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Scientifiquement prouvé

Caractère: tel bébé, tel adulte

Caractère: tel bébé, tel adulte

50% de la personnalité d'un adulte est définie ds son plus jeune âge, selon Daniel Schechter, psychiatre de l'enfant et de l'adolescent au CHUV.

© Priscilla Du Preez / Unsplash

L’enfant que nous avons été est bien moins loin qu’on l’imagine. La preuve? Notre caractère étant bambin diffère finalement assez peu de celui que nous manifestons une fois adulte. C’est en tout cas le constat d’une étude menée aux États-Unis. Selon les chercheurs, la personnalité détectée chez un nourrisson se retrouve très souvent chez l’individu ayant atteint la vingtaine; une continuité étonnante dans le temps qu’ont cependant déjà ressenti nombre de parents.

«Ma fille Émilie a manifesté un caractère bien à elle dès ses premiers mois, se souvient Véronique, 48 ans. Elle était un bébé extrêmement calme et facile, toujours souriant, mais avec une sorte de détermination pouvant lui inspirer des colères très ponctuelles lorsqu’on la contrariait.»

«Sa maman de jour a ainsi dû gérer une crise impressionnante la première fois qu’elle l’a accueillie chez elle, même si après plusieurs années à la côtoyer, elle reconnaît que c’était l’enfant le plus tranquille dont elle ait eu à s’occuper. À maintenant 22 ans, Émilie a gardé une personnalité proche. Elle est constante, douce, mais néanmoins capable d’être affirmée et audacieuse pour défendre quelque chose.»

Après plusieurs décennies de recherches sur le sujet, les scientifiques n’arrivent pas encore tout à fait à s’accorder sur la proportion moyenne du caractère du bébé qui se retrouverait chez l’individu devenu majeur. «Toutefois, au moins 50% de la personnalité d’un adulte s’est déjà formée dans la toute première phase de sa vie, avance Daniel Schechter, médecin adjoint au Service universitaire de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent, au CHUV. On se trouve toujours en face de la même personne, qui va juste se développer avec de plus en plus de complexité au fur et à mesure qu’elle progresse vers l’âge adulte.»

Héritage génétique

On pourrait penser que la personnalité se construit essentiellement par l’expérience en partant d’une base commune à tous. Ne dit-on pas, d’ailleurs, qu’un caractère se forge? Pourtant, à peine a-t-il poussé son premier cri que bébé dispose déjà d’une personnalité propre. «Nous naissons en effet avec un certain bagage inné en termes de traits de caractère, une sorte de pré-câblage qui s’avère unique pour chaque individu», confirme Marie Schneider, cheffe de clinique au Service de psychiatrie de l’enfant et de l’adolescent aux Hôpitaux universitaires de Genève. Une partie de ce jeu de cartes originel est, encore assez mystérieusement, conditionnée par l’héritage génétique, qui construit une architecture neuronale et cérébrale propre, mais pas seulement. Même avant toute interaction physique directe avec le monde extérieur, le bébé a été affecté dans sa formation par des forces indépendantes des gènes de ses géniteurs.

«À travers le ventre de la mère, le fœtus a déjà été influencé par son environnement, avec des éléments tels que le climat familial, le rythme de vie et le ressenti du couple, les hormones du stress, détaille Daniel Schechter. Son positionnement dans l’utérus semble également jouer un rôle. Tous ces aspects biologiques concourent donc, parallèlement au patrimoine génétique, à constituer une personnalité dès la naissance.» Grâce à ces apports, il est ainsi possible, dès le premier mois de vie, «de mener une évaluation des tempéraments dominants», ajoute le psychiatre du CHUV.

Cette base de personnalité prédéfinie peut expliquer en partie pourquoi les membres d’une même fratrie sont parfois si radicalement différents, même à un très bas âge, alors que l’éducation prodiguée par les parents est a priori similaire. Jeune maman de 31 ans, Jessica a été vite frappée par le côté pôles opposés de ses deux petits garçons, nés à deux ans d’écart: «Mon premier, Amaury, était un bébé très agité, plein de vie, très à l’aise avec les autres adultes, et faisant des nuits assez rock and roll. En revanche, Siméon, mon second, m’a donné un tout autre aperçu de ce que peut être un nourrisson, plus calme, plus exclusif aussi, et dormant bien jusqu’au petit matin. Quelques années plus tard, ces profils presque contraires se remarquent toujours.»

Une malléabilité relative

Reste que le potentiel de personnalité présent dès le berceau ne va pas demeurer figé. Il est invité à évoluer, à se laisser influencer par l’environnement. «Le simple fait d’être l’aîné ou le second dans une famille peut suffire à modeler les tempéraments de l’enfant, observe Vincent Quartier, maître d’enseignement et de recherche et psychologue spécialiste de l’enfant et de l’adolescent à l’Université de Lausanne (UNIL). Les interactions quotidiennes avec un grand frère, par exemple, constituent une stimulation spéciale par rapport à un premier qui serait d’abord seul à la maison pendant plusieurs années.» Sans parler des interactions avec les parents, la famille, l’école, les amis, les attentes formulées par les proches… ou encore des événements, comme le décès d’un proche, un déménagement, une séparation des parents, dont la perception par l’enfant peut parfois être importante selon sa manière de lire, de vivre et de ressentir les choses.

«Les cinq premières années sont particulièrement formatrices et exercent une puissante influence sur ce qu’on retrouvera plus tard dans la personnalité», fait remarquer Daniel Schechter.

Ainsi, à en croire les études scientifiques les plus récentes sur la question, la part de la personnalité innée serait d’environ 40%, contre 60% de part façonnée par les expériences et l’environnement. Évidemment, comme souvent avec la psyché humaine, ce n’est pas si simple, souligne Edouard Gentaz, professeur de psychologie du développement à l’Université de Genève: «Il est complexe de séparer la part d’origine génétique et celle découlant des stimulations environnementales, puisque ces deux versants s’influencent en permanence l’un l’autre, ils sont imbriqués au point, parfois, de ne pouvoir les distinguer.»

D’ailleurs, dans certaines situations, la base de tempérament héritée dans les premiers moments de vie peut être renforcée ultérieurement par l’environnement. Un processus appelé effet halo. Le principe? Un trait de personnalité, en trouvant un écho important chez les personnes de l’entourage, va être développé par l’enfant pour mieux correspondre à la définition que les autres se font de lui. Une étude récemment conduite par des psychologues américains et canadiens montre notamment que les écoliers drôles et extravertis, parce qu’ils génèrent souvent un regard valorisant chez les autres, tendent à surinvestir cette part de leur personnalité… et devenir encore plus drôles et sociables aux yeux de l’entourage. «Ce type de phénomène peut effectivement créer un cercle vertueux, mais aussi, dans certains cas, un cercle vicieux, pointe Edouard Gentaz. Une grande timidité ou une victimisation, marquée négativement par les autres, peut finir par convaincre l’enfant qu’elle le définit et devenir un trait durable et fort de sa personnalité.»

Tempête à la puberté

L’adolescence, deuxième période fondamentale dans le développement du caractère, verra également ce mécanisme à l’œuvre. «Cette période est l’une des grandes crises du développement, qui va structurer la personnalité de l’individu, note Marie Schneider. Les changements massifs dans le corps dus à la puberté, les premières expériences sexuelles et romantiques, mais aussi les éventuels changements de statut social, peuvent pousser à mettre en relief tel ou tel tempérament, voire rebattre les cartes et faire émerger une personnalité assez différente de celle que manifestait l’enfant. Le cerveau reste très plastique jusque dans ces âges.»

C’est un fait, notre caractère de nourrisson ne conditionne pas forcément à tout jamais notre personnalité d’adulte, mais quand même, quelque chose se transmet très souvent entre la prime enfance et la maturité.

«Lorsqu’on regarde de près l’évolution d’un groupe ou d’une cohorte de gens dans le cadre d’études en psychologie, il est clair qu’une continuité dans la personnalité se dégage comme tendance globale, relève Vincent Quartier Il existe souvent une forme de stabilité entre les traits identifiés très jeunes et les traits fixés à 25 ans.» Et ce, même s’il existe une part d’inconnu dans le développement, empêchant un réel déterminisme, ajoute le psychologue de l’UNIL: «Même si la plasticité cérébrale permet beaucoup d’aménagements et que l’expression de certains traits peut évoluer, la personnalité biologiquement ancrée, définie par l’architecture neuronale, tend à rester. On ne peut pas tout remettre à zéro et c’est tant mieux, car l’un des enjeux de l’individu pour vivre bien est d’acquérir une identité stable dans la durée.»

Comment «mesurer» la personnalité?

Les 4 tempéraments de Galien: S’inspirant de la théorie des humeurs, une conception du corps élaborée dans la Grèce antique et fondée sur les quatre éléments (terre, air, eau, feu), le médecin Galien imagine au début de notre ère quatre profils de tempéraments possibles chez l’homme. Le sanguin (optimiste et confiant), le flegmatique (calme et rationnel), le colérique (énergique et explosif) et le mélancolique (âme d’artiste, introspectif). Aux yeux de Galien, ces différents profils ne sont cependant pas innés et peuvent s’alterner chez un même individu selon la saison, le moment de la journée ou son état de santé. Bien que basée sur un système réfuté scientifiquement (la théorie des humeurs est purement spéculative), sa typologie influencera médecins et artistes.

Les 9 tempéraments de Chess et Thomas: Au cours des années soixante, les psychologues américains Stella Chess et Alexander Thomas établissent une liste de neuf caractéristiques observables chez les enfants. Contrairement au système de Galien, ces traits sont innés et permanents chez l’individu, conditionnant son comportement face à l’environnement tout au long de son existence. L’élaboration du profil de personnalité prend en compte l’intensité de chacun de ces traits, parmi lesquels l’adaptabilité, la réaction émotionnelle, la durée de l’attention, l’ouverture face à la nouveauté ou encore la réceptivité. Les deux chercheurs regroupent ensuite les individus en trois ensembles de tempérament: le facile (joyeux et versatile), le difficile (grincheux et rétif aux changements) et le lent à démarrer (réactions mesurées en général et plutôt passif face aux modifications de son environnement).

Les Big Five: Si les travaux de Chess et Thomas continuent de faire école, nombre de psychologues abordent plus volontiers aujourd’hui la description de la personnalité via le modèle dit des Big Five. Cette théorie, créée au tout début des années 80 puis perfectionnée au fil des nouvelles recherches, reconnaît cinq traits centraux dans la personnalité d’un individu, qui doivent être chacun mesurés: l’ouverture à l’expérience, la conscienciosité (capacité à raisonner, à planifier, à s’impliquer), l’extraversion, l’agréabilité et enfin le névrosisme (degré d’anxiété et de dépression). Le modèle des Big Five est censé pouvoir s’appliquer à n’importe quelle personne de par le monde, quelles que soient sa culture et sa langue.

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