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La crise du quart de vie, nouveau passage
«Pourquoi la fin de la vingtaine est le pire moment de votre existence», titrait récemment la Harvard Business Review. Une provocation? Peut-être pas. On imaginait cette période comme une sorte d’âge d’or, que les ados s’impatientent d’atteindre et que les adultes dans la maturité regrettent avec nostalgie. Pourtant, aujourd’hui, tout n’est pas qu’amour, gloire et beauté au royaume de la vingtaine.
Des turbulences rendent ce passage particulièrement délicat à négocier pour les jeunes, à tel point que nombre d’entre eux expérimentent une véritable crise existentielle. Ici, pas d’achat compulsif de coupé sport rouge ou de divorce pour emménager avec un ou une partenaire ayant la moitié de son âge. Contrairement à la crise de la quarantaine, ou crise de la moitié de vie, la crise du quart de vie, autrement dit celle des 25 ans, est moins radicale et spectaculaire car davantage subie en silence. Toutefois, elle est tout aussi répandue.
Transition difficile
Selon les travaux du psychologue Oliver Robinson, professeur à l’Université de Greenwich, 70% des Britanniques entre 25 et 33 ans auraient vécu cette crise. Aux Etats-Unis, près de la moitié des twentysomething confient l’avoir traversée, révèle une enquête de l’institut The Harris Poll. Un nombre grandissant de chercheurs se penchent d’ailleurs sur ce passage. Et pour cause, il serait de plus en plus fréquent dans les pays occidentaux.
La proportion des 25-33 ans vivant cette crise est maintenant deux fois plus importante que dans la génération de leurs parents, note le professeur Robinson dans une nouvelle étude. L’actualité du phénomène est d’ailleurs palpable. Ainsi, l’humoriste anglaise Taylor Tomlinson vient-elle de débarquer sur Netflix avec un stand-up intitulé Quarter-Life Crisis, la sienne, qu’elle raconte avec mordant et lucidité.
Moment d'introspection
Reste qu’en général, la crise du quart de vie n’inspire pas forcément l’envie de rigoler. La plupart des jeunes pris dans ses tourments oscillent entre stress intense et épuisante quête de soi, selon les spécialistes. Mais qu’est-ce qui met tant de vingtenaires en difficulté?
Dans certains cas, on se rend compte qu’on suivait davantage la feuille de route rêvée par les parents que la sienne. Une impression devenue soudain évidente pour Laetitia, 28 ans: «On m’a toujours dit que j’étais brillante en sciences et que je devais exploiter à fond mon potentiel. J’ai suivi cette vision des choses et me suis inscrite en doctorat, car j’étais censée aller le plus loin possible. J’ai achevé ma thèse dans les larmes et la souffrance, ne comprenant pas pourquoi je faisais tout ça. Après mon diplôme, j’ai passé un an repliée sur moi-même à ne pas savoir quoi faire, le monde de la recherche ne m’attirant pas. J’ai fini par faire ce qui me semblait depuis longtemps le plus proche de mes envies: enseigner en secondaire. Depuis, je suis enfin heureuse et épanouie en dépit des difficultés du métier.»
Passage plus escarpé
Savoir qui on est et n’est pas, ce qu’on veut faire et ne pas faire. Une métaphysique quotidienne plutôt encombrante quand on a 25 ans, avec toute l’énergie et la liberté de la jeunesse pour avancer. Surtout quand, autour de soi, le paysage familier se met à disparaître.
Nouvelle étape de vie
Avant, c’était plus simple? Peut-être. La crise du quart de vie a probablement toujours existé, mais elle semblait plus rare et survenir plus tôt. C’est du moins ce que laissent penser les travaux du célèbre psychologue Erik Erikson, qui, dans les années 50, avait identifié cette phase de transition complexe entre les âges de 12 et 18 ans. «Aujourd’hui, la période d’insertion menant au statut d’adulte semble s’être retardée et également rallongée, remarque Dario Spini, professeur de psychologie sociale à l’Université de Lausanne. Cela ne fait pas si longtemps que les chercheurs considèrent la transition entre l’adolescence et la maturité comme une étape de l’existence à part entière.»
D’autant plus que le chemin menant à la vie adulte n’est actuellement pas un long fleuve tranquille, ajoute le psychologue: «Il y a trente ou quarante ans, les marqueurs d’une bonne insertion dans la société étaient peu nombreux et faciles à identifier: trouver un travail, quitter le nid parental, fonder sa propre famille, être dans les normes. Désormais, ces marqueurs ne sont plus si évidents. Ils peuvent survenir plus tard ou ne jamais se produire, parfois remplacés par d’autres voies potentielles.»
Trop de choix
En d’autres termes, les twentysomething ont devant eux une amplitude de choix dont ne disposaient pas leurs aînés et ça, c’est aussi enthousiasmant que terriblement angoissant. «Le champ des possibles s’est en effet élargi par rapport aux générations précédentes dont le parcours modèle était tout tracé, confirme Caroline Henchoz. Aujourd’hui, on peut être beaucoup plus de choses, mais le revers de cette liberté, c’est qu’il faut choisir, qu’il faut tout construire soi-même, ce qui a un poids mental et aussi économique conséquent. Il y a là quelque chose de très éprouvant. Des études en psychologie montrent bien qu’avoir à choisir parmi cinquante options est bien plus fatigant qu’opérer un choix entre deux seulement.»
C’est d’ailleurs là un des paradoxes nourrissant la crise du quart de vie: une liberté plus grande en théorie mais, dans la réalité, un renforcement de l’injonction à réussir sa vie, façon entrepreneur de soi. «En cas d’échec ou de voie sans issue, c’est l’individu seul qui porte la responsabilité de ses erreurs, note la sociologue de l’Université de Fribourg. Penser qu’on est seul fautif de ses errances a évidemment une dimension très anxiogène, mais cette logique individualiste caricature les choses. Dans les faits il n’y a pas que des gens de bonne ou de mauvaise volonté, puisque nombre de facteurs extérieurs entrent en jeu.» Comme le fait de pouvoir avoir confiance en l’avenir. Et là, ce n’est pas gagné non plus.
Rebond à la clef
Déjà habitués à évoluer sous le spectre inquiétant de la crise économique depuis 2008, les vingtenaires savent désormais qu’ils vont aussi devoir affronter les retombées de la coronacrise sur le marché de l’emploi cette année, sous un horizon qui avant le virus n’était déjà guère joyeux.
Trouver une place
Germain, 24 ans, connaît bien ce goût amer d’un futur qui se dérobe en permanence sous ses pieds. «J’ai fait deux formations et je ne trouve aucun boulot depuis. La première était pourtant présentée comme porteuse il y a quelques années, mais le marché du travail semble avoir changé d’avis. La seconde a débouché sur une réussite à un concours fédéral, mais le quota de nouveaux postes ouverts a été gelé et on m’a demandé de postuler dans deux ans. En attendant, je suis prêt à faire n’importe quoi, mais même les petits jobs sont fermés aux chômeurs comme moi, on me dit qu’ils les réservent aux étudiants.»
En 2020, Balzac imaginerait-il un Rastignac ivre d’ambition certain de conquérir Paris au cri de: «A nous deux maintenant»? Pas sûr. L’écrivain dépeindrait peut-être plus volontiers un jeune qui doute, qui se cherche, car la crise de la vingtaine favorise plutôt le manque d’estime de soi, l’anxiété, le stress, l’épuisement. Selon l’Université du Texas, l’âge moyen de la première dépression est ainsi passé de 50 ans à 25 ans en l’espace de trois décennies. Cela coïncide étrangement avec l’âge moyen de la crise du quart de vie, estimé à 26 ans par le professeur Oliver Robinson.
Un ralentissement productif
Pourtant, tout n’est pas sombre dans ce tableau, affirme Robert Neuburger, qui nous invite à regarder le concept de crise sous un autre angle: «On en fait souvent un mot négatif. Or, cela ne décrit qu’un état intermédiaire entre un passé qui n’existe plus et un avenir qui n’est pas encore né. La crise est plutôt bénéfique, car elle débouche souvent sur du meilleur.» D’ailleurs, à en croire les enquêtes d’Oliver Robinson, 80% des 25-33 ans ayant vécu une telle phase trouvent qu’elle a été une expérience positive, permettant un recentrage sur les valeurs profondes, les idéaux et, au fond, une meilleure harmonie entre ce qu’on désire être et ce que le monde attend de nous.
Un dernier message d’espoir? La crise de la vingtaine semble donner une certaine immunité… contre celle du milieu de vie. Les individus qui se sont bien trouvés à 30 ans éviteront ainsi probablement de perdre une petite fortune pour acquérir ce bolide de 300 chevaux au tournant de la quarantaine.
Une crise en 5 phases
La prise de conscience. Un sentiment d’insatisfaction et de malaise devient omniprésent, avec l’impression de ne pas être à sa place ou de ne pouvoir exploiter son potentiel. La crise du quart de vie aurait d’ailleurs plusieurs versions: la locked-in, celle des personnes bloquées par un frein intérieur ou relationnel, et la locked-out, celle qui donne la sensation que le monde est contre soi et qu’on ne cesse de jouer de malchance.
L’envie d’agir. Une énergie et une volonté se font pressantes pour changer les choses dans sa vie. On sent qu’une petite révolution personnelle est nécessaire pour sortir du cercle vicieux.
Le passage à l’acte. On opère une cassure avec un ou des éléments du passé: se réorienter professionnellement, s’éloigner d’une relation amoureuse devenue oppressante, reconfigurer ses rapports aux autres…
La reconstruction. L’individu va progressivement restructurer son paysage mental et quotidien pour installer la nouvelle donne. Il s’agit d’une nécessaire période d’adaptation et de réajustements.
Le nouveau départ. Le travail réalisé pour surmonter cette crise existentielle a porté ses fruits et on se sent revenu à soi, plus serein, avec le sentiment d’avoir effacé le décalage entre ses aspirations et la réalité. En moyenne, le processus complet d’une telle crise dure 11 mois, à en croire une étude anglaise.
Les commandements pour bien traverser une crise du quart de vie, selon Forbes:
Essayer d’agir en cohérence avec notre vision du monde.
Arrêter de vouloir toujours faire plaisir aux autres.
Ecouter son instinct et sa petite voix intérieure.
Laisser s’exprimer des facettes inconnues de notre personnalité et de notre identité en osant les nouvelles expériences.
Exploiter ses ressources mentales et sa colère pour avancer.