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Mode: La fast fashion s'empare de la seconde main

Mode: La fast fashion s'empare de la seconde main

«Tant que la qualité de la mode issue de la fast-fashion n'est pas améliorée, la seconde main avec ces pièces-là ne va pas fonctionner sur le long terme.» - Valentine Ebner, professeure de Design Mode à la HEAD

© GETTY IMAGES/SHUOSHU

Pour les adeptes de la mode pointue, dénicher une pièce de seconde main s'apparente à une chasse au trésor: des bijoux vintage uniques, une pièce de luxe abordable ou une paire de chaussures originale à peine portée, le tout pour un look au doux parfum d'exclusivité.

Consommer la seconde main, c'est aussi une manière d'alléger nos dépenses, particulièrement auprès des boutiques et associations engagées contre la précarité. Enfin, le secteur offre l'opportunité de déculpabiliser, car le geste d'achat est plus écolo que de se procurer un article neuf. Sans oublier le satisfaisant désencombrement du dressing, lorsqu'on fait don - ou l'on revend - les habits et accessoires que l'on ne porte pas, via les bennes de recyclage, les collectes dans les magasins, les dépôts-ventes ou encore les sites et applications de resale.

Or, malgré ces avantages économiques et écologiques, le second hand n'est de loin pas une solution miracle pour pallier la surproduction et la surconsommation en matière de mode.

La fast-fashion s'approprie le filon

La seconde main est tendance grâce à de multiples facteurs comme l'inflation, les trends des années 90 ou 2000 portées par Instagram ou TikTok, la volonté de réduire son empreinte carbone ou encore la recherche de son identité à travers le port de pièces uniques. Sans parler du succès des plateformes numériques - des sites, des applications ou des comptes sur les réseaux sociaux - qui ont participé à démocratiser la revente entre particuliers.

Le secteur est en pleine expansion: le Resale Report 2023 de thredUP (site américain de revente en ligne) estime que le marché global de la seconde main devrait doubler pour atteindre 350 milliards en 2027, notamment grâce à la sensibilisation du public à l'impact de cette industrie sur l'environnement et au développement des modèles d'affaires autour de la mode circulaire. Le même rapport observe que le nombre d'enseignes adoptant des programmes de resale a triplé entre 2021 et 2022. Alors même que les concepts de fast-fashion et de seconde main sont a priori antinomiques.

Le 7 septembre 2023, Zara annonçait le lancement de sa plateforme Pre-Owned en France. L'objectif? Proposer sur le site des pièces Zara déjà portées, ainsi qu'un service de réparation. Épurée, la rubrique séduit: on a l'impression d'acheter du neuf. Cette initiative, déjà disponible en Angleterre et qui devrait bientôt débarquer en Espagne et en Allemagne, n'est pas active en Suisse. Zara annonce ne pas toucher un centime des transactions et la durabilité est au cœur de la promotion de Pre-Owned.

La griffe du géant espagnol de la fast-fashion Inditex n'est pas la seule à proposer la revente de pièces de seconde main issues de son catalogue. Antik Batik, The Kooples, Sandro, Aigle, Petit Bateau ou encore COS possèdent un système similaire, disponible uniquement dans certains pays. De son côté, la plateforme multimarque Zalando a lancé le même concept en 2020. Même le leader chinois de l'ultra fast-fashion Shein a mis en place une application dédiée au resale en 2022.

Même si ce marché digital est encore difficilement accessible en Suisse, les grands magasins tentent l'expérience. Bongénie Grieder a inauguré à la rentrée 2023 un nouvel espace dédié à la deuxième main de luxe dans son grand magasin de Genève, en collaboration avec le dépôt-vente zurichois Reawake. Chez Manor Lausanne, une expérience similaire a été menée en 2022 avec le corner éphémère aux pièces de luxe de chez Closet Genève. Manor a également testé la vente de pièces vintage en collaboration avec le fournisseur français Tilt Vintage. Une porte-parole nous confirme cependant par e-mail que l'entreprise a mis fin à cette expérience mi-2023 à cause «des résultats de ces shop-in-shops».

Pas de doute, le filon de la seconde main séduit les entreprises de retail classique. Si celles-ci mettent en avant leur volonté de participer à une meilleure circularité de la mode en étendant la durée de vie du vêtement - la mode étant, rappelons-le, l'une des industries les plus polluantes de la planète - les spécialistes ne semblent pas convaincu-e-s par la volonté écologiste derrière ces initiatives.

La surproduction ne ralentit pas

«C'est du greenwashing», commente Valentine Ebner, professeure de Design Mode à la Haute école d'art et de design de Genève (HEAD).

«L'intérêt écologique de la seconde main est de réduire la production, pourtant ces marques continuent de produire des vêtements neufs.»

«La fast-fashion, avec ses dizaines de collections par an, ne s'aligne pas avec l'idée de décroissance. Le secteur de la seconde main est en croissance absolue, alors que le retail stagne: les entreprises l'ont bien compris, poursuit la spécialiste. Elles tentent par ces initiatives d'attirer une nouvelle clientèle. C'est une logique économique.»

«Ces initiatives ne sont pas crédibles», ajoute Géraldine Viret, porte-parole de l'ONG Public Eye.

«Ce n'est pas une mauvaise chose que des enseignes gèrent des corners ou des boutiques de seconde main, mais sans remise en question du modèle d’affaires de la fast-fashion, c’est du greenwashing.»

«Les marques ont développé tout un discours autour de la durabilité, du recyclage et de l'économie circulaire, mais aucun système ne peut absorber les milliards de vêtements produits et jetés chaque année, en trop mauvais état pour être revendus ou recyclés.»

En effet, rappelons que des dizaines de milliers de tonnes de textiles et de chaussures sont collectées chaque année en Suisse (80 000 tonnes par Texaid en 2018), un équivalent de 6 kg de vêtements par personne et par an, selon l'OFEV. D'après le directeur de Texaid Martin Boëschen, 50% de la collecte européenne est ensuite exportée, principalement en Asie et en Afrique, rapporte la RTS. «L'arrivée en Afrique de tonnes de vêtements usagés dont l’Occident ne veut plus a changé le marché local du textile, développe Géraldine Viret. De nombreuses pièces ne trouvent pas preneur, car il y en a trop et elles sont surtout en piteux état. Ces vêtements finissent donc dans des décharges improvisées, comme la dune d’habits qui pollue Accra, la capitale du Ghana.»

«Tant que la qualité de la mode issue de la fast-fashion n'est pas améliorée, la seconde main avec ces pièces-là ne va pas fonctionner sur le long terme, note Valentine Ebner. Si l'on veut vraiment étendre la durée de vie du vêtement, il faudrait travailler sur la notion de réutilisation dès la conception, en utilisant par exemple des fibres naturelles et non des mélanges qui ne sont pas recyclables.»

La surconsommation n'est pas questionnée

Si la surproduction ne semble pas questionnée, un autre aspect contradictoire avec le concept-même de la deuxième main n'est pas non plus remis en question: la surconsommation. Parce que les pièces sont généralement moins chères que le neuf, on s'autorise parfois à acheter plus en seconde main. De même, puisqu'en fripes ou en vintage les vêtements et accessoires sont des pièces uniques, on a tendance à repartir avec un trésor inopiné, qui ne figurait pas sur notre wishlist.

Mais le problème va plus loin: des magasins encouragent la surconsommation, comme l'explique Géraldine Viret.

«Je trouve problématique que certaines enseignes proposent de collecter de vieux vêtements contre des bons d'achats. C’est une stratégie pour déculpabiliser la clientèle, qui pense faire un geste pour l'environnement, tout en l’incitant à acheter de nouveaux articles.»

Les petits commerces peuvent être fragilisés

La boutique lausannoise La Trame récupère aussi les vêtements dont les gens ne veulent plus contre des points à dépenser. Le concept est cependant tourné vers la durabilité et aussi socialement engagé avec son programme de réinsertion professionnelle des personnes migrantes. «Nous sommes à la fois une boutique de seconde main et un atelier de couture où l'on effectue des retouches et où l'on donne des cours», explique la cofondatrice Aurélia Joly, qui nous confie les défis de ce commerce indépendant ouvert en 2022.

«La seconde main a des limites, car il y a un surplus de vêtements. On le voit physiquement dans notre local, qui a rapidement été submergé par les dons.»

«Si bien qu'on doit désormais refuser des pièces - généralement de fast-fashion - à contre-cœur. C'est vraiment dommage car on sait que celles-ci finiront dans des bennes de collecte. Pour l'instant, il n'existe pas de solution pour la seconde main de mauvaise qualité», déplore-t-elle.

L'intérêt croissant des grandes enseignes pour la seconde main inquiète Aurélia Joly. «Ces initiatives font concurrence aux petites boutiques. Avec de grandes ressources et un système de logistique efficace, les marques peuvent gérer de gros stocks et leurs sites détournent la clientèle du circuit court local. Si un projet comme La Trame faisait la taille d'un Manor, on pourrait peut-être avoir davantage d'impact, mais à notre échelle, nous représentons plutôt une impulsion, qui ne demande qu'à se développer.» Pour cette designer de mode, les boutiques de seconde main comme La Trame ne représentent pas une solution pour gérer tous les déchets de la fast-fashion. «Nous allons dans la bonne direction, mais on manque de soutien à large échelle.»

Quelles solutions pour une mode plus durable?

Difficile de demander aux consommateur-trice-s d'arrêter de consommer la mode rapide. En effet, pour certain-e-s, c'est l'unique réseau vers lequel se tourner pour acheter des vêtements. Également enseignante au secondaire dans le canton de Vaud, Aurélia Joly est nuancée à propos de la fast-fashion: «c'est illusoire de demander aux personnes de changer leurs comportements. Rien n'interdit à une ado d'acheter sur Shein et des familles n'ont peut-être pas d'autres choix pour habiller leurs enfants que de se rendre chez H&M.»

«J'ai aussi observé que certain-e-s n'aiment pas la seconde main - qui s'est surtout démocratisée dans les milieux bobos, étudiants et plus aisés -, car cela peut rappeler une situation précaire dans laquelle la seconde main n'est pas un choix.»

«Le neuf représente un certain statut et une réussite sociale», souligne-t-elle.

Mais quand on sait que les Suisses sont parmi les plus grand-e-s consommateur-trice-s de vêtements et de chaussures au monde, selon les chiffres relevés dans une étude publiée par l'Université de Genève en 2022, il y a de quoi questionner notre rapport à la mode. «Le vêtement le plus durable est celui qu’on n'achète pas. Le conseil de Public Eye est d’éviter la surconsommation, en fast-fashion, mais aussi en seconde main», propose Géraldine Viret.

«Il faudrait choisir des vêtements de qualité, dont on a besoin et qu'on aime vraiment, complète Valentine Ebner. Il s'agit de chérir et de redonner de la valeur à nos pièces, penser aux personnes qui les ont imaginées et fabriquées.»

En outre, le poids de la durabilité ne repose pas entièrement sur les épaules des consommateur-trice-s. «Il y a des combats politiques à mener, ajoute Géraldine Viret, mais il est compliqué de lutter contre le greenwashing. La Suisse mise principalement sur la responsabilité individuelle et la sensibilisation dans sa stratégie pour le développement durable, explique la porte-parole de Public Eye. Or, quand on voit les problèmes environnementaux et sociaux dus à l'industrie de la mode, il faudrait prendre des dispositions légales. Par exemple, l'Union européenne veut s’attaquer au modèle d’affaires de la fast-fashion et prévoit un devoir de diligence étendu sur les chaînes d’approvisionnement des entreprises.» Des pistes à explorer peut-être davantage sous la Coupole fédérale.

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