témoignages
J’ai quitté la pharma pour le tatouage
Petite, lorsque j’allais au restaurant avec mes parents, ils apportaient des crayons pour m’occuper. Ils pouvaient être tranquilles. J’adorais dessiner. Et j’étais douée! Dessiner, c’est avant tout savoir observer le monde qui nous entoure, les couleurs, les formes, les proportions. Mais pour mes parents, l’art ne faisait pas un métier. Ils n’avaient pas eu les moyens d’étudier et voulaient pour moi le meilleur. Aller à l’université était le gage d’avoir un bon salaire. Alors, maturité en poche, j’ai cherché une voie qui ne soit pas «capitaliste». L’argent ne m’attirait pas, je voulais découvrir la nature et l’être humain.
J’ai choisi la Faculté de biologie, à Lausanne: dérivées, intégrales, grandes molécules… quelle galère au début! Face à la charge de travail, j’ai délaissé le dessin. Après quatre ans de biologie, j’ai poursuivi par une année de médecine avec une spécialisation en neurosciences ainsi qu’un master en gynécologie sur le cancer du col de l’utérus. Ma voisine, qui était comme une deuxième maman, en était décédée. Je me disais que nous pourrions sauver des vies par la recherche. Après mes études, j’ai effectué un remplacement de quatre mois comme laborantine, sans aucun aspect de recherche. Je m’ennuyais. J’ai alors décroché un job dans le secteur des essais cliniques. Je travaillais avec des médecins et des patients cobayes pour commercialiser en Europe des appareils médicaux américains. Deux ans plus tard, je suis passée du côté commercial: vendre des dispositifs médicaux, défendre mes prix, réduire mes marges… moi qui détestais le capitalisme, j’étais servie! Pour m’évader, j’ai recommencé à dessiner. Je gagnais bien ma vie mais je n’étais pas heureuse, je ne trouvais aucun sens à mon travail. A 35 ans, après huit ans à ce poste, j’ai tout plaqué. Je ne savais pas quoi faire, mais il fallait que je me pose, que je fasse le point.
Le conseil d’amis motards
Des amis motards me suggèrent alors de me lancer dans le tatouage. Je sais dessiner, j’aime le contact avec les gens, j’adore les tatouages (j’en suis recouverte). Pour eux, c’était évident, mais moi, je faisais un blocage: dessiner n’est pas tatouer. Par ailleurs, je n’avais pas spécialement envie de piquer des gens, l’aspect définitif me stressait, tout comme le fait de ne pas avoir droit à l’erreur, bref… j’avais peur! Cela me semble stupide aujourd’hui, mais pendant des mois, j’ai écarté cette option. Or, pourquoi m’entêter à chercher ailleurs? L’idée de devenir tatoueuse a fait son chemin jusqu’à être une évidence. Je me suis rendue dans une convention de tatouage pour y acheter deux machines. J’ai rappelé ma clique de motards en leur demandant de me prêter leur peau. Pas craintifs pour un sou et déjà couverts de motifs, ils ont accepté. Tatouer des proches m’a mise en confiance. Je n’ai pas tremblé et j’ai réalisé une vingtaine de tatouages. Même s’ils n’étaient pas parfaits, aucun n’était raté.
Mon book sous le bras, j’ai cherché une formation dans un studio. J’ai eu la chance de tomber sur un tatoueur expérimenté qui m’a fait confiance et m’a laissé beaucoup de liberté. Il était disponible pour répondre à mes questions ou m’aider quand je n’étais pas sûre de moi. J’avais plus de pression à tatouer de vrais clients que mes amis, mais me savoir épaulée par un professionnel m’a rassurée. J’ai rapidement progressé et pu me lancer à mon compte après un an environ.
Je prends mon temps pour réaliser les tatouages
Le tatouage est quelque chose de personnel, voire intime. Souvent, le client entend marquer un événement de sa vie, parfois une blessure. L’acte est rarement anodin. Tristesse, joie, colère, amour… les gens viennent avec leurs émotions. Il faut pouvoir les écouter et les comprendre pour retranscrire leurs sentiments à travers le motif souhaité. La dimension humaine est incroyable. Chacun a une histoire différente, chaque dessin est unique. Ce métier nécessite de la bienveillance.
En général, je ne fais qu’un tatouage par jour car je veux me donner à fond dans chaque projet. Si j’augmentais la cadence, ce serait au détriment de la qualité, je m’imprégnerais moins des gens. Or, j’adore passer du temps avec mes clients, comprendre ce qui les amène à marquer leur peau. Et puis, leur sourire quand ils découvrent leur tatouage dans le miroir, leurs yeux qui brillent… c’est une récompense inestimable. Récemment, une cliente qui avait vécu des épreuves personnelles difficiles m’a demandé de lui tatouer un loup. Le regard de l’animal, perçant et profond, sur sa peau est d’une force incroyable. Réussir à transmettre toutes sortes d’émotions, c’est mon challenge au quotidien.
Un conte de fées
Mes parents n’ont pas sauté de joie lorsque je leur ai annoncé que je me lançais dans le tatouage. J’avais une carrière, une vie confortable, pourquoi opter pour une activité artistique? En plus, dans leur esprit, seuls les marginaux se tatouaient. Je me souviens encore de leur tête horrifiée en voyant mon premier tatouage. Avec le temps, ils se sont intéressés à cet art et sont désormais mes plus grands fans. Ils n’hésitent pas à parler de moi et à donner ma carte de visite dès qu’ils en ont l’occasion. Ils sont fiers et heureux de me voir enfin épanouie. J’ai la chance d’avoir une grande liberté dans mon travail. Je tatoue plutôt en fin de journée, tandis que je dessine mes projets tard le soir et une partie de la nuit. Je dors peu, parfois. En fin de matinée, je monte à cheval, un animal qui a toujours été présent dans ma vie. Enfant, j’ai commencé par dessiner des chevaux et j’adore être à leur contact, sentir des émotions pures, sans mensonge ni superficialité.
Je vis certes un peu en décalage, mais je ne fais que ce qui me plaît. Depuis que je suis tatoueuse, je n’ai plus remis en question mon choix professionnel. Je suis libérée de ce poids et je crois que si l’on veut réussir dans un domaine, il faut y aller à fond. Avoir une formation et être sur des rails, cela n’empêche pas de pouvoir changer de voie. L’essentiel, c’est d’oser.
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