une reconversion, ça vous tente?
Changer de job, changer de vie?
Elle a ôté sa blouse, retiré ses Scholl blanches, défait son chignon. Puis, elle a chaussé ses escarpins. Ce jour de 2011, Maddalena Di Meo, 37 ans, a quitté son job d’infirmière pour celui de directrice d’une école de formation aux gestes de premiers secours. Elle s’en souvient comme d’une renaissance. Devenue soignante par vocation, c’est en pleine quête de sens que la jeune femme décide d’en finir avec cet emploi qui ne correspond plus à ses convictions:
Célibataire, c’est en conservant son emploi à 80% qu’elle finance des études à la HEC de Genève, avant de rapidement décrocher ce poste de directrice. Trois ans plus tard, elle devient associée. Ses talents de manager lui permettent d’obtenir, en 2016, le titre de Femme entrepreneure de l’année. «Personne n’aurait parié sur moi, mais j’y suis arrivée», conclut-elle avec une pointe de fierté toute légitime.
Changer de job, une femme active sur dix l’a fait, l’an dernier en Suisse, selon l’Office fédéral de la statistique. C’est un poil plus que les hommes. Parmi les plus diplômés qui osent, nulle envie de gagner plus ou de devenir calife à la place du calife: 97,2% aspirent à un bon climat de travail contre 45% seulement à un revenu plus élevé.
Le changement, c’est maintenant
Réussir sa vie plutôt que réussir dans la vie, voici le nouveau leitmotiv des classes laborieuses. Virer slasheurs en cumulant plusieurs petits emplois, changer de poste à l’interne, suivre des formations, partir pour se lancer dans quelque chose qui fait rêver: la tendance n’est plus aux carrières linéaires, comme l’explique Joanna Bessero, consultante RH, qui coache des personnes en transition professionnelle, choisie ou subie:
A cela s’ajoute un durcissement du monde du travail. Aujourd’hui, même un employé modèle peut se voir remercier du jour au lendemain si les circonstances l’exigent. Sylvie Franz, maître d’enseignement et de recherche à l’Université de Lausanne et psychologue spécialiste en gestion des ressources humaines et des carrières, l’explique: «Il y a eu, ces dernières décennies, une transformation du marché de l’emploi. Beaucoup ont envie de s’extraire par eux-mêmes de milieux pas toujours bien traitants.»
Durcissement de l’emploi
Cette souffrance, Jennylyn l’a connue il y a deux ans lorsque, à 46 ans, elle est brutalement licenciée par son employeur, une multinationale active dans les technologies de communication:
Sonnée, la mère de deux enfants, désormais ados, fan de Crossfit, décide alors de transformer son hobby en métier. Elle prend la tête d’une salle spécialisée dans ce sport, dont elle devient propriétaire avec son mari, qui a, par ailleurs, un autre emploi. Outre le plaisir d’aller au travail en legging et baskets, Jennylyn savoure sa liberté: «Je fais ce que je veux et je sais que tous mes efforts sont pour moi et pas pour une boîte qui peut vouloir se passer de mes services du jour au lendemain. Et puis, j’apprécie le fait de vivre cela avec mon mari. C’est un projet de couple, de vie.» Comme nombre de femmes dans la quarantaine, Jennylyn a suivi son instinct, qui lui dictait que l’essentiel était ailleurs.
Dans les médias, sur les réseaux sociaux, la vague de la quête du job idéal qui rend heureux est partout. De Steve Jobs, créateur d’Apple et son Connecting the Dots, à l’Ikigaï à la japonaise, jusqu’aux bouquins comme «Trouver son point génial», qui vient de paraître chez Marabout, tous convergent vers une seule et même idée: on est vraiment heureux quand on est connecté et aligné. Les métiers inutiles ou vides de sens, comme les a décrits l’anthropologue américain David Graeber dans son livre «Bullshit Jobs» (soit «Jobs de merde»), et définis comme «Une forme d’emploi si totalement inutile, superflue ou néfaste, que même le salarié ne parvient pas à justifier son existence», ne sont plus tolérés.
Vouloir changer de métier, beaucoup y pensent, mais hésitent. Car les barrières sont nombreuses. Il y a les conséquences financières et, pour les femmes en particulier, celle de la conciliation avec leur vie de mère. Prendre le risque de sortir de sa zone de confort, d’éffectuer un virage à 180 degrés fait peur. Et si un CV atypique était vu par les employeurs comme un manque de constance ou de motivation? Cette crainte est balayée par la psychologue Sylvie Franz:
Parcours valorisés
Des profils différents, des expériences de vie variées, certains employeurs font même carrément des appels du pied à ce type de parcours pour gonfler leurs rangs. À la Haute École pédagogique du canton de Vaud, une campagne de pub lancée l’an dernier invitait les candidats, hommes et femme, à entreprendre une formation d’enseignants en reconversion professionnelle.
Cyril Petitpierre, directeur de la formation à la HEP Vaud explique: «Les plus de 35 ans constituent, cette année, 17% de nos effectifs en formation de base, soit 370 étudiants et étudiantes.» Leurs profils: «Ils sont de deux types: les personnes qui ont travaillé dans des domaines très sollicitants, quoique immatériels, et veulent donner plus de sens à leur activité, ou des gens qui n’ont pas de matu, qui ont, par exemple, suivi les filières d’apprentissage et sont désireux de faire quelque chose répondant mieux à leurs attentes.» Dans tous les cas, des étudiants et étudiantes qui ont dit oui au changement. pour une vie meilleure.
Témoignages
Marie-Paule, 38 ans, Yverdon-les-Bains: de costumière à conservatrice
C’est à l’adolescence que j’ai décidé de devenir costumière, pour copier ma grande sœur qui voulait être styliste. J’ai arrêté l’école obligatoire à quinze et ans et refusé d’aller au gymnase. Après un CFC de couture, à Lausanne, et un perfectionnement en costume de théâtre, à Fribourg, j’ai travaillé comme couturière-habilleuse à l’Opéra de Lausanne pendant huit ans.
J’ai adoré les rencontres magiques que j’ai pu faire. Mais j’avais bien conscience que mon job consistait le plus souvent à faire des retouches et à ramasser les chemises trempées de sueur, à minuit, pour les laver et qu’elles soient prêtes le lendemain… J’avais besoin de quelque chose de plus stimulant intellectuellement. Après quelques années dans une boutique de robes de mariée, j’en ai eu marre des conditions sociales et salariales et j’ai décidé, à 35 ans, de faire une maturité professionnelle. J’ai été acceptée, et j’ai démissionné.
J’ai décroché mon diplôme et réussi l’examen d’admission à la Haute École Arc de Neuchâtel en conservation-restauration. J’en suis à ma deuxième année de Bachelor et j’ai la chance de faire un stage dans le prestigieux Musée des Arts décoratifs, à Paris, où je prépare la mise en exposition de vêtements de John Galliano pour Dior, pour le Louvre Abu Dhabi. Se retrouver au rang de stagiaire à 38 ans, c’est un peu compliqué pour le moral, autant que pour les finances et l’ego. Mais je sais que, bientôt, quand je regarderai en arrière, je me féliciterai d’avoir sacrifié quatre ans de ma vie pour un métier qui m’ouvre de nouvelles perspectives.
Temps de travail: la tempête dans nos agendas
Élise, 37 ans, Lausanne: de la banque à l’hôpital
Lors de la dernière année d’école obligatoire, j’étais lassée. J’habitais un village de montagne et, pour aller au collège, il fallait enchaîner plus d’une heure de transports. Attirée par les chiffres, j’ai décidé de faire un apprentissage de commerce dans une banque de la vallée.
Mon CFC en poche, ils m’ont proposé de m’embaucher. Mais, déjà, j’avais le sentiment que je ne pourrais par faire ça toute ma vie. Ensuite, j’ai décroché un job dans une multinationale bancaire où j’étais assistante de gestion. Le job consistait à effectuer les opérations boursières décidées par mon responsable.
Un ami m’avait parlé de ses études de sociologie, je trouvais ça passionnant. J’ai passé l’examen d’entrée réservé aux candidats de plus de 30 ans sans matu et me suis inscrite à l’Uni de Fribourg en Bachelor en sociologie et anthropologie, que j’ai décroché avec mention. Puis, grâce à une bourse d’études, j’ai enchaîné avec un Master en sciences sociales orienté santé à l’Université de Lausanne. Ces études, je les ai vécues avec bonheur.
J’ai développé mon sens critique, un esprit de synthèse, un regard plus aiguisé sur la société. J’ai effectué un stage à l’Unité santé et sécurité au travail, au CHUV, à Lausanne, où j’ai été mandatée pour m’occuper des conditions de travail des collaboratrices enceintes, une mission passionnante dans un domaine où il reste beaucoup à faire. Ce n’est pas toujours facile, mais j’envisage mon avenir professionnel avec beaucoup de motivation, dans le domaine de la santé publique.
Aurore, 32 ans, Lausanne: des RH aux personnes handicapées
À la fin du gymnase, je me suis beaucoup cherchée. J’avais déjà un idéal: aider les autres. J’ai entamé un Bachelor en droit pour devenir avocate. Mais, je n’ai pas du tout accroché. J’ai alors été consulter un conseiller en orientation et, après une batterie de tests, deux tendances ressortaient: ostéopathe ou sciences sociales. J’ai choisi cette deuxième option et obtenu mon Bachelor dans ce domaine, que j’ai complété avec un Master en éthique, responsabilité et développement. Mais j’ai trouvé les cours trop axés sur la philosophie. D’autre part, l’expérience sur le terrain, effectuée dans une ONG, au Sénégal, ne m’avait pas convenu.
À la fin de l’Uni, mes recherches de stage m’ont mené vers les ressources humaines, un domaine que j’ai apprécié. J’ai donc enchaîné par un job dans une grande manufacture horlogère. Mais je n’avais pas de possibilité d’évolution. J’ai démissionné et, après une période de chômage, j’ai accepté un job dans une institution caritative, où j’étais notamment chargée de former une apprentie de commerce. Là, tout ce que j’aimais a fait surface: le fait d’aider quelqu’un, de le former, le challenge… J’ai donc donné ma démission pour faire, cette fois, ce que j’ai vraiment envie de faire, ce qui fait sens pour moi. Là, je postule dans des institutions pour aider des personnes en situation de handicap et je me renseigne sur les formations possibles si on m’en demande.
8 conseils pour une reconversion réussie, avec Joanna Bessero consultante RH, coach professionnelle
1. Quand faut-il y penser? La démotivation au travail est un signe. Si vous vous sentez lasse, que vous vous remettez en question, que vous avez le sentiment que vous valez mieux que ce que vous faites, que vous rêvez d’autre chose, il faut s’interroger: Je ne suis plus épanouie, quel est mon idéal?
2. Faut-il en parler avec son employeur? Parce les possibilités de formations continues ou de changements de postes à l’interne sont parfois possibles, il faut évoquer le sujet avec votre employeur. Mais attention, pour mener à bien ce projet sans passer pour quelqu’un de démotivé, on y va avec un projet précis, qui sera profitable à l’entreprise. On oublie le: «J’aimerais faire autre chose, je m’ennuie» pour un: «Je ne suis plus dans mon plein potentiel, j’ai des idées à vous proposer.» Pour cela, il faut avoir bien réfléchi, en prenant du recul pour définir ses objectifs.
3. Est-ce que mon projet est réaliste? Il faut savoir canaliser ses envies et son enthousiasme, réfléchir selon ses goûts, ses aptitudes naturelles, avec un fil conducteur. À part dans le cadre d’un changement de vie radical, passer d’employé de commerce à un job dans les soins ou d’un poste dans la finance à un autre dans le social demande de grandes capacités d’adaptation.
4. Est-ce que mon projet est réalisable? Pour cela, il faut penser au chemin qui va mener au résultat. Est-ce que j’ai une solution de garde pour mes enfants si je fais une formation? Est-ce que je dispose du financement nécessaire? Est-ce que j’ai le temps? La motivation nécessaire?
5. Est-ce normal d’avoir peur? Parce qu’il y a une part d’inconnu, la peur est normale. D’où la néces#jobdereve
sité de bien se préparer, bien réfléchir et de ne pas tout décider sur un coup de tête, sous peine de lendemains angoissants. À noter que certains coups de tête peuvent, parfois, donner l’impulsion quand on hésite trop.
6. Dois-je laisser une place à la possibilité d’un échec? Toute prise de risque entraîne l’éventualité d’un échec, il faut en avoir conscience, l’intégrer dans son projet et essayer de limiter les conséquences négatives. Mais quand on est convaincu de ce qu’on fait, on assume mieux ce qui en découle.
7. Dois-je me faire aider? Pour mettre toutes les chances de son côté, une reconversion, qu’elle soit subie, après un licenciement, par exemple, ou choisie, doit être accompagnée. Il faut mettre un plan d’action en place, créer son nouveau positionnement professionnel, étudier tous ses aspects, qu’il s’agisse des formations, des financements, des aspirations.
8. Est-ce qu’un parcours professionnel atypique peut effrayer? Plus aujourd’hui, où c’est devenu presque la norme. C’est celui qui est dans le même job depuis vingt ans qui est l’exception. Il faut avoir les arguments pour expliquer ses choix à l’employeur, qui regarde ce que la personne sait faire, ses compétences transférables.