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«La gosse»: Maman d'ado, Nadia Daam analyse sa parentalité

«La gosse»: Maman d'ado, Nadia Daam analyse sa parentalité

«On a doublement peur quand on élève une fille», confie Nadia Daam.

© JF PAGA

Dans son livre La gosse (Éd. Grasset), paru le 27 mars 2024, la journaliste Nadia Daam - qui tient actuellement la chronique Famille & Co le dimanche matin sur France Inter - partage les joies et les turbulences de l’adolescence traversée par le tandem qu’elle forme avec sa fille. Une ado qu’elle élève seule depuis sept ans et la mort du père de celle-ci. Un récit sous forme de déclaration d’amour à sa fille de tout juste 18 ans.

FEMINA Il y a 18 ans, quand vous annonciez être enceinte d’une fille, on vous disait que ça serait plus facile (qu’avec un garçon)... Maintenant qu’elle est ado, qu’avez-vous envie de répondre?
Nadia Daam Déjà, j’ai envie que les gens cessent de commenter de manière générale la grossesse des femmes et leur parentalité. Ensuite, qu’on arrête avec ce réflexe d’avoir un avis sur le genre de l’enfant à venir même si on pense faire un compliment à la mère en lui disant «super, c’est une fille». C’est une des premières injonctions qui pèsent sur les mères. Quand on m’a dit que ça serait plus facile, ça voulait dire que j’étais censée me sentir plus capable avec une fille, et qu’il fallait qu’elle même soit à la hauteur de ce que c’est que d’être la fille d’une mère. Ça posait déjà des bases assez problématiques.

Dans votre livre, vous questionnez le mythe de la mère parfaite tout en avouant avoir plus peur de ne servir à rien que d’être une mauvaise mère. Pourquoi?
On a beaucoup parlé de ce mythe de la mère parfaite essentiellement pour les premières années de vie de l’enfant. Or, je pense aussi que l’adolescence est un impensé dans toute la littérature qui traite de la parentalité. Il y a beaucoup de guides sur comment élever son enfant, sur tout ce qui se joue avant 6 ans, etc.

Mais on ne décrit pas ce moment de l’adolescence où on va être totalement démuni-e, où on ne saura pas par quel bout prendre son enfant.

Je pense que c’est effectivement le propre de l’adolescence de mettre le parent face à son impuissance. Il y a des choses contre lesquelles il ne pourra rien.

À propos de votre ado, vous écrivez «elle est mon lait sur le feu». Durant l’adolescence, l'intranquillité est-elle constante?
Ça ne s’arrête jamais. Et je pense qu’on a doublement peur quand on élève une fille. On a peur pour son enfant, qu’il lui arrive quelque chose, qu’il soit malade. Et on a peur pour sa fille car malheureusement les statistiques montrent qu’il arrive plus problème aux filles en raison de leur genre. On n’est jamais tranquille. Le médecin Baptiste Beaulieu a publié un post sur Instagram que j’ai trouvé tout à fait lumineux pour expliquer pourquoi on a davantage peur quand on élève une fille, avec un exemple très simple. Vous êtes parents d’un ado, vous recevez un téléphone de la police en pleine nuit.

Si vous avez un garçon, votre premier réflexe c’est de vous dire, qu’est-ce qu’il a fait ce petit con. Si vous avez une fille, votre premier réflexe va être de vous dire qu’est-ce qu’on lui a fait.

Je trouve que ça résume parfaitement pourquoi quand on élève une ado, on est dans un océan d’inquiétude permanent.

Face à cette inquiétude, vous racontez comment vous l’encombrez de conseils et de mauvais présages liés à son genre.
C’est désespérant car évidemment en tant que mères aujourd’hui, on est plutôt dans une éducation non genrée. Je me suis efforcée pendant toute l’enfance de ma fille de ne jamais lui dire qu’elle ne pouvait pas faire ou qu’elle devait faire telle ou telle chose parce qu’elle était une fille.

Et puis d’un seul coup à l’adolescence, il a fallu que je la réassigne à son genre, bien malgré moi.

Ça me déprime d’une certaine manière, mais encore une fois, on n’a pas le choix que d’être hypervigilante quand on élève une jeune fille aujourd’hui.

Comme avec la consommation d’alcool par exemple?
La première fois où je lui ai dit de faire attention, elle me voyait prendre l’apéro avec une copine à la maison deux heures avant. C’est compliqué, c’est pour ça que je n’ai pas de discours moralisateur, ni trop sanitaire au sujet de l’alcool. Je lui ai plutôt parlé de soumission chimique, de GHB. Mes copines qui ont des fils leur disent de faire attention à ne pas faire trop de mélanges qui risquent de les rendre malades quand ils boivent. Moi je dis à ma fille de surveiller son verre.

Vous écrivez: «J’ai beau savoir que rien ne protège une femme de la violence masculine, je serais plus tranquille si elle mettait un gros pull». Ce qui vous a parfois poussée à lui dire «tu ne vas pas sortir comme ça». Vos convictions féministes en ont-elles pris un coup?
Ma fille m’a vue en manifestations scander «mon corps, mon choix!», elle m’a écouté lui expliquer ce qu’était le slut-shaming, que les femmes ne sont jamais responsables des comportements provoqués par leurs vêtements. C’est elle qui m’a mise face à mes contradictions.

Et en même temps, comme malheureusement elle a subi du harcèlement de rue très tôt, elle-même a intégré l’idée qu’aujourd’hui, pour pouvoir se déplacer à peu près tranquillement il faut faire attention à la manière dont on s’habille.

Pourtant, la dernière fois qu’elle s’est faite harcelée dans la rue, elle était en survêtement.

Pareil avec le body positivisme…
Oui, on n’a pas réglé ce problème. J’ai écrit des tas d’articles dans lesquels je m’énervais sur les magazines féminins qui parlaient de perdre trois kilos avant le maillot, mais en fait, je le fais moi-même. À 45 ans, je suis encore la somme de toutes ces injonctions, de ces modèles inatteignables.

Puisqu’on parle de modèle, la question de l’exemplarité pour les mères est-elle d’autant plus lourde à porter?
Oui, surtout qu’en fait, on est des modèles malgré nous. Ce n’est pas uniquement ce qu’on va prêcher, ni les règles qu’on va mettre en place à la maison qui importent. Elles nous voient faire, elles nous voient être.

Ma fille m’a vue être malheureuse en amour, courir après des garçons qui ne me traitaient pas bien. Ça transparaît.

Ce n’est pas très grave mais c’est vrai qu’on espère que nos filles vont nous venger d’une certaine manière et c’est leur faire porter une responsabilité un peu trop grande. Elles aussi ont le droit de se tromper, de parfois subir leurs propres échecs, de faire des erreurs. On ne peut malheureusement pas tout leur épargner et c’est ainsi.

En matière d’éducation, être mère d’une ado, c’est aussi savoir renoncer parfois?
C’est certain, mais c’est aussi ce qui est passionnant, car l’éducation ne s’arrête pas aux dix ans de l’enfant. On lui montre aussi une manière d’être socialisé, de voir le monde, de s’adresser aux autres. Ce qui implique de renoncer à certains de ses principes parfois, ceux qu’on avait avant de devenir parent. C’est ce qui est intéressant, ça montre que la parentalité est quelque chose de plastique. On n’est pas le même parent aux différents âges de l’enfant.

Ma propre mère est une grand-mère très différente avec ma fille que la mère qu’elle a été avec moi. On s’adapte à l’époque, on est souple.

Une adaptation qui passe par une phase d’exaspération entre mère et fille? Vous racontez comment à un moment donné elle ne supportait même plus de vous entendre respirer.
Ma respiration, ma voix, tout ça l’a excédée. Moi aussi, j’étais horripilée quand ma mère chantait en faisant la cuisine. Cette phase de détestation est assez saine selon moi. L’adolescence c’est la fin d’un régime politique. Des 0 aux 14-15 ans, on a été tout puissant-e, seul-e à exercer l’autorité sur l’enfant. À partir de l’adolescence, il veut commencer à décider par lui-même et comme à chaque changement de régime politique, ça se fait parfois dans la douleur. En fait, l’adolescence, c’est une transition démocratique.

Vous avez d’ailleurs associé votre fille à la construction du livre. Une évidence pour vous de l’inclure dans ce processus?
Ça ne me serait pas du tout venu à l’idée de faire ce livre sans elle. Quand elle parle du livre avec ses amies, elle dit «notre livre». Elle a raison.

C’est notre livre à toutes les deux, elle a eu un droit de regard sur tout.

Elle l’a reçu pour ce qu’il est, une déclaration d’amour et un cadeau (ndlr: le livre est paru peu de temps avant ses 18 ans). C’était une manière de lui dire: «voilà ce qui s’est passé entre nous durant toutes ces années, maintenant ta vie continue sans moi, même si je suis dans les parages». Ce livre, c'est davantage une conversation avec ma fille que moi qui parle d’elle.

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