa jeunesse, parce qu’il a le même caractère… énumère la psychothérapeute. On peut entendre des rengaines du type Tu vois ma fille comment les hommes nous traitent, ou Tu vois mon fils les femmes sont comme ça, et ces problématiques des parents peuvent créer un fort sentiment d’identification intergénérationnelle.»

Mais il existe aussi des cas où c’est le parent qui provoque l’éloignement aux dépens de l’enfant après une rupture, qui lui n’a rien demandé. Deux ans après la séparation de ses parents, Solène, 21 ans, n’a ainsi presque plus de contact avec son père. La raison? Cet homme de 47 ans ne supporte pas d’avoir été quitté. Il nourrit une rancune tenace envers son ex-épouse, qui est partie pour un autre homme, mais aussi envers sa fille, car il attendait d’elle qu’elle fasse alliance avec lui pour se liguer contre sa mère, en représailles.

«Cela fait des mois et des mois qu’il ne me parle plus et qu’il refuse de me voir, tout ça parce qu’il attendait une loyauté de ma part, mais pour moi il était hors de question de me fâcher avec ma maman ou de faire pression sur elle pour la faire revenir. Oui, je lui en veux un petit peu d’avoir brisé le foyer, mais elle a ses raisons, mon père n’est pas parfait. Et puis, c’est leur histoire. Par contre, il n’a pas cessé les contacts avec mon petit frère.»

Renouer à l’âge adulte

Pourtant, au-delà des rancunes pouvant venir d’un camp ou de l’autre, le fait de mettre à distance enfant et parent après une séparation s’avère rarement bénéfique sur le long terme.

«Pour l’enfant qui a mis l’un de ses parents à distance sans raison essentielle, on constate que cette configuration finit par créer une souffrance, car le parent absent reste une partie de soi, éclaire Nicole Prieur. Ce clivage représente un manque qu’on a envie de dépasser. Et du point de vue du parent rejeté, cette expérience est de l’ordre de l’irrationnel, c’est très douloureux, c’est une sorte de perte d’identité car on a le sentiment d’être pris pour quelqu’un qu’on n’est pas.»

Néanmoins, il est assez rare que ces situations perdurent pendant des décennies. «Souvent en grandissant, l’enfant devenu adulte prend conscience de certaines situations grâce à ses propres expériences de cœur, il analyse la séparation de ses parents avec un regard différent, indique Nicole Prieur. Tout cela peut permettre de rééquilibrer les choses en désidéalisant le parent auquel on s’était trop identifié.»

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