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Interview

D'après Fabrice Midal, «les princesses ont toujours raison»

Fabrice midal les princesses ont toujours raison contes de fees

Pour Fabrice Midal «une lecture fine des contes permet de voir qu’ils font honneur à la puissance et au courage féminin». Voilà qui rappelle le film Netflix L'École du Bien et du Mal, dont les héroïnes défient les clichés des contes de fées modernes.

© NETFLIX/HELEN SLOAN SMPSP

Il était une fois… un philosophe qui aimait beaucoup les contes de fées. Trouvant qu’on les malmenait, qu’une vision patriarcale les avait réduits à une série de récits de princesses potiches attendant le prince charmant, Fabrice Midal s’est plongé pour nous dans les mille et une versions de Peau d’âne, La reine des neiges, Cendrillon, Le petit chaperon rouge ou La Belle et la Bête. Résultat: Les princesses ont toujours raison (Éd. Flammarion), une relecture stimulante, subtile, originale et salutaire de cet héritage essentiel.

Prenant le contre-pied des interprétations psychanalytiques du psychothérapeute américain d’origine autrichienne Bruno Bettelheim, très loin de la vision moraliste qui s’est imposée depuis Charles Perrault, Les princesses ont toujours raison démontre que ces contes, loin de n’être que des histoires pour enfants sans intérêt, nous relient à des sagesses profondes méritant d’être entendues en 2023.

FEMINA Comment, après Foutez-vous la paix, Suis-je hypersensible? ou vos livres sur la méditation, l’art ou la poésie, en êtes-vous arrivé à travailler en philosophe sur les contes?
Fabrice Midal
Enfant, j’aimais beaucoup les contes, légendes et mythes. En les relisant adulte, je me suis rendu compte que nous avions une image fausse et superficielle de ces contes, que nous passions à côté de leur sagesse profonde. Nous les voyons comme d’aimables divertissements pour enfants, voire comme un héritage narratif sexiste et misogyne, alors que c’est tout le contraire: non seulement il s’agit d’une littérature qui parle aux adultes et renferme des sagesses profondes, mais surtout, les héroïnes de ces contes, loin de se résumer à des princesses belles et passives qui attendent leur prince charmant, révèlent une puissance, une force de caractère, une créativité unique qui leur permet de surmonter tous les obstacles.

Comment expliquer alors que nous avons cette image dépréciative des contes et de la place des femmes dans leur univers?
Charles Perrault lui-même, en publiant ses Contes de ma mère l’Oye en 1697, puis les frères Jacob et Wilhelm Grimm, qui ont collecté et édité leurs fameux Contes de l’enfance et du foyer au début du XIXe siècle, ont déjà contribué à dénaturer les contes et légendes du patrimoine oral et des anciennes croyances, à les polir, les lisser, leur ôter une partie de leur caractère subversif. Puis Walt Disney s’en est emparé avec une lecture édulcorée et manichéenne, les gentils d’un côté, le ou les méchants de l’autre. Pourtant les contes cultivent l’ambiguïté et nous aident à sortir de la dualité qui, elle, nous rend impuissants. Ils nous encouragent à porter un regard ample sur le monde et les gens qui nous entourent, à ne pas avoir peur de l’ombre mais à se confronter à l’obstacle pour y trouver la force de nous dépasser.

Qu’est-ce qu’une lecture philosophique des contes?
Cela veut dire remonter aux sources des histoires, comparer les versions antérieures, notamment celles de la merveilleuse Marie-Catherine d’Aulnoy, femme de lettres du XVIIe siècle, et lire le texte vraiment. C’est-à-dire reprendre le conte à neuf, laisser tomber les a priori, l’interroger. Soit faire l’herméneutique de ces textes, mettre à jour leur sens latent. Perrault en avait fait une lecture moraliste, donnant une leçon de morale à la fin de chaque conte. La lecture psychanalytique de ces contes, celle de Bruno Bettelheim, a connu un grand succès au XXe siècle.

Une lecture philosophique consiste à comprendre en quoi ces histoires interrogent l’être humain et nous aident à donner du sens à l’existence.

Par exemple?
Le vilain petit canard
incarne l’obsession de la norme. Boucle d’or et les trois ours est une fable touchante sur le respect des limites de l’intimité. La belle au bois dormant illustre l’attente du moment juste, Blanche-neige montre comment se protéger de la jalousie. Hansel et Gretel parle du piège du bien-être et de la facilité, Le petit poucet symbolise la puissance de l’action. Le mythe de Narcisse, l’un des plus méconnus et malmenés de notre temps, est l’une des figures de l’aliénation les plus répandues de nos jours. Narcisse multiplie les efforts pour être reconnu et estimé sans savoir qui il est. Le jour où il s’aime enfin, il se transforme en une fleur au cœur d’or, vivant une véritable renaissance!

Dans les contes, les femmes ne sont donc pas les princesses idiotes et passives que l’on caricature aujourd’hui?
Le prince charmant qui réveille la belle au bois dormant le doit uniquement au fait qu’il est là au bon moment, quand les cent ans de sommeil ordonnés par les fées se sont écoulés et que les portes du château s’ouvrent toutes seules. Dans La Belle et la Bête, on voit la Bête comme puissante et forte, or elle se laisse mourir lorsque la Belle ne revient pas, et est obligée de respecter le consentement de la Belle dans toute sa radicalité.

Un immense travail est fait dans notre société aujourd’hui pour comprendre la violence non seulement physique mais aussi psychique et symbolique faite aux femmes: une lecture fine de ces contes permet de voir qu’ils font honneur à la puissance et au courage féminin.

Ces contes sont tout sauf machistes. Ils font écho à une sagesse humaine ancestrale qui sait le rôle fondamental des femmes. On retrouve la même chose dans la mythologie grecque: Thésée, même puissant, même fort, ne peut rien faire sans le fil d’Ariane, son intelligence et sa clarté.

La plupart du temps, lorsque nous lisons ces contes en famille, nous n’en captons pas la signification que vous en tirez. Est-ce grave?
Il n’y a pas besoin de comprendre le sens du conte pour que le sens ait lieu! Si les enfants demandent d’entendre la même histoire encore et encore, c’est parce qu’ils en ressentent le sens, qu’ils sont touchés profondément. Pas besoin de savoir de manière savante ce que le conte signifie, c’est lui qui vous fait sentir ce qui se joue entre ses lignes. Les contes ne sont pas une fuite dans un ailleurs enchanté, mais s’offrent à nous comme des scènes de théâtre sur lesquelles se jouent nos pulsions, nos problèmes, nos affects.

Sans même que nous nous en rendions compte, les contes nous invitent à penser par nous-mêmes et à inventer notre propre vie.
© DISNEY

Quel fil rouge traverse ces dizaines de contes?
La clé de ces histoires, c’est l’espérance sans niaiserie, sans bons sentiments. La conviction que dans chaque être humain réside un prince ou une princesse, c’est-à-dire un être humain avec une dignité à respecter. Les contes nous montrent le possible en chacun de nous, nous donnent courage et allant, sans pour autant nier les épreuves de la vie. Ces histoires ne nous disent pas ce qu’on doit faire, mais elles nous aident à trouver en nous nos propres forces. Ce qui rejoint mon travail de philosophe et d’écrivain depuis toujours: je cherche à donner confiance malgré les difficultés.

À quoi servent les ogres et monstres des légendes?
Ils incarnent les dangers, les difficultés que nous rencontrons tous dans la vie. La méchanceté, la violence existent: il faut apprendre à s’en défendre. Les contes ne nient pas que le mal existe. C’est très précieux! Les dérives révisionnistes visant à édulcorer les contes sont dangereuses. Avoir peur lorsqu’on est enfant et qu’on lit une histoire, c’est important. Les parents ne rendent pas service à leurs enfants en les protégeant de tout ce qui peut les heurter. Au contraire, cela les rendra impuissants, car ils ne sauront pas se défendre contre la trahison, la bêtise, la cruauté. Nous peinons à assumer les désaccords, les conflits: la concorde n’est jamais donnée, il faut la conquérir.

Pourquoi avoir mêlé aux contes un certain nombre de mythes, tels la légende du Graal, le mythe d’Ulysse ou le «Roman de Renart»?
Pour montrer qu’une même universalité traverse ces récits archétypiques. D’où qu’ils proviennent, quelle que soit l’époque où ils ont été narrés, contes, légendes et mythes reposent sur une série de fondamentaux: être fort, c’est rencontrer ses failles et les assumer, d’abord.

Les princesses ont toujours raison, ensuite – autrement dit, l’élément féminin est toujours le plus créatif, résilient, agissant. Être humain, c’est rencontrer le côté obscur de la vie.

En retroussant ses manches, en assumant ses responsabilités, l’être humain peut se dépasser, se sauver lui-même. L’humour est une arme puissante contre un pouvoir despotique. Enfin, l’amour véritable peut métamorphoser l’autre. Des classiques de la littérature aux séries TV d’aujourd’hui, tous les récits ne sont que des déclinaisons des structures fondamentales des contes. Ce qu’avait montré Joseph Campbell dans son livre Le héros aux mille et un visages en 1949, véritable livre de chevet de tous les scénaristes hollywoodiens d’hier comme d’aujourd’hui.

Oser s’affirmer

Le Petit Chaperon rouge

«Il révèle à mes yeux l’attitude paradoxale que nous avons devant l’inconnu, qui nous effraie mais nous fascine aussi. Le loup incarne cette étrangeté, cet inconnu. Le conte apprend à faire face au dépassement de soi – à commencer par celui dont il faut faire preuve la première fois que notre maman nous autorise à traverser seule la forêt pour aller amener des galettes à notre grand-mère!

Dans les versions antérieures à celle de Grimm, les versions orales, la fillette s’enfuit et se libère toute seule du loup, sans l’intervention du chasseur qu’on lit désormais. Je ne partage pas la lecture psychanalytique du conte qui y voit le passage de l’enfance à l’âge adulte. Ce n’est pas pour rien que les enfants ont peur du loup, en tous les cas symbolique, et redemandent des histoires de loups avant de dormir.

Ce conte initiatique illustre le jeu passionnant de la vie face à l’inconnu, cet inconnu qui nous inquiète, nous terrifie, qui peut nous dévorer, mais dont nous pouvons nous défaire également.»

Voir avec le cœur

La princesse au petit pois

«Ce conte d’Andersen raconte l’histoire d’une jeune fille qui, une nuit d’orage, frappe à la porte d’un château, demandant l’hospitalité en prétendant être une princesse. Le roi et la reine la reçoivent, mais ils glissent sous les nombreux matelas de son lit… un petit pois. Lequel l’empêche de fermer l’œil. Les leçons de sagesse de ce conte sont multiples: il ne faut pas se fier aux apparences. Face à la jeune fille sale et trempée, le roi surmonte ses préjugés. Ensuite, le conte dit que tout être, au fond de lui, est une vraie princesse – c’est-à-dire que chacun, au-delà des apparences, possède la capacité d’être en harmonie avec son humanité profonde. Enfin, l’hypersensibilité de la jeune fille devient le signe de sa noblesse. J’ai beaucoup raconté cette histoire à mon filleul pour le réconcilier avec sa propre hypersensibilité.»

Refuser d’être contrôlée

Hansel et Gretel, La Belle et la Bête

Hansel et Gretel est une magnifique fable sur le piège du bien-être et de la béatitude du plaisir immédiat. Faits prisonniers par une sorcière qui attire les enfants avec sa maison de pain d’épice, les deux enfants réagissent différemment: Hansel engraisse naïvement dans sa cage, fuyant la réalité dans un aveuglement qui le conduit potentiellement à la mort. Tandis que Gretel, obligée de servir la sorcière, observe, se libère de la fascination inconsciente et dangereuse de la domination et met au point un stratagème pour se sauver avec son frère.

Dans La Belle et la Bête, un marchand ruiné doit donner sa fille, la Belle, à la Bête, pour éviter de mourir. La Bête retient la jeune femme prisonnière mais demande sa main chaque soir à ladite Belle, qui refuse soir après soir, durant des mois, même en voyant son père dépérir. Le sujet de ce conte est le consentement. La Bête ne peut être délivrée du sort qui lui a été jeté que si la Belle consent librement à l’aimer. Malgré les risques, la Belle choisit de s’écouter elle-même, de faire ce qu’elle sent. Qu’il est faible ici le pôle masculin! La puissance, l’intelligence, le libre arbitre, le sens du juste sont non pas du côté de la Bête, mais du côté de l’héroïne, qui cesse d’être l’otage de sa vie, et qui même permettra à la Bête, par son empathie, son amour désintéressé, de redevenir le beau prince qu’il était.»

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