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Mon goût pour le voyage et l’humanitaire, je le tiens certainement de ma mère qui a exercé le métier de sage-femme en Afrique. Nous y avons vécu quelques années lorsque j’étais enfant. Aujourd’hui, je suis infirmière anesthésiste, dans une clinique privée en Suisse, et dans le cadre de missions humanitaires. Mon premier mandat avec Médecins sans frontières (MSF) date de 2013, c’était en Haïti. J’ai travaillé pendant trois mois dans un centre de traumatologie et d’obstétrique ouvert suite au tremblement de terre. Là-bas, j’ai appris à être indépendante car, souvent et à l’inverse de ce que j’avais connu en Suisse, je n’étais pas assistée d’un médecin anesthésiste.

Face à de nouvelles tâches, j’ai vécu des situations parfois stressantes

Pour la toute première fois, par exemple, j’ai effectué des anesthésies sur des bébés. J’ai eu la chance d’être soutenue et guidée par des employés locaux expérimentés qui m’ont fait gagner en confiance. Pour ne rien gâcher à la mission, le cadre était agréable: soleil, environnement francophone, logement confortable dans un bungalow. Il paraît que c’est généralement le cas pour un premier mandat. Et pour couronner le tout, j’ai rencontré mon compagnon, logisticien, lui aussi en mission. Quelques mois plus tard, nous repartions ensemble, toujours avec MSF, pour deux missions de six semaines chacune en Afrique, afin de lutter contre le virus Ebola.

Vu l’urgence et à défaut de logements propres à l’organisation, nous vivions dans des hôtels – certains luxueux – désertés par les touristes. Ce cadre douillet tranchait singulièrement avec notre environnement professionnel. Lorsque nous étions en contact avec les malades, nous portions une combinaison protectrice intégrale. Prodiguer des soins sans pouvoir toucher les patients était quelque chose d’absolument nouveau pour moi. Cela n’a pas été facile. Cette tenue était lourde et encombrante, je transpirais, je n’arrivais ni à bouger ni à m’asseoir, mes lunettes étaient couvertes de buée… Avec le recul, je me rends compte que, paradoxalement, je n’ai jamais eu le sentiment d’être aussi proche de mes patients. Isolés, souvent arrachés à leur famille, ces malades étaient infiniment reconnaissants.

Je me souviens d’une petite fille de 7 ans qui semblait se remettre de la maladie. Pour lui faire plaisir, nous l’avions habillée avec une belle robe à fleurs. Soudainement, elle est décédée. J’ai encore dans les yeux l’image de cette fillette que nous avons dû enterrer, dans sa tenue fleurie. C’était intense, psychiquement et physiquement. J’ai touché à tout, de la logistique à la commande de matériel en passant par la pharmacie. J’en suis revenue bouleversée. Jamais je ne m’étais sentie aussi utile.

Ma mission de longue durée en Afghanistan

Nourris de ces expériences, mon amoureux et moi sommes repartis, en 2015, pour six mois en Afghanistan dans une maternité mise sur pied par MSF. Cet hôpital devait combler le besoin en obstétrique du pays et n’intervenir qu’en cas de complications liées à un accouchement. Pour la première fois, j’ai connu la vie en huis clos dans l’enceinte hospitalière. Etre privée de ma liberté, côtoyer toujours les mêmes personnes, ne pas voir au-delà des murs du campement… Cela a été l’épreuve la plus difficile. Heureusement, il y avait une salle de sport dans laquelle je me défoulais. On entendait parfois des explosions ou tirs lointains. Lors de tels événements, un responsable de l’association nous expliquait ce qui s’était passé. Cette transparence m’a sûrement apaisée.


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Le fait que la mission ait été de longue durée m’a permis d’obtenir des résultats qui auraient été impossibles à court terme. J’ai notamment réussi à former deux infirmiers à l’anesthésie et à les intégrer à l’équipe. Je suis fière d’y être arrivée. Ce n’était pas gagné d’avance, dans un hôpital de femmes où les patientes ne peuvent être en contact qu’avec des femmes. Les Afghanes manifestent beaucoup de pudeur, même avec le personnel féminin. J’en ai vu qui venaient accoucher mais n’envisageaient pas de se déshabiller. Le respect, la retenue et la patience ont guidé mon travail. Voilée, comme mes patientes, mais ne parlant pas leur langue, j’ai appris à échanger autrement que par les mots. Ces femmes étaient très tactiles et communiquaient beaucoup par le toucher. Pour nous saluer, nous nous faisions des accolades qui duraient parfois plusieurs minutes. Elles préféraient que nous les prenions en charge plutôt que les hôpitaux nationaux. Il faut dire que les soins et la nourriture proposés étaient gratuits, et de meilleure qualité.

Humainement, l’expérience a quelquefois été rude, car nous devions personnellement refuser l’admission de femmes dont la grossesse ne présentait aucune complication. Comme le marché des drogues est très ouvert dans le pays, des patientes désespérées s’injectaient de l’ocytocine à haute dose pour augmenter leurs contractions. Nous nous retrouvions alors face à de réels problèmes, comme des ruptures utérines dues à la prise de cette hormone. D’autres fois, nous devions expliquer un refus pendant si longtemps que les futures mamans accouchaient sur place. C’est sûr, parfois j’étais fatiguée. Quelquefois triste, ou en colère. Mais peu à peu, j’ai appris à gérer mes émotions, à me blinder face à ces situations.

Etrangement, jamais je n’ai eu peur

Ni au contact des malades d’Ebola ni en Afghanistan. J’ai une confiance totale dans l’organisation. Si toutes les précautions pour notre sécurité ne sont pas réunies, MSF ne prend pas le risque de nous exposer à un danger. Bien sûr, il arrive que mes proches ou amis s’inquiètent, mais je les tiens régulièrement au courant de ce que je vis, par internet ou téléphone. Ils m’ont toujours soutenue. A chaque retour de mission, je ressens le besoin de me poser un moment pour me ressourcer auprès d’eux. Ce mode de vie me correspond. Et j’ai une chance inouïe de pouvoir le partager avec mon amoureux. Pour le moment, je ne m’imagine pas avoir une vie professionnelle exclusivement sédentaire. Aller vers l’inconnu et revenir à mes racines, voilà mon équilibre.

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