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Alice Diop: «Le cinéma rend visible l’indicible»

Alice diop le cinema rend visible lindicible

Lors de la 55e édition du Festival Visions du Réel, Alice Diop sera mise à l'honneur avec une rétrospective de sa filmographie et une master class ouverte au public.

© AURELIE LAMACHERE

Le cinéma comme moyen d’offrir un regard sur la société. De diffuser un savoir en le démocratisant pour le rendre accessible au plus grand nombre. Voilà le sens qu’a trouvé Alice Diop au septième art, elle qui a étudié les sciences humaines et l’histoire coloniale avant d’intégrer l’atelier documentaire de la Fémis, école nationale supérieure des métiers de l’image et du son. «Je n’avais pas l’idée de devenir cinéaste, nous confie-t-elle, mais la réalité dans laquelle je vivais était toujours en porte-à-faux avec la façon dont elle était racontée. Le cinéma est arrivé comme un outil politique, pour répondre à cette falsification.»

Née dans une famille sénégalaise à Aulnay-sous-Bois, au nord de Paris, Alice Diop tourne dès ses premiers films dans la banlieue où elle a grandi. Poser son regard sur les quartiers et les classes populaires, rendre compte de la complexité du réel: telle est l’essence de son travail. Dans La mort de Danton (2011), elle suit Steve Tientcheu (vu par la suite dans La nuit des rois, Sage-homme, la série Lupin ou encore les films de Ladj Ly), grand gaillard noir de 25 ans qui entame une formation d’acteur au prestigieux Cours Simon sans en parler à personne. «Steve est né dans la même rue que moi, précise la cinéaste. Lorsque je l’ai croisé à un mariage et qu’il m’a confié qu’il venait de s’inscrire dans cette école, j’ai eu l’intuition qu’il y avait quelque chose à raconter. Comme lui, j’ai pu éprouver ce sentiment de solitude, de malaise ou de complexe face aux origines sociales. Pour moi, son histoire racontait quelque chose de plus vaste concernant toute la société française, sur la violence symbolique et le racisme impalpables, qui créent des hiérarchies et séparent les gens.

Ce qui est magnifique avec le cinéma, c’est qu’il rend visible l’indicible.»

Ne pas faire le travail pour aller déloger les préjugés à l’intérieur de soi: voilà comme Alice Diop définit le racisme. Son cinéma repose sur la nécessité de réparer la violence des images binaires et des places assignées. En 2016, dans Vers la tendresse, elle questionne différents hommes sur l’amour et leur rapport aux femmes, qui lui répondent avec une franchise désarmante. Un film né de son aversion pour les lieux communs et les clichés, qui lui permet de dresser un portrait très différent des représentations médiatiques, faisant entendre la fragilité et la singularité de ces hommes.

Explorer l’intime pour tendre vers l’universel

Documentaire ou fiction, peu importe: le cinéma d’Alice Diop cherche, se renouvelle, afin de trouver à chaque fois la forme la plus juste pour transcrire ce qui lui semble essentiel à dire. «Avec Saint Omer, la fiction s’est imposée naturellement.

Ce qui m’intéresse avec l’histoire de Fabienne Kabou (condamnée pour l’infanticide de sa fille, ndlr) ce n’est pas le fait divers, mais ce qui concerne toutes les femmes: l’ambiguïté, la complexité, l’ambivalence du lien maternel.»

Pour ce film doublement primé à la Mostra de Venise, la réalisatrice glane aussi le César du meilleur premier film. «On ne sera ni de passage ni un effet de mode!» lance-t-elle sur la scène en février 2023, statuette en main. Une manière pour elle de rappeler qu’elle refuse le rôle de symbole ou de porte-parole: «Je ne veux pas être qu’une femme noire cinéaste, je veux être Alice Diop. Et je veux qu’à côté de moi il y ait des dizaines d’autres femmes noires cinéastes, et des dizaines d’autres femmes cinéastes, chacune avec sa singularité, et que les gens nous considèrent avec le même égard et le même soin accordés jusque-là aux hommes cinéastes. Pour moi, ce n’est pas l’histoire d’un moment, il s’agit d’un mouvement de fond qui va révolutionner une société de façon durable.»

55e édition de Visions du Réel, du 12 au 21 avril 2024 à Nyon. visionsdureel.ch

Bio express

1979 Naissance d’Alice Diop à Aulnay-sous-Bois, en banlieue parisienne.

2005 Sortie de son premier documentaire, La tour du monde, dans lequel elle filme la diversité culturelle de son quartier d’enfance.

2017 César du meilleur court-métrage pour Vers la tendresse.

2022 Elle reçoit le Grand Prix du jury et le Prix du premier film pour Saint Omer, sa première fiction, à la Mostra de Venise.

2023 En plus du César du meilleur premier film, Saint Omer représente la France aux Oscars.

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