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«Love bombing», «gaslighting»: Lexique de manipulation amoureuse
On voit apparaître ces mots de temps à autre lorsqu'on scrolle sur Instagram: «love bombing», «gaslighting», «breadcrumbing», «cookie jarring», «therapy baiting», «feminist fishing», ces pratiques relationnelles ou de drague aux terminologies anglophones consistent en des actes de manipulation psychologique, que l'on en soit conscient-e ou non.
Afin d'expliquer en quoi il peut s'agir de comportements problématiques et comment repérer ceux-ci, nous avons demandé conseil à la psychologue et sexologue clinicienne Romy Siegrist, autrice de nos chroniques sexe. «Je trouve intéressant que ces mécanismes, qui peuvent créer de l’emprise et faire partie du cycle des violences (dans une situation de couple, un cercle vicieux en quatre phases: tension, explosion, regrets et culpabilisation et «lune de miel», plus d'informations auprès de Violence que faire?, ndlr.), soient visibilisés, explique la thérapeute basée à Lausanne. Cela permet de faire de la prévention auprès des internautes, mais aussi de pouvoir mettre des mots sur une situation vécue.»
D'après elle, notre manière de séduire, à travers les applications de rencontre notamment, favorise certains comportements de manipulation. Romy Siegrist souligne en outre que ces différents phénomènes peuvent coexister ou s'articuler dans le temps.
1. Love bombing
Comment le repérer? Il s'agit du fait de «bombarder» une personne de marques d'affection très tôt dans la relation, par des actes, des messages ou des grandes promesses.
Pourquoi c'est problématique? «La personne qui reçoit ces marques d'affection intenses peut percevoir un décalage entre les déclarations d'amour et ce que l'autre connaît vraiment à son propos, note la psychologue. Ce n'est pas négatif d'être enthousiaste au début d'une relation, pondère-t-elle. Il est en effet important de montrer à l'autre ce qu'on aime chez lui ou elle et dans la relation qu'on partage, sans oublier la réalité pour autant. Le love bombing vise à nourrir le narcissisme de l’autre et créer un goût de "reviens-y".»
D'après la psychologue, le love bombing résonne avec l'idéalisation de l'histoire d'amour et, ainsi, participe à faire baisser certaines vigilances. «Notons que dans les relations où la violence s'installe, les victimes témoignent souvent que, au début, elles se sentaient "comme dans un conte de fée". Nous sommes bercé-e-s par ces grandes histoires, l'amour avec un grand A, par la passion, l'urgence, l'intensité. Mais cela peut être destructeur.»
2. Gaslighting
Comment le repérer? «Le gaslighting (enfumage, en français, ndlr.) est un mécanisme de minimisation du vécu de l'autre: on invalide ses émotions, son ressenti et sa vision des faits, explique Romy Siegrist. Les signes à guetter chez l'auteur-e sont un non accueil de son vécu et un manque de responsabilisation concernant ce qu'il se passe dans la relation. Par exemple dire "c'est ton problème si tu le prends ainsi, mon intention était bonne" ou “tu exagères”.» Le gaslighting fonctionne plus facilement dans une relation lorsqu'un attachement s'est déjà formé et que d’autres formes de manipulation sont à l'œuvre, comme du love bombing.
Pourquoi c'est problématique? «C'est une démarche autocentrée qui ne se préoccupe pas des ressentis de l'autre et vise à imposer sa vision des faits, créant ainsi une dynamique de pouvoir, voire de contrôle, poursuit la thérapeute. Par exemple, ce mécanisme risque de prendre au piège une personne qui vit de l’anxiété, ayant une faible estime d'elle-même et se remettant facilement en question. Il y aurait là un terrain fertile. La personne qui pratique le gaslighting ne se sent pas responsable de ce qui provoque les émotions de l'autre. Certes, on n'est pas responsable de l'intensité de celles-ci, mais on ne peut se déresponsabiliser complètement des conséquences relationnelles de nos actes.»
3. Breadcrumbing
Comment le repérer? Le breadcrumbing, ou la méthode dite des miettes de pain, consiste à accorder des marques d'affection - parfois de type love bombing - juste assez régulières pour donner envie à l'autre de s'engager dans l'échange amoureux, mais sans vraiment nourrir la relation. «Les signes sont un manque de consistance dans les échanges, dans les contenus de ceux-ci et dans la temporalité», remarque Romy Siegrist.
Pourquoi c'est problématique? «Le breadcrumbing nourrit une forme de dépendance, donnant parfois l’envie de "prouver que l’on vaut la peine". Cela crée une souffrance, une insatisfaction chez l'autre, et peut épuiser puisqu’il y a un déséquilibre dans l’énergie infusée à la relation.» Ce phénomène peut être renforcé par nos modes de vie, où nos agendas à toutes et tous sont chargés. «Il y a le facteur réalité à prendre en compte, souligne l'experte: quelle place, quelle énergie et quel temps donner à cette relation?» Si les personnes sont d'accord de ne pas nourrir davantage la relation - de se contenter de «miettes» -, on ne parlera pas de breadcrumbing, puisque les parties sont d'accord sur ce fonctionnement.
4. Cookie jarring
Comment le repérer? Proche du breadcrumbing, le cookie jarring (que l'on peut traduire en français par bocal à cookies) consiste à garder une personne sous le coude en attendant de trouver mieux. On repère le phénomène lorsque l'auteur-e propose ou annule des rendez-vous à la dernière minute, par exemple.
Pourquoi c'est problématique? «Ces relations peuvent être des "plans cul" pas conscientisés, précise Romy Siegrist, ce qui peut empêcher l’autre de s’investir dans la relation. Encore une fois, c'est ok d’avoir ou d'être un "cookie", le problème survient lorsqu'il y a un décalage entre les attentes de chacun-e et que l'exclusivité (ou non) de la relation n'est pas mise au claire.»
5. Therapy baiting
Comment le repérer? Dans le therapy baiting, ou l'appât à travers la thérapie, une personne va valoriser, auprès d'une autre, le fait qu'elle est (ou a été) dans un processus de développement personnel ou thérapeutique.
Pourquoi c'est problématique? «Le therapy baiting peut créer un sentiment de sécurité faussé. Cela fait sens parfois de partager son parcours thérapeutique, mais ce travail sert à se sentir bien, non pas à se faire bien voir et à éviter la remise en question», explique Romy Siegrist. Notre experte souligne qu'il s'agit principalement d'une pratique utilisée par des hommes pour attirer des femmes. «Il est encore peu courant de voir des hommes se montrer vulnérables et demander de l'aide, car ce n'est pas complètement accepté socialement, souligne-t-elle. Un homme qui a suivi une thérapie peut se donner l'air "rare", et ainsi faire miroiter à l'autre qu’il y aura moins de travail émotionnel à mener dans la relation.» La psychologue complète: «Nos évolutions sont en spirales, on n'a jamais complètement terminé un développement personnel. Donc attention au red flag (signe qui doit alerter, ndlr.) lorsqu'une personne affirme avoir tout compris d'elle-même.»
6. Feminist fishing
Comment le repérer? «Ce sont des hommes cisgenres (principalement) qui vont par exemple citer des autrices et des podcasts féministes, intégrer des cercles militants et se définir comme alliés, cela pour séduire», éclaire Romy Siegrist. Les personnes pratiquant le feminist fishing, soit littéralement la pêche à la féministe, vont mettre en avant leur travail de déconstruction de représentations sociales de genre, mais c'est une façade.
Pourquoi c'est problématique? «Affirmer que l'on est une personne déconstruite peut créer un faux sentiment de sécurité et ainsi évacuer des questions de consentement, précise la psychologue. Il y a l'idée reçue que les féministes sont plus libérées, ouvertes sur les questions de sexualité et aux relations non exclusives: relationner avec elles peut paraître attrayant. Au sein des manifs du 14 juin, on a pu lire des pancartes «Mon violeur est à la grève»… Le problème avec le feminist fishing est que cette prise de conscience intellectuelle des enjeux féministes n'est pas réellement mise en pratique et que des violences subsistent.»
Comment réagir en tant que personne confrontée?
Alors comment s'en sortir si l'on est confronté-e à l'une ou l'autre de ces situations avec un-e partenaire? D'après Romy Siegrist, échanger avec des proches à propos des rencontres et des échanges amoureux est primordial pour repérer les problèmes. Surtout, ne pas s'isoler et oser partager ses malaises. «Il est d'autant plus important de parler à son entourage de ses dates si l'on a déjà été confronté-e à une situation d'emprise, car la situation risque de se répéter».
La psychologue conseille également de se laisser du temps et un espace de réflexion lorsqu'on rencontre quelqu'un, afin de ne pas précipiter les choses. Puis, de s'axer sur les faits, si nécessaire de tenir un journal de bord pour consigner les sensations et les situations négatives qu'on a tendance à oublier. Enfin si une éventuelle manipulation a été repérée, elle propose de vérifier s'il y a une régularité dans les comportements toxiques, d'en parler avec l'auteur-e pour clarifier la situation et éventuellement de se donner un délai pour percevoir les changements et refaire un point sur la relation.
Et que faire si l'on est auteur-e de manipulations?
Il est possible d'avoir un comportement problématique, de créer un mécanisme d'emprise et de dépendance inconsciemment. Les conseils de l'experte pour enrayer ces pratiques? Se donner du temps pour réfléchir à comment on contacte les personnes avec qui l'on relationne, comment on nourrit ces relations et ce qui pousse à agir ainsi. Si l'auteur-e répète ces pratiques, qu'il ou elle considère suivre une thérapie. «Il est également important de différencier la bienveillance de la non malfaisance, insiste Romy Siegrist. Au lieu de penser à la place de l'autre et agir sans lui demander son avis en supposant le faire dans son intérêt, on devrait plutôt penser à l'autre et être à l'écoute de ses émotions, demander quels sont ses besoins, envies et limites, afin de ne pas devenir maltraitant-e malgré soi.»
Besoin d'aide? En cas de violences psychologiques dans une relation, vous pouvez consulter le site Violences que faire?.