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Mère-fille: Peut-on s'affranchir de l'influence maternelle?

Mère-fille: Peut-on s'affranchir de l'influence maternelle?

Selon le pédiatre Aldo Naouri, de manière inconsciente, une mère influence sa fille en tout.

© STOCKSY/ALBA VITTA

Petites phrases assassines à propos de tout et n’importe quoi, regards réprobateurs qui en disent long sur ce qu’elle tait mais pense, coups de fil intempestifs, comportements volontiers intrusifs, piques bien culpabilisantes, reproches déguisés sous couvert de «bons conseils»… On a beau aimer profondément «Maman», elle n’est pas toujours simple à côtoyer et nos relations avec elle peuvent s’avérer un tantinet compliquées. Voire explosives. Agaçant, plombant ou attristant, certes, mais parfaitement normal, selon Aldo Naouri.

Auteur du best-seller Les filles et leurs mères (Éd. Odile Jacob), vendu à quelque 500’000 exemplaires depuis sa sortie en 1998 et réédité le 15 novembre 2023 en édition collector, le pédiatre français pense en effet qu’on ne se libère jamais complètement de l’emprise maternelle. Et, pire, qu’on a tendance à la reproduire sur notre propre progéniture. Comment, pourquoi et peut-on tout de même minimiser les effets de cette forme de tyrannie?

Moi, en mieux

À écouter (ou à lire) Aldo Naouri, les relations mère-fille sont quoi qu’il arrive biaisées. Entre ces deux êtres, explique-t-il, circule une forme de violence d’autant plus pernicieuse qu’elle est «bien souvent masquée sous une apparence de bonne entente, d’amour et de dévouement réciproque: on rit, on parle, tout va bien et on ne se rend pas forcément compte de la toxicité de ce qui se joue à des niveaux biologiques et inconscients». C’est-à-dire?

«Une femme n’a pas forcément d’enfant mais elle est toujours la fille d’une femme – et l’on peut remonter cette lignée jusqu’à la nuit des temps.»

«Ce que je veux dire par là, c’est qu’une mère voit inconsciemment en sa fille un lien entre toutes les générations qui les ont précédées, à la manière des matriochkas qui s’emboîtent les unes dans les autres.» Pour le coup, bien dans la continuité de sa propre mère, tout aussi toxique, elle attend de sa «petite» qu’elle perpétue la chaîne, soulage son angoisse de mort et assouvisse ainsi son fantasme d’immortalité, précise le pédiatre. Ce faisant, toujours sans le vouloir, elle lui fait porter le poids de sa propre histoire, avec laquelle elle n’est d’ailleurs que rarement en paix, mais aussi son attente implicite qu’elle ne la quitte jamais et vive ce qu’elle a vécu, si possible en mieux. Elle va même parfois jusqu’à projeter le désir qu’elle devienne une «clone réussie», une meilleure version d’elle-même.

Une envie de «mieux» louable, non? Pas tant que cela, réplique Aldo Naouri: «C’est une manière de dénier son autonomie à sa fille et de lui dire: tu n’es toi que téléguidée par moi!»

Une vie sous influence

Sans s’en rendre compte, une maman ne cesse donc de soumettre sa fille à des injonctions. Et influence par là même l’entier de sa vie: ses traits de caractère, son image et son estime de soi, sa sexualité, ses choix de carrière ou de partenaire(s), son envie ou non de maternité et même le sexe des bébés éventuellement à venir: «J’ai démonté la machine jusqu’au point le plus intime de la vie d’une femme et j’ai en effet constaté que le lien à la mère joue sur l’aspect biologique de la procréation», indique le médecin.

En résumant à l’extrême, dit-il, on peut voir que quelles que soient la nature et la qualité des relations entretenues, une femme «soumise» à sa mère et ne s’autorisant pas à avoir une vie trop différente d’elle aura tendance à n'avoir que des filles. À l’inverse, si elle a pris conscience de cette injonction de répétition, elle va la contrer en donnant plutôt naissance à des garçons. Et qu’en est-il des choix amoureux, dont on a coutume d’imputer la responsabilité au père?

«Ne serait-ce que biologiquement et anatomiquement, on a appris l’amour avec notre mère», rétorque Aldo Naouri.

Il précise que «tout cela débute pendant la grossesse: dès que les récepteurs sensoriels se forment et se développent, le bébé va ressentir différentes sensations provenant toutes du corps de sa mère». Cela crée une sorte d’alphabet sensoriel indélébile dans le cerveau de l’enfant et, corollairement, des liens si puissants qu’un nouveau-né est capable de reconnaître immédiatement la voix et l’odeur de sa mère.

«Et il suffit qu’il ait passé quatre heures avec elle pour qu’il puisse l’identifier sur une photo», s’enthousiasme le pédopsychiatre. Par la suite, sauf problèmes particuliers, la mère va se consacrer à son nourrisson, lui donner l’énergie et le temps dont elle dispose et faire en sorte qu’il ne manque de rien, dit-il. Avant d’insister qu’il s’agit d’une phase intense durant laquelle le bébé perçoit d’abord sa mère dans sa toute-puissance positive: elle marque à jamais l’enfant, fille ou garçon, puisque ce n’est finalement que ce premier amour total et «modélisé» qu’il tentera de rejouer dans ses relations amoureuses.

Si le petit garçon va circonvenir la crainte de sa mère en s’engageant à l’épouser plus tard, le fameux Œdipe, la fille ne le peut pas. Ce qui la conduit à investir le père. Lequel, même s’il est très présent et aimant, ne tient finalement qu’un rôle secondaire dans cette affaire:

«Pour une petite fille, il n’est pas l’objet d’amour formel mais une aide pour échapper à ce qu’elle ressent comme la toute-puissance maternelle», indique Aldo Naouri.

Elle va donc bien essayer de conquérir «Papa», mais pour qu’il soit son soutien «anti-maman». Cette stratégie va d’ailleurs lui poser un vrai problème: en «abandonnant» sa mère et «en essayant de séduire son mec», elle aura l’impression de la trahir doublement.

Cette période laissera des traces, puisqu’en plus de la culpabilité s’installe aussi une rivalité inconsciente hyperpuissante dans la dyade mère-fille – ces deux facteurs induisant différents schémas comportementaux. Dans les faits? Soit on cherche à plaire à sa maman et, partant, on obéit à ses injonctions. En bref, on suit ses traces, on rejoue l’histoire plus ou moins fidèlement et, préférant miser sur «le fantasme de l’entente parfaite», comme l’appelle Aldo Naouri, on tait nos revendications, on refoule nos frustrations – on culpabilise même d’en avoir. Soit on rue dans les brancards et on se moque (croit-on!) d’avoir son approbation – une manière de faire pas forcément simple à vivre puisque «le conflit entraîne toujours une culpabilité», relève le pédiatre.

Respect et horizontalité

Rivalité, culpabilité, injonctions… le tableau n’est pas gai. Peut-on s’affranchir de ces influences maternelles en travaillant sur soi?

«Dans ces temps où l’on se plaît à se voir libre et autonome, on aime à le penser. Pourtant, on n’y arrive jamais totalement», soupire le médecin, relevant que quand on y regarde de plus près, «Maman» est toujours là, en embuscade, quel que soit notre âge.

Et de raconter qu’un beau jour, sa propre mère, alors octogénaire, s’était effondrée en larmes en lui disant «Maman ne m’a jamais aimée…»

Toutefois, pour compliquée qu’elle soit, la cause n’est pas complètement perdue: on peut limiter les dégâts. Comment? En développant un respect mutuel, d’abord. «Comme mère, il faut penser sa fille comme étant une individualité à qui l’on a donné naissance, d’accord, mais qui a le droit d’assumer sa vie comme elle l’entend.» Et comme enfant, il faut se choisir, prendre conscience que notre personnalité est certes la trace de l’histoire sur nous et qu’on est le maillon d’une longue chaîne, mais qu’il nous appartient de mener notre existence sans nous préoccuper en permanence de ce qui est au-dessus. «Ce qui ne peut se mettre en place que si, et je risque de me faire insulter, on place l’entente parentale au-dessus de tout. Ce n’est pas facile car dès qu’on a des bébés, on a naturellement tendance à se focaliser sur eux plus que sur le couple.» Il reprend:

«Dans une équation idéale, Madame serait à 51% pour ses enfants et 49% pour son partenaire et Monsieur à 51% pour sa conjointe et 49% pour ses petits. C’est un exercice d’équilibre constant – mais il faut vraiment favoriser l’horizontalité des liens parentaux plutôt que leur parallélisme.»

«Pour moi, c’est le seul moyen de minimiser les impacts de cette emprise inconsciente qu’on a sur nos descendants!»

Témoignage d'Hélène, 45 ans, en France voisine

«Ma mère et moi, c’est assez compliqué depuis toujours. Avant, c’était même très conflictuel, elle n’arrêtait pas de me critiquer et de remettre mes choix en question: quoi que je fasse, ou ne fasse pas, d’ailleurs, j’étais dans l’erreur. Et moi, plutôt que de laisser passer l’orage, j’essayais de répondre ou de me justifier et ça partait systématiquement en vrille. Je ne compte plus le nombre de fois où je suis partie de chez mes parents en claquant la porte, hyperfâchée contre mon père aussi parce qu’il prenait son parti.

Et puis un jour, pendant une grosse dispute, elle m’a hurlé qu’elle aurait préféré avoir un fils.

C’est une chose que je ressentais depuis petite, car j’avais bien compris qu’elle n’aimait pas les femmes. Mais l’entendre me l’avouer a fait comme un déclic: toute la colère que j’avais accumulée contre elle s’est évacuée et, aujourd’hui, j’ai de la compassion pour elle… Quelle tristesse d’avoir tant de problèmes avec sa féminité! Cela ne rend pas ses remarques plus agréables à entendre – parce qu’elle continue! – mais je les prends autrement…»

Témoignage de Marie, 58 ans, à La Chaux-de-Fonds

«Avec Anne (je ne l’appelle plus maman), on est restées fusionnelles pendant des années. Elle savait tout de moi, je savais tout d’elle, on se voyait ou on se téléphonait dix fois par jour. Elle me guidait, me conseillait, me soutenait, me consolait après des ruptures amoureuses, m’aidait avec mon fils aîné qui était encore tout petit…

Si bien que, quand j’entendais mes copines parler des difficultés qu’elles pouvaient avoir avec leurs mères, j’avais un petit sourire un peu condescendant, parce que les relations que j’avais avec la mienne, ce n’était que du bonheur.

Et puis, un jour, je suis tombée amoureuse de Damien. Il et elle se sont immédiatement détesté-e-s – c’était impossible de les mettre en présence. Dans un premier temps, je l’ai choisi, lui, et ai donc pris mes distances avec Anne. Elle n’a pas aimé et m’a fait des scènes et du chantage affectif. Mais avec Damien en renfort, j’ai tenu bon. Et puis je l’ai quitté et entrepris une thérapie. Grâce à quoi j’ai réalisé que ces deux-là avaient exactement les mêmes schémas de fonctionnement par rapport à moi et que je m’étais pliée à leurs exigences respectives sans rien comprendre! Aujourd’hui, je ne suis plus en état de dépendance affective, je peux donc voir Anne sans risquer de retomber dans ses filets. Elle essaie toujours, c’est clair, mais j’en suis vraiment sortie!»

Témoignage de Laure, 30 ans, à Payerne

«Mes deux sœurs et moi sommes tout à fait claires là-dessus: maman nous a aimées et nous aime inconditionnellement, et on a toujours su qu’on pouvait faire à peu près n’importe quoi, même des horreurs, cela ne changerait rien à ça. Mais ça ne la rend pas bouffante pour autant. Au contraire, même, elle a un côté un peu dilettante avec nous: si on ne l’appelle pas pour lui donner des nouvelles, elle n’en prend pas, elle se contente d’envoyer un petit message avec un émoji cœur pour dire qu’elle pense à nous, mais sans plus.

Plus jeune, j’avais l’impression qu’elle se fichait pas mal de moi. Ça me rendait triste et je me mettais facilement en colère contre elle, on n’arrivait pas du tout à communiquer.

Aujourd’hui, après en avoir parlé avec elle, j’ai compris que ce n’est pas par désintérêt ou indifférence, mais par non-envie d’être avec nous comme l’est encore sa mère avec elle… et avec nous aussi, souvent! En fait, avec maman, adolescentes, on a eu des tas de malentendus liés à sa propre histoire: elle avait tellement peur de nous saouler en étant tout le temps sur notre dos ou en nous posant des questions indiscrètes qu’elle s’est mise en position d’attente. Le jour où j’ai intégré cette donnée-là, ça a tout débloqué, et depuis, ça va très bien entre nous!»

Témoignage de Julia, 82 ans, à Lausanne

«J’aurais adoré avoir une mère aimante, compréhensive et bienveillante. Mais la mienne était étouffante, exigeante et obnubilée par les apparences: pour ne pas nuire à l’image de Madame Parfaite qu’elle voulait donner d’elle, il fallait que ma sœur et moi soyons des petites filles puis des ados modèles. On a joué le jeu tant bien que mal, pour avoir la paix. Je me suis mariée très jeune par amour mais aussi en pensant naïvement pouvoir lui échapper. Grave erreur! Ça n’a fait qu’empirer les choses: je ne savais pas tenir mon ménage, j’étais nulle en cuisine, j’élevais mal mes enfants… bref, je faisais tout de travers et j’étais décidément bien décevante.

Et si j’essayais de lui parler, j’avais droit à la grande scène du quatre: je n’étais qu’une ingrate incapable de voir qu’elle ne voulait que mon bien!

Il y a vingt ans, elle est morte. Mais ça ne m’a pas libérée puisque je continuais régulièrement à me dire «Aïe, elle dirait quoi, là, Maman?» Il m’a fallu des années pour guérir ces blessures et pardonner.»

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