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Le dessinateur Luz se rit du mâle dans sa BD «Testosterror»

Le dessinateur Luz se rit du mâle dans sa BD «Testosterror»

Testosterror met en scène la descente hormonale de Jean-Pat Boulard, beauf vendeur de grosses bagnoles adepte de barbecues entre potes et de blagues graveleuses.

© AFP/JOEL SAGET

Et si les hommes voyaient leur niveau de testostérone plonger après avoir contracté un virus qui ciblerait leur virilité? C’est le scénario concocté par le dessinateur français Luz, qui met en scène en trois cents pages dans Testosterror (Éd. Albin Michel) la descente hormonale de Jean-Pat Boulard, beauf médiocre vendeur de grosses bagnoles adepte de barbecues entre potes et de blagues graveleuses. Un mâle alpha standard avec tous les attributs du vrai bonhomme et le chapelet d’injonctions liées à son sexe.

Sauf qu’un jour, il contracte le «Rubulavirus» et son taux de testostérone dégringole, comme pour la plupart des hommes entre 25 et 50 ans, cibles de cette épidémie qui fait tomber les mâles de leur piédestal sociétal. Fictif, le propos est aussi incisif que drôle et chaque détail du dessin est soigné de manière presque chirurgicale par le doué Luz. Et puisqu’il lui a fallu cinq ans de gestation avant d’accoucher de cette BD, l’auteur en est forcément venu à questionner sa propre virilité. On en discute avec lui au bout du fil pendant qu’il est aux fourneaux à préparer un gâteau.

FEMINA Quel a été le déclic pour vous attaquer à la virilité par la satire?
Luz Difficile de trouver un élément déclencheur plus que d’autres. Mais un déclencheur inconscient est lié aux «bonshommes» que j’avais dans ma famille et que je dessinais étant gamin lorsqu’ils étaient réunis les dimanches autour d’un barbecue ou d’un apéro. C’est là que j’ai compris où était la force du dessin: je me moquais de ces constructions sociales qu’il y avait dans ma famille et quand l’un disait «ce n’est pas moi, ce n’est pas possible, je n’ai pas pu dire ça», les autres disaient «ben si, c’est bien toi».

Je suis né dans les années 70 dans une famille assez normale donc assez normée, presque toutes les femmes de ma famille ne travaillaient pas en dehors de la maison. Mon père faisait un peu exception aux autres mâles alpha, car il était plus branché David Bowie que Michel Sardou.

Et vous, aviez-vous le sentiment de faire partie de cette clique de «bonshommes»?
Je n’ai jamais voulu appartenir à ce club d’hommes. J’en ai pris conscience quand j’ai eu des enfants et que j’ai commencé à fréquenter d’autres parents: je suis devenu moi-même un bonhomme. Je ne pouvais pas y échapper en restant dans mon coin à dessiner. Les schémas étaient à peu près les mêmes que ceux que j’avais connus quand j’étais gamin: se retrouver entre hommes, discuter bagnoles et sport.

J’ai toujours fait attention à ne pas entrer dans ce clan, même si à Charlie (ndlr: la rédaction de Charlie Hebdo, au sein de laquelle il a été dessinateur jusqu’en 2015, année des attentats dont elle a été la cible) je faisais partie d’un club plutôt masculin, il fallait que je sociabilise et que je trouve un espace.

Et le seul espace que j’ai trouvé, c’était l’humour. Un humour masculin. Ce qui ne m’empêche pas d’être autocritique. Je suis bien conscient qu’une partie de mon humour a été fabriquée par des gens grivois, voire pervers dans les années 70 et j’ai été baigné dans un moule masculin culturel, politique, où les hommes sont prédominants. Si je n’avais pas eu la chance d’avoir des modèles masculins un peu différents grâce à la musique, comme Lou Reed et Iggy Pop, je pense que je serais un Jean-Pat comme les autres.

La BD Testosterror dézingue la masculinité toxique
© LUZ

Un homme qui aborde le sujet de la masculinité en assumant son féminisme, c’est assez rare, non?
Je ne sais pas si je me considère comme déconstruit, mais en tout cas je n’ai pas voulu me construire par rapport aux autres hommes. Ce qui est sûr, c’est que le féminisme est un mouvement qui m’intéresse politiquement et la musique m’y a aidé. Au début des années 2000, alors que ma discothèque était constituée principalement d’hommes, je me suis ouvert au mouvement punk féminin Riot Grrrl, et à partir de ce moment-là j’ai commencé à fréquenter des féministes. Quelques années plus tard, j’ai lu King Kong Théorie de Virginie Despentes, un livre qui a été une véritable révélation pour moi: on peut le lire en étant un homme et se sentir complètement concerné par ce que dit l’autrice.

Ensuite, comme je travaillais dans un journal politique, j’ai en effet constaté qu’il y avait énormément de livres sur le féminisme mais très peu sur les hommes, ou alors des livres sur les hommes qui étaient faits par des femmes.

Je me suis alors retrouvé face à cet étrange constat que la lutte pour la reconnaissance d’une égalité véritable entre les sexes était menée par les femmes et pas du tout par les hommes.

D’où la naissance de Testosterror?
Quand j’ai commencé à travailler sur ce livre il y a cinq ans, je me suis dit que lorsqu’il sortirait, le sujet de la révolution masculine au sein de la révolution féministe serait obsolète. Après #MeToo et l’élection de Trump, j’étais certain qu’il y aurait un sursaut qui ne viendrait pas uniquement des femmes. Mais c’est comme si la charge militante avait été réservée uniquement aux femmes et que les hommes refusaient de s’en emparer.

La satire est-elle le meilleur moyen de s’en emparer, selon vous?
Oui. J’ai fait exactement ce que je faisais quand j’étais petit en employant l’humour, qui est l’outil le plus adéquat pour décrypter le monde étrange qui m’entoure.

Et le monde masculin est un monde étrange même pour un homme, croyez-moi.

Pour parler de la caricature dans laquelle s’enferment les hommes, il fallait prendre le temps (ndlr: 300 pages!) de dessiner, de faire un long scénario, de raconter une histoire fictionnelle très caricaturale pour que, peut-être, à l’intérieur de ces caricatures, on puisse y trouver de la vérité. Le seul intérêt de la caricature, c’est d’aller tellement loin que la personne visée se dise «c’est pas tout à fait moi, mais il y a un peu de moi quand même».

Dans votre BD, les hommes se sentent menacés par le féminisme ambiant, jusqu’à craindre un grand remplacement du genre, celui des hommes par les femmes. Le sujet résonne-t-il encore plus aujourd’hui?
Oui, et avec une nouvelle violence aussi. Je me suis inspiré d’un groupe masculiniste américain, les Proud Boys, et j’ai constaté que derrière le muscle et la revendication caricaturale parfois verbalement violente de certains masculinistes, il y a une espèce de peur panique du déclassement, une hystérie collective masculine.

Au départ, je voulais faire un bouquin sérieux et dénonciateur, mais il y a un tel manque d’humour dans le comportement des masculinistes que je me suis dit que ça ne ferait pas un bon livre.

J’ai trop de respect pour mes personnages pour ne pas les rendre au final un peu marrants et donc un peu amendables.

Les hommes manquent-ils à ce point d’ironie?
Avoir de l’ironie sur son propre genre, c’est peut-être ce qui manque aussi à la gent masculine. Il fallait que j’invente des slogans poilants, des personnages tellement empêtrés dans leurs contradictions masculines qu’ils en deviennent touchants. Jean-Pat est quelqu’un qui ne se pose pas trop de questions sur sa virilité, sa masculinité et qui absorbe ce qu’on lui donne. Finalement, il est nourri d’une masculinité culturelle, politique et économique sans chercher sa place au milieu de tout ça. Quand il se rend compte qu’on peut vivre sans grosse voiture, qu’il rencontre des féministes qui ne sont pas là pour lui couper les couilles, il se libère de quelque chose.

En bout de course, Jean-Pat lâche d’ailleurs cette formule: «Nous les hommes, sommes des clowns qui avons oublié d’être drôles.» Tout est dit?
J’ai construit tout mon livre pour arriver à cette phrase (rires)! C’est un vrai sujet. J’ai eu une révélation quand j’ai vu le film Gladiator de Ridley Scott: j’ai beaucoup ri, alors que c’est un premier degré permanent.

Il faudrait se rendre compte de l’absurdité du théâtre que les hommes se jouent à eux-mêmes, de ces uniformes – de superhéros, de gladiateurs, de guerriers – trop grands pour eux dans lesquels ils essaient de rentrer…

Je pense que le monde a moins besoin de sauveurs qu’il a besoin d’êtres humains conscients et un peu responsables. Et marrants, aussi. Je voulais aussi dévisser cette virilité définie par la compétence, la rétention des émotions, le dépassement de soi et dans laquelle il n’y a pas de place pour l’humour.

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