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Epileptique, j’ai appris à maîtriser mes émotions

Femina 38 Temoin Epilepsie C Corinne Sporrer

Il m’arrive d’être triste ou en colère. Mais je ne me laisse plus envahir.

D’un coup, je suis tombée au sol. Puis, le trou noir. Quand j’ouvre les yeux, c’est la panique autour de moi. Du haut de mes 12 ans, je saisis que l’instant est grave, sans comprendre pourquoi. Je sais à peine mon prénom. Que s’est-il passé? Où suis-je? Je suis éveillée mais absente. Ma mère est appelée en urgence. Mes camarades de classe et ma professeure racontent la scène qui s’est déroulée sous leurs yeux. J’ai eu plusieurs convulsions, les membres raides et je bavais.

Suspectée de se droguer

A l’hôpital, une série de tests ont permis de mettre un mot sur mon mal: l’épilepsie. Ma mère était dévastée. Moi, je ne mesurais pas l’ampleur de la chose. On m’a prescrit un traitement, la Depakine, à prendre matin et soir… pour le restant de ma vie. Mais, malgré les médicaments, les crises étaient fréquentes. Avec le recul, j’ai remarqué qu’elles survenaient toujours dans les mêmes circonstances: pendant le cours de comptabilité. J’étais nulle dans cette branche et l’enseignante me faisait peur. Elle était grande, robuste, encourageante avec les meilleurs et sévère avec les plus faibles. Moi, j’étais une fillette émotive, peu sûre de moi, celle que l’on prenait toujours en dernier dans son équipe à la gym. Je me sentais rejetée. Les crises d’épilepsie récurrentes n’aidaient pas à mon intégration…

Une fois, le directeur de l’école a convoqué ma mère car il me suspectait de prendre de l’ecstasy. Je ne savais même pas ce que c’était. Aucun adulte ne faisait le lien entre mes crises et le cours de comptabilité. Moi non plus, à l’époque. Il m’a fallu une dizaine d’années pour comprendre que mes crises étaient émotionnelles. Je perdais le contrôle en situation de stress. Ma mère ne supportait pas l’idée que je sois malade. Il fallait «me soigner», trouver une alternative aux médicaments. J’ai consulté plusieurs médecins et thérapeutes tels que psychologue, acupuncteur ou naturopathe. Je crois que je n’avais pas envie de guérir. Grâce aux crises, on s’occupait de moi. C’était mon moteur, inconsciemment, et un cercle vicieux à la fois.

Exister dans les extrêmes

En grandissant, les choses ont empiré. Au travail, je subissais du mobbing. Lorsque quelque chose de bien m’arrivait, j’étais euphorique. Face à une situation difficile, j’étais au fond du gouffre. Je vivais les émotions à l’extrême. Elles me géraient. J’avais 29 ans lorsqu’un psychiatre m’a mise sous antidépresseurs. Je me suis sentie plus mal que jamais. J’ai écrit un message de rupture à mon copain. Puis, j’ai décidé de mettre fin à mes jours. Ne parvenant pas à me joindre, mon petit ami a alerté les secours. Cela a été un tournant dans ma vie. Cet électrochoc, je le dois à l’un des médecins de l’hôpital qui m’a confirmé que ce que je vivais n’était «pas normal». Je ne l’ai vu qu’une fois. En comprenant ma souffrance, il m’a permis de renaître. Avant, j’avais l’impression que je ne vivais pas. J’étais comme anesthésiée.

Une fois sortie de l’hôpital, je me suis prise en main. J’ai changé d’emploi et j’ai entrepris un travail de développement personnel via la kinésiologie. Cette thérapie basée sur la médecine chinoise consiste à lutter contre les tensions par des pressions et des mouvements sur le corps. Par le relâchement du tonus musculaire, on peut comprendre les blocages, car le physique, le moral et l’émotionnel sont intimement liés. J’ai pu appréhender mes crises d’épilepsie et travailler sur la gestion de mes émotions pour trouver une harmonie. Après quelques séances, j’ai ressenti un tel bien-être. La kinésiologie a été une révélation. Une vocation même. A l’époque, je ne me reconnaissais pas dans mon métier d’employée de commerce. Je souhaitais aider les autres. Etre thérapeute, c’est écouter, être dans l’empathie, ne pas juger. J’avais trouvé un but à ma vie. A 31 ans, en cours d’emploi, j’ai donc entamé une formation pour devenir kinésiologue.

Le désir d’enfant comme dépassement de soi

Un jour, j’ai vu un reportage au sujet de certains médicaments et de leurs effets néfastes sur les fœtus. Je ne me souviens pas des médicaments en question mais cela m’a marquée. Moi qui ai toujours voulu des enfants, je n’envisageais pas de mettre en danger mon bébé. Du coup, lorsque mon compagnon et moi avons décidé d’en avoir un, j’ai parlé à ma neurologue de mon souhait d’arrêter mon traitement. J’avais 34 ans et n’avais plus fait de crises depuis des années. J’étais prête. Mais elle m’a assuré qu’il n’y avait aucun risque pour l’enfant. Comme je n’ai pas été entendue, je suis allée voir un autre spécialiste. Il m’a fait confiance et a accepté de me suivre dans cette démarche. Ce neurologue savait que je n’allais pas outrepasser ses conseils, ni lui cacher une éventuelle crise.

A la suite de l’arrêt complet de mon traitement, je suis tombée enceinte. Ma grossesse s’est bien passée, sans crise. Ma petite est née en juin 2015. Mon diplôme de kinésiologue en poche, j’ai ouvert un cabinet à Lausanne peu après. Début 2016, j’attendais déjà mon deuxième enfant. Au même moment, j’ai découvert à la télévision qu’un scandale avait éclaté en France au sujet de la prise de Depakine pendant la grossesse. Plusieurs familles ont poursuivi le laboratoire qui commercialise le médicament suite à des malformations et des troubles autistiques chez des enfants de mères épileptiques sous traitement. Quel choc! Bien sûr, je ne saurai jamais ce qui serait arrivé à mes filles si j’avais continué à prendre ces pilules. Mais je suis fière de m’être écoutée. Ce bonheur, je le dois aussi à mon neurologue. Il est important de ne pas agir seul ni d’aller à l’encontre d’un avis médical. Chaque cas est différent et doit être traité selon ses spécificités. Je ne suis pas à l’abri de faire une nouvelle crise, car on ne guérit pas de cette maladie. Malgré cela, je regarde l’avenir sereinement. Maman comblée, épanouie dans mon travail, je suis la preuve vivante que l’on peut s’en sortir même après avoir été au plus bas. Certes, je ne contrôle pas tout et il m’arrive d’être triste ou en colère. Mais je ne me laisse plus envahir. Avec le temps, c’est devenu une question d’équilibre.


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